Le credo du retour sur investissement

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Oubliez « Ebitda », apprenez « ROI ». Férus de termes anglo-saxons, les professionnels des agences médias - et ceux de la communication en général - ont donc ajouté une nouvelle expression à leur vocabulaire : Return On Investment. En français, retour sur investissement. Car, désormais, en plus d'atteindre un objectif de couverture sur une cible, un plan médias doit prouver son efficacité. En clair, il doit faire vendre. Ou, à tout le moins, y contribuer. Aujourd'hui, le ROI alimente tous les briefs des annonceurs et les recommandations des agences médias.

Comme un boomerang

« On sentait venir ce mouvement depuis longtemps, et il était temps que les annonceurs s'en préoccupent,note Daniel Saada, le président de ZenithOptimedia.La publicité n'est pas une dépense improductive mais un réel investissement. »L'agence médias de Publicis Groupe a joint le geste à la parole. Dans le courrier promotionnel où elle présente son nouveau logo, ZenithOptimedia offre un boomerang, cet engin qui a la faculté de revenir vers son expéditeur.« La demande prioritaire reste la productivité, mais elle doit être de plus en plus efficace »,ajoutent Bruno Kemoun et Eryck Rebbouh, les coprésidents de Carat (Aegis).
Cette prise de conscience de l'importance du retour sur investissement chez les dirigeants d'entreprise n'est pas vraiment récente, mais il semble qu'elle se soit récemment amplifiée. Crise économique aidant, sans doute.« Toutes les marques sont sous pression,indique Pierre Conte, le président d'OMD France (Omnicom).La moindre ligne de charges est auscultée, et celle que les sociétés sont le plus tentées de retoucher est celle du marketing. De plus en plus souvent, au sein des entreprises, nous avons en face de nous un couple formé par la direction du marketing et celle des achats. »

Obligation de résultats plus que de moyens

Cette tendance lourde ne semble pas contrarier les agences médias. Au contraire. Selon leurs dirigeants, l'efficacité est naturellement inscrite dans leur métier de conseil et d'achat médias.« La mesure de l'efficacité n'est pas un problème, et le phénomène n'est pas totalement nouveau,explique Bertand de Lestapis, président-directeur général de MPG France (Havas).Il est même le fondement de notre agence. »Une observation partagée par la quasi-totalité des acteurs du marché français.« C'est le concept même de Mindshare,assure la présidente de l'agence (WPP), Annie Loncq.Les demandes des annonceurs me paraissent logiques. Il est normal de justifier là où l'on s'engage. » « Dès le départ, notre réponse était construite sur l'efficacité,renchérit Bruno Poyet, le président de Climats Médias.Nous sommes dans une obligation de résultats plutôt que de moyens. »
Le « phénomène ROI » est l'occasion pour les agences médias d'intégrer un travail réalisé auparavant par d'autres.« Les grands annonceurs s'aperçoivent qu'il n'ont plus de réponse sur l'efficacité des ventes au sein de leur agence de création,affirme Stéphane Bodier, directeur général d'Initiative Media (Interpublic).D'un autre côté, les sociétés d'études ne sont plus dans le coup, il est donc naturel que les entreprises se tournent vers nous. »Comme le confie Pascal Clavreux, président d'Universal McCann (Interpublic),« il y a une demande permanente de réassurance de la part des annonceurs. Ils ont besoin d'études. Il faut de plus en plus justifier les choix. Il y a une obsession du retour sur investissement. Nous n'avons jamais autant travaillé sur des alternatives de campagne, des hypothèses de rephasage, des remises en question... »
Pour répondre aux demandes de ses clients, chaque agence médias est ainsi armée d'une batterie d'outils : études, bases de données et logiciels de modélisation.« Beaucoup de paramètres, dont les médias, existent pour évaluer l'efficacité,poursuivent Bruno Kemoun et Eryck Rebbouh.Mais il n'est pas aisé de mettre en évidence la part de la stratégie des moyens dans le résultat final. »Le développement de ces nouveaux outils nécessite globalement des investissements importants, mais le coût est généralement supporté par le réseau international, plutôt que par l'agence localement. En effet, l'avantage de ces instruments est qu'ils s'inscrivent dans une démarche initiale identique quel que soit le pays.

