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C'est le métier qui monte dans les agences. Quel est le rôle et la mission de ce touche-à-tout ? Enquête.

Sur l'«open space» de Digitas LBI où nous retrouvons Julien Terraz, un vaste mur de Lego marque l'entrée du territoire des «creative technologists». «Les Lego symbolisent les pixels, mais aussi l'imagination, les deux composantes fortes de notre métier», indique le quadragénaire, nommé il y a deux ans creative technologist de l'agence digitale, filiale du groupe Publicis.

A l'époque, personne en France ou presque ne connaissait ce titre, venu tout droit des Etats-Unis. Aujourd'hui, ils sont une douzaine dans l'Hexagone à le revendiquer, répartis entre agences digitales et généralistes. «La frontière s'efface entre création et technologie, commente Perrine Grua, directrice générale France du cabinet de recrutement Aquent. La technologie aujourd'hui n'est plus simplement un moyen de réaliser des concepts, elle donne des idées de concepts.»

Parallèlement, le client qui arrivait avec un besoin se mêle désormais de technologie. «Avant, les annonceurs parlaient du résultat qu'ils voulaient obtenir. Aujourd'hui, ils ont tous un vernis technique et demandent du HTML5 ou du “responsive design” [une technologie Web censée fonctionner sur tous les supports: ordinateur, tablette, smartphone] avant même de nous dire ce qu'ils veulent en faire», raconte Florian Harmel, creative technologist chez Ekino, la filiale technique de Fullsix.

Le creative technologist est là pour répondre à toutes ces problématiques, et plus encore, il doit connaître sur le bout des doigts les technologies du moment, en imaginer les usages, être l'interlocuteur privilégié du client, mais aussi des équipes de l'agence auprès desquelles il fait œuvre de pédagogie… Une mission à multiples facettes, qui pourrait se résumer en trois mots: veille, expérimentation et transmission.

«La veille technologique, tout le monde en a toujours fait dans les agences, sans que personne n'en ait officiellement la charge, commente Guillaume Cartigny, director of creative technology depuis 2012 chez Being (TBWA). Le foisonnement des technologies, mais aussi des supports, justifie de confier ce travail à une personne identifiée. Et cette personne, c'est le creative technologist.» Avec une idée fixe, alors que la concurrence fait rage entre les agences: être le premier à utiliser les technologies émergentes.

Imaginer les usages

Pour écouter le marché, les réseaux sociaux sont un outil de choix. «La première chose que je fais en arrivant au bureau le matin, c'est regarder ce que les gens que je suis sur Twitter – essentiellement aux Etats-Unis – ont dit pendant la nuit» raconte Florian Harmel, qui confie sa crainte de rater une information essentielle s'il devait se déconnecter plusieurs jours d'affilée…

Les salons sont également indispensables pour traquer la nouveauté. Qu'il s'agisse d'événements spécialisés, comme le Mobile World Congress de Barcelone, le CES (Consumer Electronic Show) de Las Vegas, «Leweb», «Paris Javascript» ou les conférences régulières des éditeurs (les Tech Days de Microsoft, Google et autre Adobe), mais aussi de rassemblements plus éclectiques. «La Biennale du design de Saint-Etienne est une vraie source d'inspiration, confie Julien Terraz. On y voit de plus en plus d'installations digitales intéressantes.» Dernier incontournable: infiltrer le réseau des start-up technologiques afin de dénicher, en avant-première, la dernière trouvaille 3D ou le virtuose de la reconnaissance faciale. «Faire de la veille, c'est aussi trouver les bons partenaires», confirme Guillaume Cartigny.

Mais le dada des creative technologists, et leur principale valeur ajoutée, réside dans l'expérimentation. «On n'est pas des consultants en technologie, insiste Stéphane Maguet, l'alter ego de Julien Terraz chez Digitas. On est là avant tout pour imaginer les usages qu'on pourrait faire de tel ou tel langage, de tel ou tel logiciel. Et mettre les deux mains dedans!»

