Ils scrutent, observent et analysent. Des cabinets de tendances aux instituts d'études en passant par les agences, ils décèlent les évolutions des modes de consommation et les tendances sociétales. Des "prédictions" qui nourrissent les marques.

Cabinets de prospective, instituts d'études, agences de communication... les tendances sont aujourd'hui devenues un marché sur lequel se battent de plus en plus d'acteurs. Elles sont même devenues «un enjeu pour tout le monde», selon Loïc Mercier, directeur du planning stratégique de Proximity BBDO. La course à la nouveauté réveillerait ainsi en chacun de nous cette part plus ou moins enfouie de trendsetter. «Nous sommes tous des influenceurs et il y a presque une pression sociétale à être au courant de tout ce qui fait, ajoute-t-il. Avoir une information le premier a aujourd'hui une véritable valeur.»

Face à ces consommateurs à l'affût de tout, les «chasseurs de tendance» doivent donc régulièrement dégager des «tendances de plus en plus pointues», glisse Sophie Grenier, sociologue et directrice de l'innovation et de la prospective chez Dragon rouge. «Le consommateur est de plus en plus expert et s'il y a vingt ans, les tendances se résumaient à de grands "clusters" comme la douceur, la féminité, etc., aujourd'hui il faut qu'elles soient beaucoup plus précises», ajoute-t-elle.

Si les méthodes varient selon les acteurs, l'objectif ne diffère guère: trouver ce qui agitera les foules dans un laps de temps de un à cinq ans, et analyser les signaux faibles pour déceler les tendances émergentes. Il ne s'agit ni de prédire le futur ni de jouer les oracles pour industriels en mal d'idées mais bien d'analyser ce qui existe, de décrypter les comportements et de les contextualiser pour évaluer le potentiel de transformation des signaux glanés aux quatre coins du monde.

Chez Nelly Rodi, qui édite chaque année neuf cahiers de tendances, ce sont 70 collaborateurs (dont la moitié est implantée dans une vingtaine de pays hors de France) qui défrichent, analysent et mettent en perspective ce qu'ils observent. «Nous captons les signaux faibles dans trois domaines: nouvelles esthétiques, comportements de consommation, retail, et nous les croisons pour en déduire des thématiques, des scénarios créatifs qui guideront le marché sur dix-huit mois», déclare Pierre-François Le Louët, président du bureau de tendances fondé en 1985. Pourquoi dix-huit mois? «C'est le temps nécessaire au développement d'une innovation qu'on porte à long terme.»

Même principe chez Peclers, qui publie chaque année Futur(s), un ouvrage imposant (3,5 kilos) mettant en lumière des thématiques issues de l'observation de signaux annonciateurs de l'évolution du monde. Eclairé de cas et, nouveauté pour l'édition 2014, illustré de propositions créatives imaginées par des étudiants du prestigieux Strate College de Sèvres avec lequel collabore le cabinet de prospective ouvert en 1970, cet ouvrage, comme ceux d'autres cabinets comme Carlin ou Promostyl, pour ne citer que les plus connus, trouve sa place aussi bien entre les mains des présidents d'entreprise que des directeurs marketing ou de R&D qui cherchent de nouvelles pistes.

Cas innovants

Une cible également visée par les instituts d'études qui sondent l'air du temps à leur manière. En 2009, l'Ifop s'est doté d'un planning stratégique qui édite depuis Trends, des cahiers de tendance annuels ne se nourrissant pas d'«une interrogation du consommateur mais du repérage de signaux faibles et de la data disponible via les médias», indique Martine Ghnassia, directrice du planning stratégique. Présents en Europe, aux Etats-Unis et au Japon, les chasseurs de tendance de l'Ifop font remonter des cas innovants, «et leur double culture d'Européens ayant un ancrage dans les pays que l'on observe leur permet de comprendre dans quel contexte l'innovation se diffuse et comment l'annonceur va pouvoir mettre ça en œuvre», précise Martine Ghnassia.

Chez Ipsos, le département Tendances & Insights mène de grands observatoires et est en veille permanente. «Le cœur de notre métier c'est d'observer, note Rémy Oudghiri, directeur du département, mais aussi de prioriser et de mettre en scène nos résultats.» Avec une dizaine de personnes à Paris, le département tire profit des renseignements fournis par des correspondants, eux aussi basés en Europe, en Asie et aux Etats-Unis, régulièrement chargés d'interroger des trend-setters en suivant les directives fournies par la maison-mère. «Les trend-setters sont de super-observateurs, souligne Rémy Oudghiri. Ils ne sont pas focalisés sur une thématique mais ont un esprit ouvert à toute nouveauté.»

Interroger, observer des personnes clés, cela permet de faire remonter des signaux dont ces dernières elles-mêmes n'ont pas forcément conscience. Landor a ainsi créé ses Landor Families, une sélection de familles dont les comportements sont scrutés à la loupe depuis 2007. «Ce qui nous intéresse, ce n'est pas ce qui change mais pourquoi ça change, indique Luc Speisser, président de Landor France. Nous les observons sur la durée pour déceler des opinions, des attitudes qui commencent à évoluer et qui peuvent préfigurer des changements de comportements durables.»

