Dossier

Lorsque Dominique de Villepin évoquait, en 2003 à l'ONU, «la France, ce vieux pays», il ne croyait pas si bien dire. En 2010, on peut même parler de pays de vieux, avec un quart de la population âgée de 60 ans et plus selon l'Insee (lire le sous-papier), et un tiers si on prend en compte les plus de 50 ans. Pardon: un pays de «seniors», terme plus acceptable pour les marques et les médias, pour qui les mots «vieux» et «âgé» sont tabous.

Ces seniors forment une catégorie hétérogène, divisée en trois groupes: les baby-boomers (50-65 ans), les retraités actifs (65-75) et les anciens (75 ans et plus). Pour Benoît Goblot, fondateur de l'agence Matinal, spécialisée  sur les seniors, il existe quatre segments: les «happy boomers» (50-59 ans), les libérés (60-74 ans), les paisibles (75-84 ans) et les grands aînés (85 et plus). Ces seniors sont aisés, débarrassés des contraintes familiales et professionnelles, et ils aiment consommer.

Les marques qui les visent sont de deux natures: celles (audition, matériel de mobilité, santé, services à la personne…) dont c'est le cœur de cible, comme Audika (audition), Tena (fuites urinaires), Daxon (textile, voir sous-papier), etc. Et toutes les autres, qui aimeraient bien capter cette clientèle, mais sans le dire explicitement. «Les marchés sont là et les annonceurs en sont conscients. Mais ils ne savent pas comment s'adresser à cette clientèle», analyse Benoît Goblot, qui a longtemps travaillé avec Jean-Paul Treguer chez Senior Agency. Pour lui, les marques se trompent en voulant absolument viser les jeunes. «Elles sont prisonnières de leurs schémas marketing. Or, qui mieux que les générations d'après-guerre ont pu apprécier les changements dus à l'innovation et au progrès technique?»

Ainsi, plus de la moitié des Iphone vendus le sont à des quinquagénaires. «Avec leurs équipes marketing de trentenaires qui analysent les besoins des consommateurs, les marques ont tout faux. Car les seniors n'ont besoin de rien. Pour les séduire, il faut susciter des envies par l'innovation et leur offrir une relation client différente», pense Benoît Goblot.

Autre exemple: l'automobile. Une voiture neuve sur deux (80% pour les modèles haut de gamme) est vendue à un senior. Or les marques refusent de s'adresser directement à cette cible, que ce soit en annonçant dans les magazines spécialisés (lire page xx) ou en adaptant leurs campagnes publicitaires.

«Comment parler à cette cible sans connoter son produit et le vendre à d'autres tranches d'âge?», s'interroge Hervé Sauzay, directeur du Salon des seniors et de l'Institut français des seniors. «Toyota Europe m'a contacté pour me demander comment vendre aux seniors sans les nommer», raconte Frédéric Serrière, président du cabinet Senior Strategic. La réponse, dans le cas de l'automobile, passe par des modèles suréquipés en options. «Le consommateur de plus de 50 ans veut de la sécurité, du confort et de la modularité, il est donc très friand d'options. Renault a fait passer, il y a quelques années, une publicité dans Notre temps pour une Laguna dotée de toutes les options possibles. Ils en ont vendu des centaines», évoque Hervé Sauzay, qui a dirigé le magazine du groupe Bayard.

Mais depuis, les mauvaises habitudes ont repris le dessus. Sollicitée pour participer au salon avec son nouveau monospace, une grande marque allemande a refusé tout net. «Ils font une grosse erreur. En 2011, Jaguar a vendu sur le salon plusieurs modèles à 85 000 euros», ajoute Hervé Sauzay.

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La cosmétique a elle aussi fini par s'intéresser à cette clientèle plus âgée, les produits de coloration et les crèmes anti-âge s'adressant prioritairement à cette cible. Mais les réticences demeurent. À part Jane Fonda, 75 ans, pour L'Oréal Paris, combien d'égéries de produits de beauté ont dépassé la cinquantaine? Néanmoins, les choses évoluent progressivement.

Les fabricants agroalimentaires s'intéressent de près à ces consommateurs soucieux de diététique (moins de sel, de sucre, de graisse) et qui apprécient les portions individuelles (les enfants sont partis), source de marges supérieures pour les industriels.

La grande distribution également, même si les seniors sont moins friands de premiers prix et de marques distributeurs, privilégiant les marques nationales en qui ils ont plus confiance. Auchan, par exemple, travaille sur cette cible, mais l'enseigne en est encore au stade de la réflexion et ne souhaite pas communiquer sur ce sujet.

Dans le petit électroménager, SEB a mis au point une gamme d'appareils culinaires adaptés à cette population, comme l'Actifry 2 en 1, «le premier appareil de cuisson au monde qui permet de cuisiner un plat complet dans un seul appareil» selon le fabricant.

Bien sûr, les crises économiques récentes n'a pas non plus aidé au décollage de ce marché. «En 2007, Nestlé était prêt à attaquer cette cible. Mais la crise de 2008 a tout arrêté. Même chose en 2011: ils se relancent, puis vient la crise financière. Les entreprises ne voient plus que le court terme pour des raisons de trésorerie», regrette Frédéric Serrière, de Senior Strategic.

