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L'union entre télévision et Internet ouvre de nouveaux horizons aux fabricants, aux chaînes et aux régies. Les expérimentations se multiplient, les incertitudes aussi.

Le Consumer Electronic Show (CES), rassemblement annuel de fabricants hig-tech qui se tient traditionnellement en janvier à Las Vegas, a confirmé dans sa récente édition la métamorphose en cours du téléspectateur en télénaute.
«Le mariage entre la télévision et Internet a eu lieu, il est même consommé,
détaille Eric Scherer, directeur de la prospective à France Télévisions. Mais la gestation est longue et on ne sait toujours pas quand aura lieu l'accouchement. Il se fera quand il y aura de vrais usages.» Ce qui n'est pas encore le cas. D'après Médiamétrie, en 2012, seulement 13,9% des foyers français étaient équipés d'une «smart TV», ce téléviseur connecté à Internet.
La situation pourrait changer, selon le cabinet Deloitte, pour qui le nombre de télévisions avec une connectivité intégrée devrait dépasser les 100 millions d'unités dans le monde en 2013. En outre, les constructeurs continuent à innover.
Le 4 février, le fabricant sud-coréen Samsung a dévoilé un nouveau service audiovisuel. Doté d'un système de commande gestuelle et vocale, il analyse l'historique de visionnage de l'utilisateur, les programmes télévisés et vidéos à la demande ainsi que les applications les plus populaires pour faire des propositions affinées de programme aux utilisateurs. Mais cette offre ne serait pas encore au point. «La commande gestuelle et vocale peut détecter d'autres voix de la famille ou impliquer que nul ne bouge autour du téléviseur, estime Juliette Delfaud, chef du service étude et prospective de la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique). Cela reste un souci en recherche et développement [R&D] avec un taux d'erreurs trop élevé. On est dans le fantasme.»

Par ailleurs, Deloitte prévoit que seulement 15% des achats de téléviseurs seront motivés par la connectivité intégrée. De son côté, Médiamétrie relève qu'en France, à peine un quart des ménages équipés «déclarent avoir déjà utilisé l'une des fonctionnalités Internet proposées dans leur smart TV». Bref, les technophiles ont acquis une télévision connectable plus qu'une télévision connectée. C'est aussi le constat de l'étude rendue fin 2012 au Centre  national du cinéma et de l'image animée (CNC) par la société Quali Quanti. Laquelle y voit plusieurs raisons: l'ergonomie complexe, le manque de curiosité des acquéreurs vis-à-vis des fonctionnalités, l'usage trop compliqué de la télécommande et la concurrence frontale avec les box des fournisseurs d'accès à Internet (FAI).

Si l'on prend en compte les téléviseurs ayant accès à des services complémentaires via la box, la télévision connectée existe déjà. En 2012, 37,1% des foyers français bénéficiaient d'une réception par l'ADSL et la fibre, 24,7% via le satellite et 9% grâce au câble. «Les nouvelles box offrent des services analogues à la télévisée connectée, avec un navigateur Internet, note Juliette Delfaud. Mais, à la différence des fabricants, les opérateurs télécoms ont une connaissance du marketing, des contenus et des services.»

Nouvelle consommation télévisuelle

Il ne faudrait pas omettre de nouveaux acteurs, tel Microsoft. «Sa console de jeux Xbox est le premier moyen d'accès à la télévision connectée aux Etats-Unis», souligne Eric Scherer. Avec l'arrivée attendue des boîtiers de Google et Apple, son essor devrait s'accélérer. «Nous sommes aujourd'hui dans la situation du mobile au moment de l'arrivée du smartphone, analyse Julien Rosanvalon, directeur TV de Médiamétrie. Et le modèle n'est pas encore arrêté.»
Des positions sont donc à prendre, notamment pour les chaînes, éditeurs historiques du petit écran. A l'heure d'Internet, «elles doivent légitimer la relation construites pendant des années avec le public en trouvant les contenus adaptés aux différents canaux», estime Florence Leborgne, directrice d'études à l'Idate.
Elles y arrivent en partie, par exemple avec la télévision de rattrapage («catch-up TV»), puisque 16,2 millions d'individus avaient déjà utilisé ce service à la mi-2012, via les différents écrans disponibles.