Puisque la parole est d'or, c'est justement en faisant échanger les consommateurs sur une thématique grâce à une plateforme en ligne privée que les experts de Free Thinking (Publicis) trouvent les pépites invisibles. «Nos planneurs puisent dans la parole des gens pour dénicher les insights, explique Xavier Charpentier, cofondateur de l'agence. Nous faisons du planning collaboratif. Nous animons 250 communautés composées de personnes considérées comme de véritables partenaires.»«Les planneurs ne sont pas des chercheurs mais des trouveurs», conclut-il.

Les contours des métiers évoluent

Des trouveurs capables d'extirper la bonne tendance de la masse et de l'adapter à un besoin précis d'un client. Car dans la folle course à la tendance, les différents cahiers annuels et autres productions «sont en permanence challengés, observe Luc Balleroy, directeur général d'Opinion Way, et ils ne sont intéressants que si nous sommes capables d'adapter ces tendances à nos clients».

Ainsi, face à la multiplication des acteurs de la chasse à la tendance, le conseil est aujourd'hui une compétence de plus en plus recherchée par l'annonceur. «Mais depuis quelques années, le contexte de crise fait que les budgets se sont réduits et que l'on nous demande davantage de résultats, observe Rémy Oudghiri. Face à cette demande de plus en plus grande, nous accompagnons désormais le client à sélectionner les bonnes tendances et à en évaluer les potentiels pour son business.» 

Même son de cloche chez Ifop: «Une fois qu'ils ont identifié la tendance qu'ils souhaitaient exécuter, les directeurs marketing se demandent comment ils doivent le faire.» Martine Ghnassia et Isabelle Grange ont donc lancé la «Box Trends Creation», «une méthodologie de transformation des inspirations en idées opérationnelles pour les marques» qui accompagne le cahier Trends.

Résultat, les contours des métiers évoluent et les frontières entre les missions des agences, des instituts et des cabinets deviennent plus floues. Pour Patrick Faure, directeur du planning stratégique de l'agence d'activation Geometry Global, «les cabinets de tendances permettent d'illustrer les nouvelles tendances mais pas de les découvrir».«Le problème, regrette Loïc Mercier, c'est qu'aujourd'hui tout le monde y va de ses tendances. Si notre travail de planneur auparavant était de déceler les tendances, aujourd'hui il s'agit plutôt de faire le tri dans toutes celles qui émergent.»

Mise en pespective

Faire le tri et les adapter précisément aux problématiques des annonceurs, mais surtout à leurs cibles. «Le sujet pour nous n'est pas de se dire quelles sont les tendances mais savoir si telle tendance est une réponse à un besoin de la cible particulière à laquelle je m'intéresse, et non à un besoin de la société», ajoute Loïc Mercier. «Le planning intervient en amont d'un sujet pour injecter de l'air du temps mais aussi du benchmark et surtout de la connaissance consommateur, analyse Nicolas Orsoni Durand, planneur chez Saatchi & Saatchi Duke. Le planneur doit savoir ce qui évolue dans l'esprit des consommateurs et il doit avoir un point de vue, un avis.»

Mais comment se faire un avis sur un signal faible? «Nous ne sommes pas des devins, prévient Valérie Planchez, directrice de la prospective et de l'innovation chez Saatchi & Saatchi Duke. Lorsque nous repérons une potentielle tendance, nous la mettons en perspective. Le but est vraiment de montrer sur quel terreau la tendance va évoluer à un an, deux ans et surtout s'assurer qu'elle ne bouge pas pour les dix années à venir.»

Un constat que partage Sophie Grenier, qui réalise chaque année de A à Z pour Dragon rouge une étude sur les grandes tendances de la consommation: «Nous ne pouvons pas nous permettre la saisonnalité; une tendance doit pouvoir être pérenne pendant trois, cinq ans lorsqu'on la propose à un annonceur.» Mais la difficulté est bien de «déterminer la durée de vie d'une tendance et de faire le tri entre tendance lourde et micro-tendance, indique Loïc Mercier,de Proximity BBDO, d'évaluer l'impact que celle-ci va avoir sur les affaires ou sur l'entreprise nous permet de le faire.»

Mais cette notion du «bon moment» se retrouve à un autre niveau car si une marque qui manque une tendance lourde peut rapidement «être déréférencée et mourir», selon Loïc Mercier, sauter sur une tendance trop tôt lorsque celle-ci n'est encore qu'embryonnaire, ou le faire à mauvais escient, peut être contreproductif. «Si Dove avait tenu son discours sur toutes les beautés il y a dix ans, alors que nous étions en plein glamour hollywoodien incarné par L'Oréal, ça n'aurait pas fonctionné», illustre-t-il.

Attention toutefois, conclut Loïc Mercier, «il y a des marques qui s'en sortent très bien sans être nécessairement dans la tendance, car une frange de la population n'en a rien à faire, et il faut aussi satisfaire ce segment de la population.» Une tendance de fond à conserver à l'esprit !

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