Pour autant, les marques sont conscientes que l'évolution démographique et les difficultés pécuniaires rencontrées par les jeunes générations font des seniors, surtout la tranche des baby-boomers, une clientèle très intéressante.

Il y a pourtant un secteur qui se développe bien sur cette population, c'est le high-tech. Grands amateurs de technologies, les «silver surfers» adorent Internet. Plus de 80% des dix millions d'internautes de plus de 50 ans se connectent au moins une fois par jour. Ils sont 69% à posséder un ordinateur et 71% un téléphone mobile.

La fracture numérique qui touche les plus de 75 ans a tendance à se résorber grâce aux nouveaux appareils spécialement conçus pour ces consommateurs, ce que l'on appelle les «gérontechnologies».

Ainsi, les tablettes tactiles pour seniors se multiplient. Tooti Family, de Tikeasy, est destinée aux plus âgés. Elle est facile d'utilisation (pas d'installation requise, ergonomie simplifiée) et les données sont sécurisées (filtrage des messages, sauvegarde automatisée). Ordissimo, fabricant d'ordinateurs simplifiés, a également sorti une tablette tactile équipée d'un écran de 11,6 pouces (29 cm), pour un meilleur confort visuel. Des sociétés comme Ordimemo et Sensilia proposent des ordinateurs adaptés aux aînés.

Et comme les réseaux sociaux sont à la mode, le site Quintonic, qui se présente comme le «site communautaire des quinquas», revendique quelque 30 000 membres, qui pourront se rendre visite en trottinette électrique Mobilandgo. «Les marques ont tout intérêt à changer leur vision de cette cible, car les seniors n'hésitent pas à quitter celles qui ne s'intéressent pas à eux», conclut Benoît Goblot, de Matinal.

(Sous-papier)

La marque qui veut habiller la ménagère de plus de 50 ans

Au sein de Redcats (groupe PPR), la marque Daxon vise spécifiquement les seniors. Mais elle ne les nomme pas ainsi. «Les clientes se reconnaissent à travers le choix des produits et des mannequins», explique Jean-Joël Huber, directeur général. Les tailles supérieures à 60 (un senior sur deux est en surpoids) sont un indicateur, de même que l'âge des mannequins, autour de 40 ans, car «ils doivent être vingt ans plus jeunes que les acheteuses. C'est une cible aspirationnelle», ajoute-t-il. La publicité télévisée, entamée en juillet 2011 et réalisée par Senior Agency Belgique, vise à valoriser la femme Daxon dans le regard de l'autre. Les seniors achètent de plus en plus sur le Web (35% des ventes), et, en plus, ils n'hésitent pas à recommander la marque (60 000 avis sur le site). «La clientèle senior aime partager son avis. Il faut mettre en place un marketing de la connivence», indique Jean-Joël Huber, qui conseille d'éviter les pop up et les images en mouvement. La filiale de Redcats emploie 750 personnes et compte bien continuer à se développer, grâce à une cible qui croît en volume (effet démographique) et en valeur (les seniors sont plus aisés que les autres catégories). Partenaire du Salon des seniors, Daxon a mis en place une «communication intergénérationnelle», en demandant aux étudiants d'Esmod Lille de dessiner un haut pour une de leur connaissance de plus de cinquante ans. Quarante élèves ont déposé un dossier, huit ont été mis en ligne et plus de 10 000 votants ont élu deux créations, qui figureront dans le catalogue de juillet prochain. Une manière de rapprocher les générations sur un produit, le vêtement, qui parle à toutes les femmes, quel que soit leur âge. P.C.

 

(Sous-papier)
Les seniors en chiffres
En 2010, un quart de la population fait partie de la catégorie senior définie par l'Insee (60 ans et plus). Mais si on les prend en compte à partir de 50 ans, ils représentent un tiers de la population (22 millions) et pèsent 48% des dépenses de consommation (source: TNS Sofres), voire plus pour certains secteurs comme la cosmétique (50%), les voyages (75%), les véhicules neufs (50%, et 80% pour les automobiles haut de gamme), mais aussi les cuisines intégrées (60%), les cheminées (62%) ou encore les équipements de sécurité (58%). Technophiles, les «silver surfers» sont 54% à posséder un ordinateur et 80% d'entre eux se connectent à Internet au moins une fois par jour. Les seniors sont plus aisés que les autres catégories de la population: leurs revenus moyens sont supérieurs d'un tiers de ceux des moins de 50 ans (33 000 euros, contre 26 000), et ils détiennent 60% du patrimoine de l'ensemble des ménages. Pourtant, les seniors français sont moins actifs que leurs homologues européens: seuls 38% des 55-65 ans ont un emploi, contre 60% au Royaume-Uni et 69% en Suède. Enfin, avec une espérance de vie qui augmente de trois mois par an et une santé globale qui s'améliore, cette catégorie n'a pas fini de croître: en 2050, près d'un Français sur trois aura plus de 60 ans et un sur deux plus de 50 ans. P.C.

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