Dossier télévision
Les régies ne veulent pas laisser passer le train de la télévision connectée. Elles proposent des innovations techniques commercialisables sur la télé connectée, et surtout sur le second écran, que constituent smartphone et tablette numérique.

TV 2.0. Le titre choisi par Havas Media pour son livre blanc sur le thème de la télé connectée peut sembler galvaudé. Et pourtant, il illustre bien l'actuelle révolution télévisuelle. Le téléviseur connecté («Smart TV») est déjà installé dans les foyers français. Aujourd'hui, il représente 30% des ventes. En 2013, selon le syndicat des constructeurs, le Simavelec, 43% des postes seront connectables à Internet. Les box TV des opérateurs Internet et les consoles de jeux, également reliées à la Toile, multiplient les possibilités de connexion.

Le téléviseur nouvelle génération s'est également lié d'amitié avec le Smartphone et la tablette numérique. Ce nouveau type de compagnon mobile lui offre un deuxième écran d'expression pouvant être synchronisé avec les programmes. «Notre définition de la télé connectée est très large, explique Philippe Bourquin, directeur de la TV connectée chez France Télévisions édition numérique. D'un coté, il y a l'accès au programme, par le téléviseur ou le second écran, et de l'autre côté, il y a l'accès à des contenus supplémentaires, soit directement via le programme, soit à travers une application.»

Début avril, «C dans l'air», le débat quotidien de France 5, s'est déployé sur la télé connectée via la TNT, grâce à la norme Hbb TV (Hybrid Broadcast Broadband Television). «Cette couche d'information, disponible sur le téléviseur, est directement gérée par la production de l'émission, et c'est une nouveauté, se réjouit Philippe Bourquin. L'habillage a été conçu pour que le téléspectateur soit totalement intégré dans l'émission.»

L'horizon audiovisuel s'élargit, les perspectives commerciales également. Toutefois, la vidéo devrait rester le format publicitaire privilégié des marques. Les régies travaillent sur la normalisation des protocoles quel que soit le support. «La principale innovation est justement de ne pas complexifier la vie de l'annonceur, explique Christian Bombrun, directeur général adjoint de M6 Web. L'offre proposée doit rester la même que sur le "linéaire". Cela doit rester simple et facile.»

Le bon vieux spot n'est donc pas mort. On le retrouvera sur la télé connectée, en ouverture de la lecture d'un programme sélectionné sur les services de télévision de rattrapage. M6 Replay, le portail de la catch-up TV de M6, attire plus de 200 campagnes par mois. Et l'attention portée à ces vidéos, isolées et diffusées en amont d'une émission que l'on souhaite regarder, sera sans doute meilleure que celle accordée à un spot vu dans un écran à la télé. Aux créatifs de trouver d'autres histoires à raconter.

 

Proposer des solutions plurimédias

Les régies publicitaires estiment, en réalité, que les perspectives les plus intéressantes sont celles que réserve le second écran. «Le problème avec le téléviseur, c'est le combat pour la télécommande et le choix du programme, observe Christophe Scherer, directeur technique de France Télévisions Publicité. A plusieurs devant la télévision, posséder son écran personnel à la main permet de faire la consommation que l'on désire en propre. Le second écran aura un meilleur succès.»

Le smartphone et la tablette ne viennent pas s'opposer à l'écran principal ou à la télévision connectée. Ils s'inscrivent en complément. «Une chaîne comme TF1 doit préempter tous les écrans, affirme Laurent Solly, directeur général de TF1 Publicité. Notre engagement est de délivrer des messages de même puissance quel que soit le support. A nous d'inventer les nouveaux modes de communication des marques.»

Il y a un an, la régie publicitaire de TF1 a mis en place une structure interne consacrée à la télé connectée. Installé au cœur des équipes commerciales, «le Labo» est chargé de proposer des solutions plurimédias, et surtout consacrées au monde numérique. «Nous ne faisons pas table rase du passé, au contraire, nous nous appuyons sur l'existant, assure Laurent Solly. Nos réponses se font autour de trois axes: la télévision classique, d'abord, seul média à délivrer la puissance; le monde digital, ensuite; les réseaux sociaux, enfin, capables de générer le partage.»

