m-commerce
Depuis 2010, les enseignes s'entichent d'une nouvelle offre permettant au consommateur de faire ses courses dans le métro ou les gares via son smartphone. Qu'en attendre?

Tout a commencé avec Tesco. C'était fin 2010, en Corée du Sud. Son agence Cheil Communication lui propose de créer un espace virtuel de shopping pour ses supermarchés Home Plus. Ce sera sur le quai du métro de Séoul, la capitale, emprunté par quelque sept millions de personnes chaque jour. Des photographies de meubles réfrigérés remplis de poissons et autres choux fermentés sont installées. A charge pour le consommateur de «flasher» le QR code des produits qu'il souhaite acheter. Son panier lui sera livré le jour même.

C'est la caisse de résonance dont Home Plus a besoin. Avec 115 magasins dans le pays, l'enseigne anglaise talonne E-Mart, numéro un de la distribution alimentaire. Le leader coréen a eu la peau de Walmart et Carrefour. Tous deux sont partis du pays en 2006. Depuis, Home Plus est confronté aux coûts de l'immobilier, qui brident sa course à la taille. Une porte de sortie s'ouvre à lui: l'e-commerce, et son pendant, le m-commerce.
Bingo. En trois mois, 900 000 applications Home Plus sont téléchargées, les ventes bondissent de 130%. L'enseigne devient numéro un de la vente en ligne, devant E-Mart. Home Plus avait vu juste. Le Coréen est technophile. Dans un pays de près de 50 millions d'habitants, plus de 10 millions de smartphones sont en circulation. Le rythme de vie impose son diktat. Débordé par son travail – le temps de travail légal est de 52 heures par semaine et les heures supplémentaires sont de rigueur –, le Coréen déteste perdre du temps à faire ses courses. «Ce fut un très grand succès», s'est félicité début 2012 Seong Han Lee, le patron de Home Plus, avant de décliner le concept sur vingt abribus.

Des émules de par le monde

Grand Prix Media du Festival de la publicité Cannes Lions en 2011, la formule Tesco a fait, depuis, des émules dans la distribution. Aux-Etats-Unis, Peapod.com, filiale d'Ahold, a ouvert une centaine de ce type d'espaces de vente dans les gares de Boston, Philadelphie ou Washington D.C. Au Canada, c'est Well.ca qui a accroché ses panneaux dans le métro de Toronto. En Belgique, Delhaize a choisi la gare centrale de Bruxelles. A Barcelone, l'espagnol Sarli Discau s'est offert la station Sarria.

En France, où le drive fait un tabac et où un Français sur quatre a déjà envoyé une photo d'un produit en magasin (source Comscore), de grands noms ont aussi cédé à la tendance. En novembre 2012, quelques jours après avoir lancé son application mobile, Rueducommerce.com, filiale du groupe Altarea Cogedim, a signé ses premières ventes par QR code grâce à des panneaux placardés dans quatre gares d'Ile-de-France, dont celle de l'Est. Le géant du jouet Toys'R'Us a choisi la gare Saint-Lazare pour vendre une sélection de ses produits. «Ce lancement s'inscrit dans la logique et la volonté du multicanal de Toys'R'Us», assurait alors Gilles Mollard, directeur général France.

Dans le secteur alimentaire, Carrefour est parvenu, de justesse, à tirer le premier. Dans la gare de Lyon-Part-Dieu, l'enseigne a doublé Casino en installant un mur digital composé de trois cents produits, quelques jours avant celui du groupe de Saint-Etienne prévu sur le parvis. Depuis, à Paris, dans le XVIe arrondissement, Casino a testé un autre procédé: un mur digital plus abouti, plus ludique et interactif. Conçue par l'agence Adactive, cette mégatablette (3x1,20m) a été installée fin 2012 pour un test d'un mois. Composée de six écrans tactiles, elle permettait d'accéder à des produits des hypers Géant et de C Discount, sa filiale de vente en ligne. Motus sur le résultat, Casino n'en dira rien. Au beau milieu du plus BCBG des quartiers de la capitale, ce mur digital a trouvé son public, assure Julien Jobard, cofondateur d'Adactive. Et ce malgré une offre curieuse: parmi la douzaine de produits figurait… un scooter à 600 euros. Peu importe. Les petites dames du XVIe ont tâté de l'écran tactile. Et tous les distributeurs sont venus voir ce cabinet de curiosité.