Leur arme de guerre: le prototypage. «Il est impensable de proposer quelque chose à un client sans avoir testé la techno et ce qu'on veut en faire avant. Ou sans pouvoir donner une estimation de coût, alors que les budgets sont de plus en plus tendus», commente Florian Harmel, qui travaille sur un dispositif de second écran destiné aux chaînes de télévision, une sorte de Shazam de la publicité, une application qui reconnaîtrait les spots télévisés et afficherait sur le smartphone ou la tablette du téléspectateur toutes les informations du produit vanté à la télévison…

Chez Digitas, le prototype est aussi un outil de communication à part entière: les «démos» sont filmées et mises en ligne sur le site Internet de l'agence. Leur vidéo sur les «objets connectés», la tendance du moment, a même été récompensée au Cristal Festival. «Un objet connecté, c'est un objet qu'on peut toucher à certains endroits, ou déplacer, pour déclencher des actions» explique Julien Terraz. Il n'est pas forcément bourré d'électronique: ce peut être une simple tasse à café, qu'il «suffit» alors de filmer avec une caméra 3D, reliée à un ordinateur, pour commander par exemple le déplacement d'une voiture virtuelle à l'écran…

Un parcours affirmé

Transmettre, partager leurs découvertes, c'est l'ultime mission des creative technologists. Ces dingues de technologie n'ont pas le profil du «geek» asociable. Ce sont des «passeurs» possédant de vraies qualités de communicants. «En interne, le dialogue avec les équipes, développeurs ou créatifs, est permanent», souligne Guillaume Cartigny, qui propose également des «innovative déj» à ses collègues tous les quinze jours. «On aborde une thématique à chaque fois, vient qui veut.»

Le creative technologist peut aussi être amené à rencontrer les clients, lors des appels d'offres auxquels il est régulièrement associé, ou lors de visites de présentation. «Je vais chez les plus gros annonceurs parler d'une technologie en particulier. C'est une façon de les initier, mais aussi de leur montrer ce que nous sommes capables de faire, parfois dans des domaines sur lesquels ils ne nous avaient pas identifiés comme prestataires potentiels», raconte Florian Harmel.

Autant de missions qui requièrent un solide bagage technique, une vraie curiosité, mais aussi une certaine «seniorité» professionnelle. «La plupart des creative technologists en poste aujourd'hui ont eu un parcours en agence. Savoir ce qu'est un client et comment fonctionne ce “business” est précieux, commente Perrine Grua, d'Aquent. Mais lorsque le métier sera installé, d'ici à quelques années, on peut très bien imaginer recruter des juniors formés directement à la double culture, technique et créative.»

 

sous-papier

Trois questions à Matthieu de Lesseux, coprésident de DDB Paris

Pourquoi avoir embauché un creative technologist?

M. de L. Le poste de creative technologist a été créé il y a deux ans, peu après mon arrivée. Aujourd'hui, le digital est partout dans les agences, et pas seulement chez les spécialistes. Il était nécessaire d'avoir quelqu'un qui soit notre référent sur les technologies émergentes utilisables dans le monde de la publicité.

 

Quelles sont ses principales missions?

M. de L. Il y en a deux: la veille internationale, complexe, mais qui repose en partie sur notre réseau mondial d'agences, et un dialogue permanent avec les équipes de créatifs. Chez nous, le creative technologist ne participe pas au brief. En revanche, il est là pour améliorer les idées des créatifs et les pousser le plus loin possible.

 

Pouvez-vous nous donner un exemple de collaboration?

M. de L. Récemment, nous avons organisé une course d'Austin Mini sur Facebook, la «Mini Maps». C'est Michael Paquereau, notre creative technologist, qui a suggéré aux créatifs de d'utiliser Google Earth pour faire circuler les voitures.

Entretien: L.C.

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