La cote des photographes de pub

Description

L'idée a été trouvée par les créatifs, le projet a été avalisé par le directeur de création de l'agence de publicité et par l'annonceur. Reste maintenant à donner vie à la création, qui consiste encore pour l'heure en quelques dessins... Le département achat d'art et les directeurs artistiques se mettent alors à compulser d'innombrables books.
Quels sont leurs « chouchous » ? Si vous êtes un constructeur automobile, quel photographe saura le mieux mettre en valeur les belles carrosseries de vos modèles ? Qui choisir pour devancer la « hype » dans les campagnes de mode ? Qui photographie au plus près et le plus joliment les grains de peaux pour les produits de beauté ? Qui saura le mieux transformer une simple nature morte en une scène envoûtante ? Des stars aux étoiles montantes en passant par les valeurs sûres,Stratégiesdresse un panorama non exhaustif de ces photographes qui font la publicité.

Les stars

Souvent, il n'est nul besoin de préciser leur nom. On reconnaît tout de suite leur patte, leurs obsessions, leurs couleurs distinctives. Ainsi, les Guzman et leur univers acidulé ont fait les beaux jours des publicités Kookaï, Perrier ou encore Ô de Lancôme, grâce à leurs personnages à la beauté extrêmement plastique. On se souvient encore des Kookaïettes à l'arrêt devant un distributeur de garçons... Dans le même registre érotico-Barbie-manga, David LaChapelle et ses mises en scène délirantes et Technicolor, très californiennes, ont été utilisés récemment pour une campagne Luigi Lavazza, dans laquelle on voyait d'appétissantes créatures à la Barbarella siroter le fameux expresso. S'adjoindre des stars comme les Guzman, David LaChapelle, Nick Knight (Dior Addict) ou encore Mario Testino (qui a oeuvré pour Calvin Klein et travaille surtout dans la mode), c'est s'assurer une réputation d'esthète, ainsi qu'un « buzz » autour d'une campagne à sortir.
Autre pointure en vue : Vincent Dixon. Il vient de passer deux années d'affilée en tête du topStratégiesdes créatifs et sait peu ou prou tout faire : on lui doit des campagnes pour Manix, DEP Parasitis, Canal +, Lipton Ice Tea, Leclerc, etc. Autre étoile du milieu souvent citée par les acheteurs d'art : Marc Gouby, qui a réalisé récemment les campagnes Clan Campbell, Ballantine's ou encore Nissan Pick Up - « L'Éléphant » et « L'Hippopotame » -, qui ont remporté des Lions d'or lors du Festival international de la publicité à Cannes en 2002.« Dixon et Gouby sont vraiment deux incontournables,estime Pascal Hirsch, art supervisor chez Leo Burnett.Lorsqu'on a une photo compliquée à faire, on pense forcément à eux, parce qu'ils ont une maîtrise technique importante... »

Les valeurs sûres

Ils ont fait leurs preuves et l'on retrouve leur signature dans de nombreuses campagnes, au cours de l'année. Comme Fulvio Bonavia, auteur de la dernière campagne C8, et qui se trouve aujourd'hui particulièrement prisé dans le secteur automobile.« Ses photos sont très élégantes, avec une très jolie chromie, qui fait ressortir son travail du lot,estime Caroline Rouanet, acheteuse d'art chez Euro RSCG 27.La voiture requiert une grande maîtrise technique, il s'agit de jouer sur la réflexion des carrosseries, l'arrondi des formes et l'angle des prises de vue. »Difficile de s'enthousiasmer pour les dossiers photo dans le secteur automobile,« souvent plan-plan », avoue Caroline Rouanet. Elle cite cependant Jean-Jacques Castres, vieux routard du secteur, qui a beaucoup travaillé pour Citroën.
Autre grand professionnel de ce domaine que l'on nomme, dans le jargon, « nature morte » : Régis Fialaire. Ce perfectionniste fut l'un des premiers à utiliser le numérique.« Au début, on était considéré comme un mauvais photographe lorsqu'on utilisait le numérique,explique-t-il.Aujourd'hui, on est écarté du marché publicitaire si on ne le pratique pas. »Dans ses cartons, de la photo de mode et des publicités : il a réalisé les campagnes Compaq, Samsung, BF Goodrich et Nautilus. Parmi les photographes convoités du secteur, Dimitri Daniloff. Il a notamment travaillé pour Nissan, le Carrousel du Louvre ou encore Sony PlayStation (« La Mort », « Le Supermarché », « L'Accouchement »). Des commandes plutôt hétéroclites :« Si l'idée me plaît, j'aime explorer des domaines inattendus,souligne le photographe.Je n'aime pas être catalogué dans un univers ou un type de lumière. »
Dans le domaine de l'alimentaire, citons le pape du secteur, Manfred Seelow, l'un des rares photographes de nourriture connus, et dont les photos mettent l'eau à la bouche. Autre vedette, mais cette fois dans le domaine de la cosmétique, Cleo Sullivan, dont le goût pour les grains de peaux saisis au plus près fait merveille dans les campagnes beauté, a signé fin 2002 des visuels remarqués et controversés pour Alain Mikli, avec un oeil shooté de manière plutôt équivoque...