Pourquoi une telle ruée? «On est là dans l'expérimentation. La grande distribution a pris du retard dans l'e-commerce. Elle doit s'y intéresser», juge Yves Marin, consultant chez Kurt Salmon Associates. «C'est le “test-and-learn”, étape indispensable», confirme Bruno Auret, directeur de Raymond Interactive, filiale de Saguez & Partners.

L'e-commerce pèse désormais 45 milliards d'euros. Aucune enseigne ne peut l'ignorer.

Cette dématérialisation du commerce les oblige à investir de nouveaux supports de vente. Inversement, les «pure players» d'Internet profitent du mur digital pour se rematérialiser. «Le smartphone l'impose. Il nous faut servir notre client partout, tout le temps, au cœur de la main sur son smartphone, sur ses genoux lorsqu'il consulte sa tablette», détaille Albert Malaquin, PDG de Rueducommerce.com.

Entre offre et pédagogie

Et la rentabilité dans tout ça? «Un mur digital exige de 30 000 à 100 000 euros. S'y ajoute le coût de développement de l'application, de 15 000 à 20 000 euros», estime Nicolas Lagrèze, cofondateur d'Adactive. Dès lors, quel retour sur investissement (ROI) en espérer? «Il ne sera pas immédiat», reconnaît Bernard Buono, vice-président de BETC. Carrefour et Casino ont-ils raison trop tôt?

«Il y a encore une prime au premier arrivé. Et un espace digital coûtera toujours moins cher que l'exploitation d'une supérette», répond Bruno Auret, de Raymond Interactive. «Il permet aussi de présenter des produits de manière très qualitative, bien plus que dans un hypermarché», ajoute Frédéric Guichard, directeur marketing de Danone Eaux en France.

De son côté, Rue du commerce dit faire dans la pédagogie: «Il s'agit d'éduquer le consommateur. Car tout dépend de son comportement et de son adaptation à ces nouveaux modes de consommation», observe Albert Malaquin. Et donc de l'offre. «Tout part de là. Il faut définir l'offre qui peut rendre service. Dépannage? Courses quotidiennes? Puis, il faut résoudre la logistique, la livraison ou le retrait de la marchandise», juge Bruno Auret.

Tous les scénarios restent ouverts. Sébastien Van Hoove, directeur général adjoint d'A2C, filiale de Gares & Connexions, qui gère les espaces commerciaux de SNCF, l'assure: «Nous irons plus loin. Nous mènerons d'autres tests avec d'autres distributeurs. Tout commerce innovant doit être testé en gare.»

Les murs digitaux auront leur place ailleurs. «Sur une aire d'autoroute lors des départs en vacances», suggère Bernard Buono, de BETC. Les centres commerciaux sont aussi intéressés pour la création d'espaces virtuels éphémères. «Ce serait à la manière d'un “pop-up store”», avance Sébastien Van Hoove. «Un centre commercial monétiserait alors son flux de clientèle», plaide Julien Jobard, d'Adactive. Resterait alors à ménager les susceptibilités: la Fnac pourrait s'agacer de voir un mur digital estampillé Rue du commerce ou Amazon en face de son magasin.

 

 

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Afficher la modernité d'une enseigne

Vice-président de BETC, Bernard Buono, expert en «retail», revient sur les enjeux du shopping interactif.

 

Que peut espérer un distributeur d'un mur digital?

Bernard Buono. C'est toute la question. Une enseigne alimentaire ne peut présenter que deux à trois cents références sur ces murs digitaux. C'est fort peu par rapport à l'offre d'un supermarché. Or, à Paris, le maillage des enseignes alimentaires est très dense. On voit mal un Parisien acheter un litre de Tropicana à livrer chez lui ! Il n'y a pas de retour sur investissement immédiat. En revanche, ce dispositif permet à une marque de montrer qu'elle se «digitalise». C'est un vrai sujet pour les enseignes non alimentaires, du type Darty, Fnac ou Toys'R'Us, qui démontrent ainsi combien elles sont modernes et innovantes.

 

Il s'agit de rester présent à l'esprit du consommateur?

B.B. Oui. Un Toys'R'Us n'a pas de problème de notoriété. Avec un mur digital, sa marque, connue du consommateur dans le monde physique, se fait cependant plus proche de sa clientèle. Et un Amazon pourrait entrer dans le monde physique en offrant une expérience d'achat plus concrète.

 

En temps de crise, l'essentiel n'est-il pas ailleurs?

B.B. Il est certain que les enseignes doivent hiérarchiser leurs priorités. Plus que jamais, la bataille est celle du prix. Pour bon nombre d'enseignes, investir dans un mur digital n'est alors pas essentiel.

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