Les consommateurs, pourvus en téléviseur et en ordinateur (76,7% des foyers français), diversifient en effet leur équipement. Fin 2012, 14,1% des ménages avaient succombé à la tablette, qui a connu un bond de ses ventes de 140% en un an, à 3,6 millions d'unités, d'après GFK. Et le smartphone, avec 13,5 millions d'appareils vendus durant la même période, a déjà séduit près de la moitié des foyers français.

Autre conséquence de cette démultiplication des écrans, le téléspectateur utilise de plus en plus au moins deux supports simultanément. A son retour du CES, Eric Scherer expliquait sur son blog Meta-media.fr qu'«un seul écran ne suffit plus à notre nouvelle consommation télévisuelle. Et les deux phénomènes à la mode du moment, TV connectée et “social TV”, ont au moins un grand point en commun: leur dépendance croissante vis-à-vis d'un écran compagnon, appelé “second écran”, qui dans les faits devient de plus en plus le premier!»

Aux Etats-Unis, en juin 2012, Ipsos Media CT a évalué à 60% la part des personnes connectées à un terminal tout en regardant la télévision. Ces télénautes envoient des mails ou des SMS, jouent et achètent en ligne. Ils sont également connectés aux réseaux sociaux et consultent des contenus liés aux programmes télévisés. Sur le marché français, «nombreuses sont les études montrant l'envie du public d'être plus associé aux programmes, atteste Florence Le Borgne, de l'Idate. Et certaines catégories, très actives par leurs commentaires, voudraient interagir en temps réel sur le contenu.»

De nombreux dispositifs grâce à la synchronisation

Les chaînes télévisées ont compris qu'elles pouvaient en tirer parti. Le 2 février, pour la deuxième saison de The Voice, la Une lançait sur son site Mytf1.fr l'application Connect, qui propose pour les grands événements des séquences vidéo à partager, des bonus, le «live tweet» et des jeux synchronisés avec le direct. Le groupe audiovisuel privé cherche à se doter «d'un outil de conquête du public”, justifie Olivier Abecassis, directeur général adjoint d'e-TF1.

M6 les avait précédés en lançant «Devant ma télé» pour quelques émissions phares comme Top chef, Un dîner presque parfait ou La France a un incroyable talent. «Dans de nombreux pays, les éditeurs ont laissé les fonctions sociales à des opérateurs existants, déplore le directeur général de M6 Web, Valéry Gerfaud. Nous voulons acquérir notre propre expérience.»
Si ces rivaux se félicitent du nombre de vidéos vues, d'applications téléchargées ou de leur audience sociale, comme le nombre de fans et de tweets en relation avec leurs programmes, aucun ne se place encore dans une démarche commerciale. Olivier Abecassis, d'e-TF1, explique que son premier travail consiste à développer l'usage et l'expérience autour des programmes. Son homologue à M6 Web, Christian Bombrun, indique, lui, être d'abord dans la pédagogie.

 

La synchronisation entre les écrans permet néanmoins d'imaginer de nombreux dispositifs publicitaires tels le couponing, le «brand content», la constitution de bases de données, etc. Des possibilités explorées ponctuellement par M6 Web, en novembre 2012 avec Orange et par de nouvelles marques en février 2013. Chez France Télévisions, Mercedes-Benz a investi tout au long du mois de février l'application Ipad du talk-show quotidien C à vous, qui offre pléthore de contenus vidéos sur l'émission (dernières éditions, best of, recettes, etc.).


En revanche, du côté des activités payantes du groupe Canal+, l'approche est plus mesurée. «La première étape pour nous consiste à transposer l'ensemble des chaînes du bouquet sur l'ensemble des écrans, ce qui sera effectif à la fin 2013, explique Maxime Saada, qui dirige les nouveaux médias. La deuxième étape porte sur le développement de fonctionnalités. On avance, mais ce n'est jamais fini, et il faut faire des choix. Quant à la troisième étape, elle concernera l'enrichissement de l'expérience télévisée.»

Cela a été fait avec l'application lancée sur le football, où l'utilisateur pouvait choisir l'angle de vue sur une action de match.

Et la social TV dans tout cela? «S'il s'agit de faire défiler les tweets en bas d'un écran, cela n'est pas très intéressant. Nous sommes d'abord dans la satisfaction de l'abonné», rétorque Maxime Saada. Pas toujours pas simple, dans l'incertitude ambiante, de distinguer ce qui se révélera à terme essentiel ou accessoire.

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