Dossier corporate
Elisabeth Coutureau, vice-présidente exécutive de TBWA Corporate, est la toute nouvelle présidente de la délégation corporate de l'Association des agences-conseils en communication (AACC). Elle revient sur les enjeux et les spécificités du secteur.

Pour quelles raisons prenez-vous aujourd'hui la présidence de l'AACC Corporate?

Elisabeth Coutureau. Parce que le deuxième mandat de Benoît de Laurens arrive à échéance. Et pour moi cette mission est naturelle, pour ne pas dire normale. Quand on aime son métier, il faut savoir donner du temps pour le faire avancer.

 

Quels sont vos chantiers prioritaires?

E.C. Nous souhaitons accompagner un mouvement majeur: la préférence d'une marque ne dépend plus aujourd'hui uniquement de ce qu'elle offre mais aussi des pratiques et de l'image de l'entreprise qui la porte. Jean-Marie Dru [présidente Worldwide de TBWA] parle de la «corporatisation» de la communication. Chez TBWA Corporate, nous parlons de l'ère des «marques entières». Face à ce constat, notre délégation s'est fixé deux objectifs prioritaires: avancer sur «la mesure de la valeur de la communication corporate» dans toutes ses composantes et montrer que la créativité ne se situe pas uniquement dans les campagnes publicitaires mais aussi dans les systèmes de communication, dans les stratégies de crise, les pratiques de communication interne, les relations avec les parties prenantes... Par ailleurs, nous souhaitons continuer le travail entamé entre les acheteurs publics et les agences pour améliorer les procédures d'appels d'offres, parce que nous sommes la délégation la mieux placée pour le faire.

 

Comment se portent les agences corporate?

E.C. En 2011, elles ont globalement tiré leur épingle du jeu. Le premier semestre 2012 a été plus compliqué et plus calme du fait de la crise et de la période pré-électorale. Mais les agences de communication corporate sont mieux armées que d'autres par gros temps, parce que leurs expertises, et donc leurs sources de business, sont très diversifiées, et que les enjeux qu'elles relèvent ne s'arrêtent pas avec les crises, bien au contraire.

 

Beaucoup se sont départies de l'étiquette corporate. Ce positionnement est-il encore porteur?

E.C. La question sémantique vaut d'être posée. La question du périmètre existe. Certaines agences ou groupes traitent globalement de la marque, d'autres partiellement. A chacun de définir sa stratégie. Quoi qu'il en soit, le fait d'avoir des communicants qui savent comprendre l'entreprise, au delà de la marque commerciale, et qui savent s'adresser à toutes les parties prenantes, et pas seulement aux consommateurs, est juste vital. Et ça pour l'instant, c'est une des caractéristiques des agences dites corporate.

 

Les agences auraient donc tout intérêt à continuer de faire clignoter leur étiquette «corporate»?

E.C. Oui, bien sûr. Ce n'est pas une étiquette mais un savoir-faire. Ce n'est pas une mode mais un fait incontournable. Ce n'est pas une vue de l'esprit mais un business. Vous savez, j'ai passé ma vie de communicant à entendre qu'il fallait créer des systèmes intégrés et donc des agences intégrées. Les agences corporate sont l'incarnation même de cette intégration. La dernière Etude Limelight Consulting, menée auprès de 600 directeurs de la communication et du marketing, est par ailleurs très claire: les annonceurs considèrent majoritairement que ce sont les agences corporate qui sont les mieux armées pour les accompagner dans leur stratégie de communication.

 

Le marché du corporate est marqué depuis plusieurs années par le départ de managers de grands groupes vers des structures indépendantes. Comment l'expliquez-vous?

E.C. C'est vrai des agences corporate comme d'autres agences. Avec la maturité et l'expérience, vient quelque fois l'envie – ou l'obligation – de voler de ses propres ailes. C'est humain et universel. Je trouve cela régénérant pour le marché, cela l'ouvre et le fait grandir. Donc c'est bien. Après, ne comptez sur moi pour expliquer qu'on ne peut pas être entrepreneur dans un grand groupe, comme je l'entends de temps en temps! C'est juste différent.

 

Trois grands acteurs dominent le marché français du corporate: Publicis Consultants, Euro RSCG C & O et TBWA Corporate. Est-il facile d'exister face à eux?

