Dossier
Il aura fallu attendre Internet et le développement du multi-écran pour que les marques B to B osent enfin s'affranchir des lourdeurs du marketing direct.

Mais comment faisaient-elles avant? Un retour de dix ans dans la mémoire de la communication «business to business» (B to B) suffit à comprendre qu'Internet a marqué une rupture dans la manière dont les entreprises s'adressent les unes aux autres. Fini la grisaille et la facture didactique des bons vieux mailings postaux. Les dispositifs et campagnes business to business empruntent de plus en plus franchement aux codes de la communication business to consumer. Une révolution créative qui doit beaucoup au digital.

«Le Web a beaucoup joué dans la porosité entre B to B et B to C. Tout d'abord parce que la finesse du tracking et du ciblage permet de toucher des individus autant que des fonctions. Ensuite parce que les écrans mobiles ont brisé les frontières entre vie professionnelle et vie personnelle», explique Jérôme Guilmain, directeur du marketing et de la stratégie de Kompass International.

Il y a deux ans, la société française, spécialiste du marché de la donnée pour les entreprises, a amorcé un virage assez net dans sa communication. Pour la première fois, Kompass s'est offert de l'espace publicitaire sur les écrans de France Télévisions, et en prime time. Une opération à visée d'image, très orientée corporate, avec un objectif clair: capter l'attention de ses clients professionnels pendant qu'ils sont en famille. Le pari est audacieux, mais il paie. En peu de temps, le site web de Kompass a vu son audience grimper de 15%.

Aujourd'hui, l'entreprise, qui s'est longtemps présentée comme le «leader de l'information B to B», a opté pour une formule plus en phase avec la culture digitale:«Connects business to business». «Toute notre communication business passe aujourd'hui par le digital. Notre modèle économique repose sur le Web, nous devons donc communiquer par le Web» , souligne Jérôme Guilmain.

S'imposer face à Orange

Autre contexte, autre problématique, mais processus assez identique. En 2011, avec la saga «Lambert et son patron», SFR Business Team est la première marque B to B a décrocher le grand prix Effie de l'efficacité publicitaire. Les moyens mis en œuvre par SFR (matraquage en télévision et important dispositif digital) sont alors à la dimension des enjeux commerciaux: il s'agit en effet de s'imposer face à Orange, archi-leader sur le marché des entreprises et notamment des PME.

Pour y parvenir l'opérateur décide d'abolir des frontières traditionnellement cultivées entre communications B to B et B to C. «Trois ans après cette stratégie B to B to C, la marque est installée. Il s'agit maintenant de convaincre, en privilégiant le contenu», explique Anne Philippot, directrice publicité média et brand management de SFR. Exit les écrans télé, la marque B to B a pleinement investi l'écosystème digital: site Web, réseaux sociaux, leads, livres blancs numériques sur le cloud ou le travail collaboratif... «En B to B, les messages sont plus complexes qu'en B to C. En outre, il est très dispendieux de s'adresser à tous pour ne toucher que certains. Il faut donc miser sur un ciblage très fin. Ce que le digital est seul à permettre», ajoute Anne Philippot.

En B to B, où le temps d'acquisition d'un client est plus long qu'en B to C, le contenu a toujours été payant. Le Web ouvre ici des perspectives précieuses: possibilité de mettre en ligne des contenus variés hyper-ciblés et d'interagir avec les décideurs, création d'espaces de proximité via les réseaux sociaux. La communication commerciale peut ainsi s'inscrire frontalement dans une logique de services. «Le digital a changé les codes et les processus de décision des entreprises. Près des trois quarts des acheteurs procèdent à une recherche d'information en ligne avant d'engager le dialogue avec les vendeurs», explique Stéphane Munier, directeur de Stein IAS, agence spécialisée dans la communication B to B.

Sortir de la discussion commerciale classique

Les médias digitaux sont de fait de plus en plus fréquemment utilisés comme des auxiliaires de pré-vente. Tetra Pak France vient par exemple d'ouvrir un site Web accessible via écrans mobiles pour permettre à ses clients d'avoir à tout moment accès à leurs données de production. Le leader mondial de la production d'emballages pour liquides alimentaires entretient depuis soixante ans une relation d'autant plus étroite avec ses clients que ceux-ci sont relativement peu nombreux, le marché du lait et des jus de fruit étant fortement concentré sur quelques grands acteurs, comme Lactalis ou Candia.

«La communication de la marque vers les entreprises doit s'inscrire dans une logique de service à forte valeur ajoutée. Il s'agit de sortir de la discussion commerciale classique pour proposer des idées, des pistes d'innovation, des leviers partagés de performance», explique Anne-Sophie Verquère, responsable communication et environnement de Tetra Pak France. La filiale française s'apprête ainsi à lancer en septembre 2013 une plateforme de contenu B to B accessible à ses clients, aux acteurs du marché, mais aussi au grand public intéressé par les questions industrielles ou environnementales.

Confiée à l'agence Le Fil, alimenté par des journalistes professionnels, ce site se veut un média à part entière, où la marque Tetra Pak se met en retrait pour privilégier un éditorial de facture générique. «Dans nos secteurs industriels, la digitalisation de la communication est sans doute moins spontanée qu'ailleurs. Le fait de proposer à nos clients un outil de partage, c'est aussi leur permettre d'accélérer la modernisation de nos marchés», souligne Anne-Sophie Verquère.