Les régies publicitaires développent tout cela en même temps. En 2011, M6 a testé le second écran pour X-Factor, son concours de chant. Sur le téléviseur, le flux principal. Sur la tablette, un direct supplémentaire produit des coulisses et les commentaires de Twitter. L'été dernier, TF1 a proposé aux téléspectateurs du jeu Money Drop de se confronter aux candidats en temps réel et avec les mêmes questions. L'innovation a séduit P&G: durant la publicité, l'annonceur proposait en direct sur la même application des questions autour de problèmes environnementaux. Plus de 150 000 sessions ont été ouvertes.

 

Vers des spots interactifs

P&G, encore, a testé sur M6 la publicité synchronisée. Une expérience réalisée auprès des abonnés de la télé d'Orange. Ces derniers pouvaient profiter d'informations supplémentaires sur leur télé durant la diffusion du spot publicitaire. «Je suis quand même plus prudent sur les perspectives de développement du partage du téléviseur, reconnaît Christian Bombrun, de M6 Web. La consommation devant l'écran principal est passive et collective, alors qu'elle est individuelle et active sur le second écran.»

Aux Etats-Unis, le 5 février dernier, la chaîne américaine NBC a proposé durant la finale du Super Bowl des spots interactifs grâce au système de reconnaissance vocale de l'application Shazam. Dix-sept annonceurs ont généré 2 millions d'actes en direct: Pepsi proposait le clip exclusif d'une chanteuse, Toyota invitait à une loterie, une enseigne de téléphonie offrait des coupons de réduction...

TF1 prépare une application similaire mais basée sur la reconnaissance des images. La caméra de l'appareil numérique identifie l'émission ou le spot diffusé et lance automatiquement des contenus complémentaires: fiches des candidats, recettes de cuisine, cartographie d'un lieu, renseignements supplémentaires sur un produit, offres commerciales... La technologie fonctionne sur des vidéos, programmes ou spots publicitaires, mais aussi sur les affiches et les annonces presse. TF1 Publicité a déjà lancé une offre commerciale baptisée Oz.

«Le souci du second écran est sa promotion, observe Jean-Marie Le Guen, manager du cabinet NPA Conseil. Les chaînes et les marques devront en faire la promotion pour que les téléspectateurs s'équipent de leurs tablettes pendant la diffusion d'un programme. Ils ne le feront pas spontanément.»

 

Des territoires encore peu réglementés 

A la marge officiellement des contrôles du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), pour l'instant, le Smartphone, la tablette numérique et même les applications de la télé connectée, sont des territoires d'expression non réglementés. En Bourgogne, BNP Paribas a lancé sur la TNT, via la Hbb TV, sa propre télé. Celle-ci est visible sur le téléviseur, comme n'importe quelle autre chaîne. De quoi donner des idées à d'autres annonceurs, surtout ceux interdits de publicité télé, comme le cinéma, qui est d'ailleurs devenu l'un des premiers investisseurs des offres de télé de rattrapage.

Pourquoi ne pas imaginer une marque de bière, dont la publicité est restreinte par la loi Evin, sponsor d'une compétition sportive, utiliser la télé connectée pour y développer des applications proposant des contenus (statistiques, palmarès...) où le nom et le produit apparaissent clairement... Les chaînes du service public peuvent elles aussi profiter des tablettes pour faire de la publicité après 20 heures, comme c'est interdit sur la télé classique. Pour encadrer ces pratiques, le CSA a lancé en février une commission sur les usages de la télévision connectée.

«Il existe déjà des cadres légaux, comme le décret relatif aux services de médias audiovisuels (SMAD) ou la charte pour la télé connectée», répond Christian Bombrun, de M6 Web. «Nous agissons en responsables mais nous appelons l'attention des instances, car il ne faudrait pas que les futurs textes soient déséquilibrés», ajoute Laurent Solly, de TF1 Publicité.

Dans l'œil du viseur du patron de la régie se trouvent évidemment les gros acteurs d'Internet, comme Google, mais aussi les fournisseurs d'accès, comme Orange ou Free, ou les constructeurs de téléviseurs, tous tentés par des perspectives de régies publicitaires.
Dans son livre blanc, Havas Media envisage trois scénarios pour la télé 2.0: le premier centré uniquement autour du poste principal, avec l'ajout de contenus additionnels; le deuxième, qui ajoute de nouveaux acteurs pour enrichir l'offre existante, mais toujours via le téléviseur; le dernier, qui inclut les appareils numériques nomades. Une rupture, selon l'agence médias, qui, pour le mode de l'achat publicitaire, engendrerait une révolution. Encore une.

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