E.C. Ce n'est probablement pas simple. Mais le talent n'a pas de taille! La réalité c'est que les offres sont riches et diverses. A part les trois grands acteurs, les agences comme W & Cie, Lowe Stratéus, Parties prenantes existent vraiment. De nouvelles offres ont vu le jour avec Clai, Jardin de la Cité, Equancy, Sidièse, pour n'en citer que quelques unes. Enfin, des agences en mutation comme Ligaris et Plan créatif ont une vraie notoriété. Nous pensons en réalité que c'est un marché colossal et incontournable. J'espère bien que d'autres agences vont rejoindre notre association.

 

Rencontrez-vous toujours autant de difficultés à recruter?

E.C. Quand il y a problème d'attractivité, c'est le résultat d'un problème de rémunération et non d'intérêt porté à notre métier. Il est ainsi vital que les annonceurs comprennent que nos modèles économiques reposent à 80% sur de la masse salariale. Bien payer les agences, assurer la visibilité et la pérennité de leur business est central pour payer les talents. C'est donc l'intérêt des agences, mais aussi des annonceurs! Nous n'avons, a contrario, pas de difficultés à attirer des profils différents. Commerciaux, créatifs, journalistes, blogueurs, designers sont souvent intéressés par nos métiers. Cette richesse est notre avenir.

 

Sans compter les membres des cabinets ministériels. Les demandes ont dû être nombreuses après les élections...

E.C. Oui et c'est logique que nous nous y intéressions: ces profils sont souvent très brillants. Ils ont une implication professionnelle hors pair et une précarité bien plus grande qu'on ne l'imagine. Maintenant, une agence ne peut être composée que de spécialistes de l'influence. D'autant que notre mission est de trouver des idées et des solutions. Ce qui n'est pas toujours dans les cordes de ceux qui ont plus souvent été dans la position de juger plus que de proposer.

 

Avez-vous toujours autant de mal à attirer les créatifs?

E.C. C'est vrai que toutes les agences corporate n'ont pas de créatifs, du moins pour les plus petites, les «indépendantes». Pour le reste, la donne a changé: beaucoup de créatifs aiment créer des campagnes corporate, plutôt que leur énième campagne produit. Mais, vous savez, l'enjeu aujourd'hui est d'attirer des créatifs tout média, dont le Web. Et sur ce point, les agences corporate ne sont pas nécessairement les plus mal loties.

 

Quel est aujourd'hui l'état d'esprit des annonceurs? Qu'attendent-ils?

E.C. Ils se rendent compte que le temps de la communication 100% maitrisée «under control» est définitivement révolue, avec la possibilité donnée à chacun de prendre la parole sans qu'on la lui ait donnée. Cela les rend attentifs, voire perplexes, sur les questions digitales comme sur la justesse de leur système de communication. Ils constatent la complexité de l'opinion et le système de communication marque corporate-commerciale qui en découle. Et tout ceci, dans un contexte d'internationalisation et de pression financière sans précédent.

 

Que peuvent leur apporter les agences corporate?

E.C. Les agences de communication corporate sont agiles face aux mouvements d'opinion, aux crises et aux prises de position intempestives. Elles apportent ainsi aux annonceurs, une gestion plus sereine d'une communication par définition «moins maîtrisée». Plus fondamentalement, les entreprises ont besoin de grandes idées qui relient et fassent fructifier leur capital corporate (social, humain, responsable, financier) et leur potentiel client. Nos agences peuvent les y aider pour toutes les raisons déjà évoquées.

 

Les grandes campagnes institutionnelles ont-elles pris du plomb dans l'aile?

E.C. Oui pour celles qui sont «plates», «autosatisfaites» et comme toujours, «ni vraies, ni vraisemblables». Mais ce n'est pas nouveau. Parler de soi et décliner son pedigree n'a jamais intéressé personne. Par ailleurs, si communiquer à l'externe peut être une belle façon de valoriser l'interne, on se doit à minima d'avoir la politesse d'intéresser l'externe! Mais une fois de plus, regardons du côté des systèmes de communication, notamment ceux qui intègrent le digital. Il y a de bonnes campagnes, créatives et dotées d'un ROI assez facilement mesurable.

 

Quelles sont les grandes campagnes corporate qui vous ont marquée cette année?

E.C. J'ai beaucoup de respect pour le système global de communication mis en œuvre par McDonald's. C'est pour moi, et pour beaucoup de mes collègues, un modèle du genre. J'ai remarqué avec beaucoup d'intérêt la campagne Procter & Gamble [campagne "Mom" pour les JO]. D'abord, c'est une grande première: P & G parle! Ensuite l'approche est simple et bien faite. Enfin, vous m'autoriserez à citer la dernière campagne de SNCF, pour l'unité de son système et la «jouissance» de certaines annonces!

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