Les éditeurs déploient leur marque sur le Net pour renforcer ou développer une audience qui s’avère tout aussi difficile à commercialiser sur le papier qu’à valoriser dans le numérique.

L'avenir sera numérique ou ne sera pas. Telle est la conclusion à laquelle sont arrivés les éditeurs de journaux, qui ont intensifié leur présence dans l'univers digital. La publication à la mi-septembre par Pricewaterhouse Coopers (PWC) d'une étude évaluant la contribution du numérique à 67% de la croissance du chiffre d'affaires des groupes médias entre 2011 et 2016, va dans leur sens.

«Développer la marque sur tous les supports est crucial, car il faut accompagner les changements d'usage des lecteurs, qui passent d'un écran à l'autre, explique Corinne Mrejen, directrice générale du Monde Médias, la régie du quotidien. D'autant que, selon Médiamétrie, un foyer français dispose de 6,2 écrans en moyenne», insiste-elle.

 

Les éditeurs doivent s'adapter à cette redistribution des contacts sur plusieurs canaux. Et «les rédactions produire dorénavant des contenus à destination de lecteurs-internautes-auditeurs... qui empruntent tous les moyens de diffusion envisageables», atteste Pierre Conte, directeur général adjoint du groupe Figaro et président de Figaro Médias.

 

Ce déploiement des marques de presse sur les sites Internet, smartphones, tablettes ou réseaux sociaux doit permettre de rattraper le public perdu sur le papier, voire d'accroître l'audience. «L'Internet fixe et mobile étend et renforce le territoire de la marque, confirme Bruno Ricard, directeur étude, marketing et communication du SPQR. Le couplage de nos titres régionaux sur tous supports représente aujourd'hui 39 millions de contacts quotidiens, ce qui correspond au pic enregistré en 1995.»

 

L'Internet présente en outre l'intérêt d'attirer de jeunes générations peu enclines au papier. Et l'émergence des tablettes fait migrer des lecteurs vers un univers dématérialisé. D'ailleurs, toujours selon PWC, d'ici à 2016, «les ventes numériques devraient rattraper la vente au numéro».

 

Net repli

 

Et ce, d'autant que cette activité a subi un net repli. D'après le dernier rapport de la direction générale des médias et des industries culturelles sur la presse écrite, les ventes au numéro des quotidiens nationaux ont baissé au global de 305 millions d'euros en 2007 à 295 millions en 2011. Et celles de la presse locale de 997 à 796 millions.

 

Pour ne rien arranger, le chiffre d'affaires publicitaire (commercial et annonces) dans ces deux catégories a reculé de 373 à 298 millions pour la première, de 1 169 à 1 012 millions pour la seconde.

 

D'une part, la publicité n'a donc pas compensé le recul sur la diffusion; d'autre part, les recettes - essentiellement publicitaires - issues du numérique n'ont pas compensé la chute subie sur le papier. Durant un quinquennat où les éditeurs ont pourtant multiplié les offres commerciales.

 

Mais l'absence d'outil de mesure de l'apport de chaque support constitue un premier écueil. «L'étude d'audience One d'Audipresse a progressé en 2012, note Sophie Renaud, directrice du pôle d'expertise presse du groupe Aegis, mais les données sur la marque globale ne rendent pas le média planning possible.»

 

Audipresse envisage maintenant de croiser ses résultats avec ceux de l'étude référente sur le net, Médiamétrie Net Ratings, pour obtenir une production semestrielle des audiences des marques en mars prochain. Mais les discussions avec Médiamétrie ne font que commencer... «Débattre des études est un faux sujet, corrige Corinne Mrejen, le numérique et les panels développés par les régies donnent suffisamment d'informations pour mettre en place des indicateurs.»

 

Autre écueil, «les contacts presse coûtent plus cher que les autres, explique l'experte presse d'Aegis, d'où leur difficulté à vendre des espaces. Même si l'idée correspond à une réalité en termes de référence, les annonceurs sont-ils prêts à payer davantage?» s'interroge-t-elle. C'est néanmoins la position des régies, qui défendent «une approche de valorisation d'un lectorat de plus en plus premium, qui a une relation engagée avec la marque, souligne Corinne Mrejen. Il faut sortir de la logique du coût pour mille et savoir si le coût global a apporté quelque chose.»

 

Audience qualifiée

 

Au préalable, il faudra se mettre en place au plan commercial. «Les agences médias y vont, avance Sophie Renaud. Certaines régies l'avaient déjà fait, puis ont fait machine arrière, les équipes commercialisant le papier n'ayant pas forcément le discours pour vendre le numérique.» Chaque partie aurait tendance à se renvoyer la balle car, comme l'explique Arielle Dinard, directrice générale de Com Quotidien, régie nationale pour la PQR, «les annonceurs raisonnent par univers de diffusion de leurs messages. C'est d'abord la puissance de chacun des canaux associé à la marque média qui compte.»

 

Pour valoriser leur audience sur le Net, les éditeurs essaient également de se fédérer dans un système de ventes aux enchères. Aux USA, les groupes médias en tirent 15 à 20% de leur chiffre d'affaires. En France, le récent mouvement a abouti à la création de deux plates-formes.

 

Avec d'un côté, la Place Média, lancée le 4 septembre dernier, pour les 80 sites d'Amaury, Le Figaro, Lagardère, TF1, 20 Minutes, France Télévisions, Marie-Claire, Au féminin, Boursorama...; et, de l'autre, Audience Square, regroupant les 75 sites de Libération, Le Monde, Les Echos, les newsmagazines, les filiales de Bertelsmann... «L'association se fait avec des gens qui nous ressemblent, pour une audience qualifiée qui sera achetée de manière mécanique mais ce ne sera pas une grande braderie», soutient la responsable du Monde Médias.

 

S'esquisse ainsi une nouvelle organisation. «Les régies vendront du sur-mesure, des solutions marketing articulées, résume Pierre Conte. Et se met en place un marché automatisé, où l'on vendra des capacités de ciblage intéressantes.» Mais, poursuit-il, «aucun groupe média ne pourra s'en sortir tout seul, d'autant que cette évolution représente de lourds investissements.»

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