Les étoiles montantes

Les acheteurs d'art et autres directeurs artistiques les guettent sans relâche. Il s'agit de dénicher de nouveaux talents, histoire de repérer des univers inédits, pour être le plus frais et différenciant possible. Caroline Rouanet est tombée en arrêt devant le book des Skyra, photographes américains spécialisés dans l'automobile.« Leur univers est très étonnant, à la fois moderne, coloré et dynamique »,souligne-t-elle. Comment repère-t-on les Dixon de demain ? Pascal Hirsch, qui dit aimer travailler avec de jeunes photographes, ne s'arrête pas aux travaux purement publicitaires :« Pour moi, ce qui détermine le choix d'un photographe, ce sont ses travaux personnels : ils permettent d'avoir une idée de ce qu'il va nous apporter en termes d'ambiance, d'univers... »Pascal Hirsch dit beaucoup aimer travailler avec le Néerlandais Erwin Olaf, qui a réalisé des visuels pour Diesel, Levi's ou encore Charal, ainsi qu'avec Dirk Karsten (Gordon's) et Jason Tozer (Johnnie Walker).
Le jeune team de photographes Alex + Laila s'est, pour sa part, illustré dans le secteur de la mode, avec notamment des visuels pour la campagne printemps de Nike. Dans ce domaine, on évoque beaucoup Shu Akashi, qui travaille uniquement en digital et a réalisé des visuels pour Yves Saint Laurent Rive gauche, Cartier, Donna Karan et Estée Lauder. Ses photos mélangent codes de la nature morte et image futuriste, tout en conservant un style épuré très japonais et en adoptant une tonalité scintillante. Beaucoup le donnent comme l'un des grands photographes de mode de demain. Dans le domaine cependant, les feux de la rampe peuvent s'éteindre très rapidement, comme le précise Véronique Pérez Domergue, agent chez VPD-PH :« On est dans la mode ou on ne l'est pas... Et parce qu'on crée de la mode, la vie d'une photographie est très éphémère... D'où un grand brassage de photographes dans le secteur... »

Les électrons libres

Pour ne pas tomber dans les écueils des photographes trop courtisés, que tout le monde s'arrache et dont les travaux s'affichent partout, certains, comme à l'agence Devarrieuxvillaret, ont une démarche plus pointue.« Nous travaillons de préférence avec des photographes qui ne font pas de la publicité leur métier principal,explique Nicolas Verdeau, directeur artistique chez Devarrieuxvillaret.Nous estimons qu'il s'agit avant tout de fabriquer des images. Et comme les créatifs maîtrisent l'aspect publicitaire, pas besoin d'en rajouter en prenant un photographe de pub... »Le directeur artistique va plutôt chercher du côté de la presse ou des photographes d'art. Il a ainsi convaincu Nan Goldin de réaliser des portraits pour la campagne Transilien.« Elle photographie l'humanité avec émotion, cela illustrait notre discours sur le Transilien,raconte-t-il.Nan Goldin a accepté, car cela l'intéressait de travailler sur une marque de transports. Mais elle a une éthique personnelle un peu radicale et choisit avec parcimonie ses campagnes. Pas question, par exemple, de travailler pour des industries pharmaceutiques ou des marques alimentaires. »Toujours chez Devarrieuxvillaret, le créatif Stéphane Richard a fait collaborer des artistes comme Camille Vivier pour Bocage :« Camille Vivier a un univers propre, avec des couleurs un peu sourdes... Nous évitons de choisir des photographes académiques : l'intérêt, pour l'annonceur, est aussi, au final, d'obtenir des images qui se différencient... »
Adoptant le même genre de démarche, Leagas Delaney Paris Centre a récemment fait appel à Constant Anée, un portraitiste qui signait là sa première publicité, pour la campagne Adia. Objectif : donner de l'authenticité à cette galerie de portraits qui illustraient un sujet assez difficile, la discrimination à l'embauche.« Beaucoup n'osent pas prendre de risques en la matière,estime Nicolas Verdeau. La plupart préfèrent choisir machin ou truc qui ont déjà eu des tas de prix publicitaires. Il est vrai que le travail avec les artistes est souvent un peu plus compliqué... Mais on a aussi, dans bien des cas, des photos beaucoup plus fortes. »