télévision
Le monde du cinéma, à la recherche de nouveau leviers de croissance, se tourne de plus en plus vers celui de la télé. Les studios et les producteurs ont trouvé de nouveaux débouchés dans la petite lucarne.

Le fossé entre le petit écran et le grand se comble. La preuve: début octobre, à Cannes, au Mipcom, ce sont des personnalités du monde du cinéma qui ont été honorés et pieusement écoutés, tels Jeffrey Katzenberg, président de Dreamworks Animation, ou Roma Khanna, président télévision et digital de MGM (lire entretien). Le mouvement est le même en Europe et en France. Notre Luc Besson national et sa société Europacorp, qui a déjà signé les séries Le Transporteur pour M6 et No Limit pour TF1, récidive. La société de cinéma produit actuellement Taxi Brooklyn, déclinaison en 12 épisodes de la célèbre franchise cinéma. Toujours pour la Une, Gaumont travaille de son côté sur une série hospitalière, Interventions, et associé à Alain Goldman, producteur de La Môme et La Rafle, prépare aussi Résistance, série en 6 volets.

«Ce mouvement a été amorcé avec les studios américains, comme Warner Bros pour TheMentalist ou Sony Pictures avec Blacklist qui arrive bientôt, observe Sahar Baghery, responsable études et clientèle chez Eurodata TV Worldwide. Ces groupes ont développé des partenariats avec des sociétés de production spécialisées dans la télévision, comme l'américain Liongates, associé dans un projet avec l'allemand Tandem Communication... racheté début 2012 par Studio Canal.»

La création change de camp

En fait, les premiers à sauter le fossé qui, à l'époque, séparait le monde du 7e art de celui de la télévision, ont été les comédiens. L'arrivée de Meryl Streep dans la série Holocauste en 1978 a été une révolution. Jusqu'aux années 2000, la télé souffrait d'un déficit d'image important vis-à-vis d'un cinéma qui osait et innovait. Depuis, la création a changé de camp. Le cinéma d'aujourd'hui fonctionne surtout avec des franchises (X Men, Fast And Furious, Superman...) plutôt destinées à un public d'adolescents. Dans le même temps, les chaînes payantes, dont la vision n'est plus concentrée sur le court terme, se développent et prennent de plus en plus des risques éditoriaux. Elles recherchent des programmes fidélisants, en particulier des séries (lire page xx) afin de créer des rendez-vous.

«Canal+ a tout fait pour attirer les talents du cinéma vers la télévision, notamment grâce à notre "création originale", affirme Manuel Alduy, directeur du cinéma chez Canal+. Le statut de la télé est désormais équivalent à celui du cinéma. De plus, la demande des marchés domestiques est croissante et les chaînes thématiques réclament des programmes identitaires.» Ce transfert profite aux chaînes gratuites qui bénéficient aussi du savoir-faire du monde du cinéma. «Ces entreprises sont très fortes sur deux points, note Philippe Bony, directeur général adjoint de M6 en charge de la production fiction. Elles maîtrisent très bien le marketing, notamment pour le lancement, une période primordiale pour un film. Ensuite, elles possèdent un excellent savoir-faire pour l'exportation.»

Car, justement, la télévision, outre l'aspect créativité, est aussi apparue comme un levier de croissance très intéressant pour les entreprises de cinéma. «Le terrain était favorable, car les studios de cinéma possèdent déjà les histoires et des bases de scénarios, relève Manuel Alduy de Canal+. Ils possèdent aussi les talents pour la fabrication.» Touché par la crise, le monde du cinéma se tourne donc logiquement vers la télé, comme Europacorp qui, en 2010, rachète Cipango, producteur de fictions TV. «Luc Besson était dans une logique de diversification», explique Thomas Anargyros, cofondateur de Cipango, devenu Europacorp Télévision. Cette opération répondait aussi au besoin de trouver un autre modèle économique.

En effet, une série TV, surtout si elle est reconduite d'une saison sur l'autre, permet d'assurer des recettes pérennes. Toutefois, tempère Thomas Anargyros, «contrairement à la télé, le retour sur investissement peut être très important au cinéma». Dans ce cas, il faudra attendre alors le retour des recettes des entrées en salle. En télévision, le producteur, qui doit tout de même supporter certains risques financiers, bénéficie d'un paiement avant la diffusion. Autant d'arguments économiques auxquels les studios de cinéma, souvent cotés en Bourse et à la recherche d'activités stables, sont très sensibles.

Reste le point sensible de la production. «Les modes de fabrication sont différents entre le cinéma et la télévision, indique Manuel Alduy. Même si les techniques sont similaires, on ne fabrique pas une œuvre unitaire comme une série télé qui doit être de qualité égale sur la durée.» Ainsi, en télévision, le label d'un grand nom, comme Steven Spielberg ou Luc Besson, ne suffit pas pour assurer le succès. Contrairement à une salle de cinéma où un spectateur qui part en cours de séance à tout de même payé sa place, à la télé, la sanction est lisible quasiment en temps réel, avec la fuite des spectateurs.

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