Dossier
Le digital a profondément bouleversé le marché des études. Consommateur polymorphe, émergence d'une nouvelle concurrence et avalanche de données poussent aujourd'hui la profession à repenser son métier et à innover pour donner une nouvelle valeur aux études marketing.

De nombreuses mutations ont secoué le monde des études ces dernières années. L'arrivée d'Internet à la fin des années 1990 a d'abord poussé les instituts à développer un nouveau mode de recueil, l'étude en ligne. Mais ce n'était rien comparé à ce que le tsunami digital engendre aujourd'hui comme bouleversements. Nouvelles approches, nouvelles méthodes d'analyse et course à l'innovation, le métier danse sur des sables mouvants. Et pour cause, le consommateur, sujet des études, est de plus en plus insaisissable. Avec près de 72% d'internautes en France et la démocratisation des terminaux qui permettent de se connecter partout, tout le temps et plus longtemps, le consommateur a lui aussi effectué sa mutation. «Il construit son identité d'une façon beaucoup plus souple», remarque Maria Di Giovanni, directrice associée de Sorgem, il est «de plus en plus polymorphe et de plus en plus paradoxal. Difficile donc de l'aborder comme une cible au sens traditionnel du marketing», ajoute-t-elle.

Le consommateur, qui est entré en dialogue avec les marques, demande à ce qu'on l'interroge et à ce qu'on communique avec lui de manière différente, plus personnalisée. Or son identité, ou ses identités multiples, qu'il déploie selon les points de contact, ont fait voler en éclats toutes les typologies et les socio-styles existants. Une réalité que doivent désormais prendre en compte les marques et donc les études marketing. Nathalie Perrio-Combeaux, coprésidente de Harris interactive France et Royaume-Uni, souligne ainsi l'importance de «s'approprier les outils et les supports de communication des consommateurs et de les détourner à des fins d'études». Il faut les suivre sur tous les points de contact et les intercepter au détour d'un rayon, à la sortie d'un avion ou d'une salle de cinéma. Les études en ligne se développent donc aujourd'hui sur de nouveaux supports. Que ce soit sur smartphone ou sur tablette, les consommateurs sont contactés via des objets qu'ils utilisent pour communiquer, pour jouer, pour s'informer ou encore pour acheter. Ce qui peut leur sembler bien moins intrusif qu'une enquête par téléphone ou en face à face.

3e révolution

Représentant 22% du chiffre d'affaires mondial des études, selon le Global Market Research 2012 d'Esomar, les études en ligne ont la cote. Aussi bien qualitatives que quantitatives, elles répondent aux principales problématiques des études traditionnelles, du marketing amont jusqu'à l'efficacité publicitaire, et sont le moyen d'accéder à tous les consommateurs, à tout moment, à moindre coût. Et il suffit de jeter un œil au programme du Printemps des études, qui se tiendra au Palais Brongniart les 4 et 5 avril, pour se rendre compte du bouillonnement et des réflexions qu'entraîne le digital, au-delà même des études en ligne. Au menu des conférences et ateliers de cette seconde édition: «big data», analyse de verbatim, écoute du Web social, digital sapiens, études mobiles... autant de sujets sur lesquels se penchent le monde des études et qui ont déjà provoqué une petite révolution. Pour Nathalie Perrio-Combeaux, le digital est un point de contact à privilégier car il est «utile en termes de sources, de recrutement, notamment pour les cibles rares. Vous trouvez par exemple les jeunes sur leur mobile, sur les réseaux sociaux mais pas tellement sur leur e-mail. Internet nous sert beaucoup à déceler les leaders d'opinion aussi». Pour Stéphanie Perrin, commissaire général du Printemps des études, «le digital permet surtout d'avoir un lien permanent avec les interviewés».

Un lien permanent entretenu notamment via la création de communautés. Publicis Consultants a ainsi intégré Free Thinking, un laboratoire de planning stratégique et d'investigation 2.0 fondé par Xavier Charpentier et Véronique Langlois pour détecter les attentes des consommateurs grâce à des communautés qu'ils rassemblent, animent et écoutent. Tendre l'oreille et prêter attention à ce que les consommateurs ont à dire, une tendance lourde qui ne cesse de se développer. En effet, la soudaine popularité et démocratisation des réseaux sociaux a changé la donne des études marketing.

Soudainement, les instituts ont eu accès à de la donnée spontanée, à un flux conversationnel incessant sur les marchés, sur une marque, sans même avoir à intervenir. Se sont alors développées des méthodes d'«écoute du Web social», spécialité de petits acteurs comme Linkfluence, devenu partenaire de CSA, ou d'entités créées spécialement à cet effet au sein des instituts comme OTX (Open Thinking Exchange) lancé l'année dernière chez Ipsos. Pour Frédéric Renaldo, directeur des solutions digitales chez CSA, l'écoute des réseaux sociaux permet d'«étudier les influenceurs du Web social, de les cartographier et de les suivre dans le temps» une analyse qui est ensuite complétée par une étude plus classique. Le but? «Identifier les influenceurs, les recruter et les faire s'exprimer et cocréer ensemble», souligne-t-il. Ce qui permet de mener une étude «au niveau macro, puisqu'on voit ce qui se dit à grande échelle, on le quantifie, et au niveau micro puisqu'on va chercher quelques experts pour les interviewer de manière qualitative».

Face à la montée en puissance des réseaux et des outils qui permettent de capter toute trace laissée derrière lui par un internaute, la data risque fort d'être l'un des enjeux majeurs de ces prochaines années. Car ce «big data» dont tout le monde parle bouleverse les approches des instituts d'études qui voient certains acteurs grignoter leur pré carré. Pour François Baradat, directeur marketing chez TNS Sofres, c'est même la «3e révolution» que subit le secteur après l'arrivée d'internet et la mobilité. «Si on a commencé à faire des études à une époque c'est parce qu'il n'y avait pas d'information. Aujourd'hui on est noyés sous la masse de données.» Ce qui pousse les instituts à remettre plus que jamais au centre leur rôle de conseil comme l'explique Eric Singler, directeur général de BVA: «Nous sommes dans un métier d'interprétation, la data est de plus en plus facile à obtenir et bon marché, mais ce qu'il faut c'est donner du sens à cette data et il faut des gens qui soient capables de le faire et qui maîtrisent extrêmement bien le secteur sur lequel ils interviennent

Pour Chloé Defours, directrice du développement commercial chez TNS Sofres, cette avalanche de données va pousser à un «rééquilibrage de ce qu'on doit demander au consommateur. Il va falloir repenser notre métier en fonction des données qui sont disponibles de manière passive», et ne pas demander ce que l'on a sous les yeux. Avec le développement des cookies et autre technologies qui permettent de suivre pas à pas ce que fait le consommateur, consentant, sur Internet, et qui enregistrent ses pratiques, la connaissance client atteint un niveau de finesse encore jamais égalé. Le must, allier la mesure passive aux questionnaires et à la mesure du non-verbal comme s'apprête à le faire Harris Interactive, qui, selon Nathalie Pierro-Combeaux «travaille actuellement sur des dispositifs méthodologiques qui vont au croisement des data, du déclaratif et des observations».

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