Toutes les marques B to B sont en train de faire basculer tout ou partie de leur communication vers le digital. «En 2012, pour la première fois, l'achat d'espace sur Google a supplanté les annonces en presse traditionnelle», explique Marc Calliot, directeur marketing de Xerox France. Une enveloppe digitale où le search pèse plus de 70%. Même les secteurs les moins perméables aux évolutions culturelles, comme le ministère de la Défense, prennent le pli.

«La culture de la confidentialité des entreprises de Défense ralentit nécessairement le développement des interfaces en ligne, notamment des réseaux sociaux. Aujourd'hui, 80% des budgets de communication du secteur sont investis dans de l'éditorial, avec un poids non négligeable de la presse papier. Mais ce volet éditorial s'ouvre de plus en plus aux newslettters en ligne et aux blogs de journalistes spécialisés», explique Bruno Grancoin, directeur de Pema 2M, agence spécialisée dans l'aéronautique et la Défense.

Impératif d'engagement

La chaîne de la communication B to B se déploie au fil d'étapes qui se sont multipliées à mesure que les usages d'achat des entreprises ont évolué: notoriété, considération de la marque, recensement d'information, évaluation, sélection, décision d'achat. Pour les marques, la posture est devenue plus complexe et la stratégie plus «chirurgicale». Il s'agit en effet, pour chaque problématique, d'intervenir au bon moment avec le bon message en utilisant le bon outil. «Plus on travaille sur les fondamentaux et les offres lourdes, plus on va mobiliser les approches amont, la réflexion, les contenus, l'échange. Pour la communication plus frontalement commerciale autour de nos offres “commodity”, la communication se concentrera en aval de la chaîne sur les outils plus opérationnels», explique Marc Calliot de Xerox.

Dans un contexte B to B, la rareté des clients renforce mécaniquement l'impératif d'engagement. Les entreprises, les marques se doivent de privilégier une approche respectueuse et des contenus intelligents. «Six acheteurs sur dix ont une idée précise de ce qu'ils veulent acheter», note Marc Calliot. Bref, inutile de saturer les cibles par des messages qu'elles ne sont pas prêtes à recevoir. Ce que les communicants anglo-saxons résument par la formule: «Please don't disturb me while I ignore you».

Dans cette logique de service et de partage, les réseaux sociaux apparaissent comme de précieux alliés. Premier cabinet d'avocats d'affaires en France avec plus de 1 300 personnes, Fidal a vite saisi les opportunités d'une forte présence sur les réseaux sociaux. Pages «entreprises» sur Facebook, Linkedin et Viadeo, films institutionnels sur Twitter sont venus compléter le blog récemment ouvert par le cabinet. Pilotée par la direction de la communication, cette stratégie sociale vise un double objectif d'affinité et de développement d'audience: il s'agit de partager les expertises de ses avocats, les actualités sur le monde de l'entreprise avec une audience élargie de chefs d'entreprise, prescripteurs et décideurs du monde économique. Parallèlement, le cabinet multiplie à partir de ces vitrines des actions ciblées: événements twittés en direct, animation de groupes de discussion...

«Les réseaux sociaux sont très précieux pour identifier et analyser les différentes problématiques métiers», note Stéphane Munier. Leur potentiel pour les marques business to business ne doit pas néanmoins masquer certaines contraintes. Contrairement aux pratiques du B to C, la gestion sociale des marques B to B peut très difficilement être sous-traités. Il est donc nécessaire d'impliquer un pool de personnes bien identifiées dans l'organisation.

Versions monétisées des réseaux sociaux, les plates-formes de crowdsourcing font également leur apparition dans le monde de la communication business to business. A l'image de Creads, première agence française de communication spécialisée dans le crowdsourcing, créée par Julien Mechin et Ronan Pelloux. La plate-forme fédère une communauté de 50 000 créatifs professionnels freelance, qui peuvent s'inscrire à tout moment pour participer à des concours en ligne de création de logos, de noms de marques, de bannières. Une entreprise qui souhaite réaliser un logo ou un site Web peut recevoir jusqu'à cent projets, qu'elle a la liberté de départager.

Objectif de cette nouvelle agence de crowsourcing B to B: fournir aux clients entreprises une prestation moins chère que celle proposée par les agences installées. Creads revendique près de 1 000 clients, parmi lesquels de grandes marques institutionnelles comme Areva, La SNCF ou la Société Générale. Si le digital a proprement révolutionné la communication B to B côté annonceurs, il ouvre aussi des perspectives inédites pour les agences.


(encadré)


Réseaux sociaux, doucement mais sûrement


Le site B 2 B Connected a analysé en mai 2013 les pratiques des directions marketing B to B en France sur les réseaux sociaux. Pour 40% des entreprises interrogées, les activités sur les médias sociaux sont gérées par le responsable/directeur marketing, 36% par les chargés de communication. Dans 36% des cas, l'animation des réseaux sociaux mobilise diverses personnes selon le type de message à diffuser. Mais dans près de 20% des entreprises, c'est le responsable du marketing digital qui s'y colle. Concernant les investissements à court et moyen terme, 60% des entreprises déclarent avoir au moins un projet relatif aux médias sociaux: 33% prévoient un projet de formation des équipes internes, 20% envisagent d'intégrer leurs solutions de gestion des médias sociaux avec leurs outils de lead management. Le reste envisage de recruter des personnes dédiées (13%) ou d'externaliser l'activité à une agence (13%).

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