Remise en cause du « médiaplanning de papa »

Avec l'efficacité comme mesure, le « médiaplanning de papa », fondé sur des résultats d'audience, pourrait être remis en cause. Loïc Challier, président de Starcom (Publicis Groupe), rappelle que le métier des agences médias est« un métier de conseil et non de presse-bouton comme certains ont pu le penser ».D'ailleurs, reprend-il,« on demande aujourd'hui à nos collaborateurs d'être des experts des médias aussi bien que des consultants de marketing ».Un profil d'école de commerce pourrait devenir le standard dans les années qui viennent.« Il s'agit de consultants seniors,renchérit Daniel Saada.Ils s'appuient sur une somme de spécialistes. Ils deviennent encore plus proches des clients et créent ainsi un meilleur climat de confiance. C'est en ce sens que le métier évolue. Car si le produit fini est identique, le moyen d'y arriver est plus ambitieux. »
Bertrand de Lestapis remet même en cause les actuelles enquêtes d'audience :« On arrive à une nouvelle approche des résultats. Les nouvelles technologies permettent d'obtenir des mesures fiables, comme celle de la contribution des médias à l'efficacité. Les annonceurs devraient y être attentifs un peu plus souvent, au lieu d'être obnubilés par les coûts du GRP ou les niveaux d'audience de leurs campagnes. »Quitte à se passer des études de mesures d'audience actuelles ?« Presque, car les mesures actuelles n'ont qu'une pertinence éditoriale. »Un avis tranché qui n'est pas partagé par tous.« Il s'agit de données complémentaires,estime Sylvie Decante, présidente de Mediacom Paris (Grey).Elles agissent sur le choix des moyens. Les mesures d'audience traditionnelles permettent, elles, l'optimisation du plan. »
Pour les agences médias, la recherche d'une meilleure efficacité suppose une charge de travail supplémentaire ainsi que des investissements.« Nous sommes au début d'une prise de conscience concernant la mesure de l'efficacité,avance Éric de Rugy, président de Mediaedge : CIA (WPP).Les annonceurs ont envie d'en savoir plus, mais ils ignorent encore comment s'y prendre, et, surtout, ils n'ont pas dégagé le budget nécessaire. »Cela pose bien évidemment la question de leur rémunération.« Nous observons une baisse des revenus de 5 % sur les clients acquis, à cause de la baisse des investissements et de la renégociation des rémunérations, mais la masse de travail, elle, n'a pas diminué de 5 % »,note Pascal Clavreux.« Notre champ de compétences s'élargit pour gagner en cohérence,explique Loïc Challier.Nous évoluons vers un métier de consulting, et il est toujours compliqué de rémunérer un service. »Bref, l'annonceur rechignerait à payer le « juste prix » quand il s'agit de régler les prestations des agences médias.« Aujourd'hui, les grands annonceurs nous confient des missions qu'ils donnaient avant à d'autres que nous,note Stéphane Bodier.Mais ils ne nous ont pas pour autant accordé la rémunération qui allait avec. »Les dirigeants des agences médias agitent même le spectre d'une paupérisation de leur métier. Annie Loncq fait remarquer que« plus les annonceurs coupent, moins nous pouvons engager de collaborateurs qualifiés. Au final, ils se pénalisent eux-mêmes. »Pierre Conte note qu'« il faut être conscient que si l'on cherche des prestations à coûts réduits, on ne peut pas tout demander. Que représente le demi-point de rémunération économisé par rapport à ce que l'on peut apporter en valeur d'efficacité. »Quant à Bruno Poyet, il s'interroge :« De quel gain financier parle-t-on ? Un bon médiaplanning peut faire gagner 100 % de performances. Il y existe un rapport de 1 à 2 en termes d'efficacité. »

La rémunération, une question sensible

Et ce n'est pas la très vive concurrence du marché de l'achat d'espace qui permettra aux agences médias de marquer des points sur le terrain de la rémunération face aux annonceurs. Les grandes compétitions sont invariablement suivies de rumeurs concernant des taux anormalement bas de rémunération consentis par certaines agences dans le but de décrocher le budget.« Les annonceurs profitent du marché tel qu'il s'organise »,remarque Daniel Saada. Pour rétablir le rapport de force, certains évoquent la nécessité d'une autorégulation.« Faisons le ménage chez nous,réclame Stéphane Bodier.Et expliquons mieux nos coûts à nos clients. »Un travail pédagogique en somme, qui n'a jamais existé.« Je comprends que les annonceurs rechignent à payer pour voir,estime Éric de Rugy.Il faut démontrer notre savoir-faire, et montrer que l'on peut apporter du plus. »
Sur ces questions, l'unanimité est loin d'être de mise parmi les agences médias. Et certaines voix tranchent même franchement.« Oui, il y a un décalage entre les investissements que l'on réalise et les rémunérations,reconnaissent ainsi de concert Bruno Kemoun et Eryck Rebbouh.Mais nous préférons faire ressentir à nos clients la valeur ajoutée que nous leur apportons. Il faut relier les résultats commerciaux au travail que nous réalisons. »Bertrand de Lestapis, n'hésite pas, pour sa part, à déclarer :« On a la rémunération que l'on mérite. Quand l'agence médias peut créer de la vraie valeur pour un client, il n'y a plus de problème. »Bref, la question de la rémunération est réellement « touchy », pour employer une autre de ces terminologies anglo-saxonnes qu'affectionnent tout particulièrement les professionnels de la communication.