La presse a fait de lui un habitué des unes. Si les ventes en ont bénéficié au début du quinquennat, «l’effet Sarkozy» s’est depuis essoufflé, et a laissé place à la question du positionnement face à la victoire annoncée de la gauche.

«Pourquoi il fascine», titrait L'Express en août 2007. Puis, trois ans plus tard, «Pourquoi il suscite la haine». Sur la photo de une, un Nicolas Sarkozy, tantôt souriant tantôt inquiétant. En 2007, le directeur général de l'OJD Patrick Bartement, avait évalué à 250 le nombre de couvertures sur le sujet, «soit deux fois plus que Mitterrand en 1981».

Une omniprésence qui ne s'est pas démentie avec l'«omniprésidence»: «Cette récurrence de unes vient du fait que Sarkozy est le seul interlocuteur, justifie Laurent Neumann, directeur de Marianne. Quand Lionel Jospin était Premier ministre, on faisait des unes sur ses ministres et pas forcément sur lui.» Outre sa manière d'exercer le pouvoir, la personnalité du chef de l'État joue. «Avec son discours imagé, c'est un modèle de storytelling que l'on a plaisir à décrypter», explique Augustin Scalbert, journaliste politique à Rue 89.

 

«Un formidable client pour la presse contestataire»

Mais si la presse s'intéresse tant au président, serait-ce aussi parce qu'il fait vendre? «Il crée lui-même son actualité et des audiences importantes. Au début, dès qu'on mettait “Sarkozy” dans un titre, ça cartonnait», ajoute le journaliste en ligne.Marianne, qui a fait des unes chocs sur le chef de l'État sa spécialité, a connu en 2007 la meilleure progression des news magazines, en diffusion (+34%). Le numéro consacré au «vrai Sarkozy», paru une semaine avant le premier tour de la présidentielle, s'est écoulé à 440 000 exemplaires (avec deux retirages). «C'est un formidable client pour la presse protestataire», savoure David Kessler, directeur général des Inrockuptibles.

En février 2008, avec l'interview inaugurale de Carla Bruni comme première dame, L'Express a dû procéder à un retirage de 100 000 exemplaires, pour 600 000 vendus au total. En cette période «bling-bling», c'est «un journalisme de récit» qui a prédominé selon l'historien des médias Christian Delporte, soulignant que «les histoires se vendent bien».

Mais «tout dépend de la popularité du président, explique-t-il. Les médias suivent le vent et, selon un effet mécanique, deviennent plus critiques dans la deuxième partie du mandat, quand cette popularité baisse après l'état de grâce.» De ce point de vue, la césure du quinquennat se situe au deuxième trimestre 2008, après Carla et l'épisode Kadhafi», détaille Laurent Neumann.

Dès lors, Nicolas Sarkozy n'aura de cesse de dénoncer le rôle des médias dans ce revirement de l'opinion, accusant même certains de s'être enrichis au passage. En mai 2008, devant des députés, il aurait accusé des titres de presse de s'attribuer «les fonctions de l'opposition dans un pays où il n'y a plus d'opposition». Le même mois, il annonçait le lancement d'états généraux de la presse, qui devaient déboucher sur une aide exceptionnelle à la presse de 200 millions d'euros par an de 2009 à 2011. «Il y a eu un consensus de la profession pour recevoir l'argent de l'Etat, qui voulait s'acheter de la complaisance sans rien toucher sur le fond», estime un éditeur de presse.

La critique du sarkozysme a-t-elle représenté un filon médiatique? «Les journaux d'opposition peuvent dire merci à Sarkozy, comme Le Figaro à Mitterrand», répond Christian Delporte. On vend toujours mieux quand on est dans l'opposition, surtout quand le président est impopulaire». En 2011, les journaux d'actualité qui ont reçu une étoile à l'OJD pour leur progression de diffusion sont tous marqués par l'antisarkozysme: Les Inrockutibles (+33% en diffusion france payée), Libération (+5,4%), Le Nouvel Obs (+0,2%). «Notre nouvelle formule a affiché un ton plus militant, plus politique, plus sociétal et donc plus antisarkozyste, reconnaît David Kessler, des Inrocks, qui a fait sa meilleure vente en avril 2011 avec «Guéant, il doit partir».

Même constat à Marianne... pour la première moitié du quinquennat. «La ligne antisarkozyste a rencontré un public, confirme Laurent Neumann. On a fait de bonnes ventes les trois premières années de son mandat, mais Sarkozy ne fait plus vendre de journaux depuis deux ans, car le public a compris tout ce qu'il y avait à comprendre sur lui.» L'hebdomadaire a connu une baisse de ses ventes en kiosques de 18,4% entre 2008 et 2009 (28,7% entre 2007 et 2011). Seules exceptions: la sortie de l'affaire Bettencourt et le discours de Grenoble, pour lequel Marianne a comptabilisé 220 000 ventes en plein été avec «Le voyou de la République».

Pour autant, l'hebdomadaire ne se considère pas comme «un média d'opposition, mais d'opinion, engagé». De même, «l'opposition à Sarkozy n'est pas la raison d'être de Rue 89, explique Augustin Scalbert, même si le scoop fondateur du site en mai 2007 portait sur l'abstention de Cécilia au second tour». Quant à Mediapart, qui a vu son nombre d'abonnés doubler lorsque le site a révélé l'affaire Bettencourt, son directeur de publication Edwy Plenel parle de «presse indépendante, mue par une exigence démocratique, qui est parvenue à fidéliser ses lecteurs en publiant des informations tues ailleurs».

Cette question du positionnement peut s'avérer plus délicate lorsque des journaux se revendiquent de gauche ou de droite. Ainsi, après l'adoption en février par les journalistes du Figaro d'une motion affirmant que ce «journal d'opinion» n'était «pas le bulletin d'un parti, d'un gouvernement ou d'un président de la République», c'est au tour des salariés de Libération de fustiger, dans un texte adressé le 3 avril à son directeur Nicolas Demorand, «un traitement éditorial partisan en matière politique, qui semble inféoder le journal au PS».

«Libération a toujours été de gauche, la nouveauté aujourd'hui, c'est qu'il se positionne pour Hollande, et pas pour Mélenchon ou Joly», souligne Christian Delporte, rappelant que «Le Figaro a eu le même problème en 1995». Si les sondages, qui donnent François Hollande vainqueur au second tour, se confirment dans les urnes, Libération devra sans doute prendre ses distances avec le parti socialiste (comme le journal l'avait fait sous François Mitterrand). «Avec Hollande, il y aura certainement un réglage à faire. Nous ne serons plus dans l'opposition systématique, et il faudra savoir comment on traite des mesures économiques un peu dures sur fond d'impopularité», anticipe David Kessler. Edwy Plenel entend, lui, ne pas déroger à sa légende: «Même si nos lecteurs sont plutôt favorables à Hollande, Mediapart devra endosser le rôle de celui qui apporte les mauvaises nouvelles...»

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