Les exportations de programmes français s'effondrent

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Les programmes français n'auraient-ils plus la cote à l'étranger ? À en croire le bilan publié le 9 septembre par TV France International (TVFI) (1), l'Institut national de l'audiovisuel et le Centre national de la cinématographie, les exportations (ventes, préventes, coproductions) de programmes audiovisuels français ont accusé une baisse de 31,4 % en 2002, à 229,9 millions d'euros. Les ventes de programmes sont en recul de 16,1 %, à 106,1 millions d'euros. La chute est amplifiée par celle des coproductions et des préventes qui affichent un recul de 40,6 %, à 123,8 millions d'euros. Jamais les ventes et les coproductions au sens large n'avaient baissé simultanément.« C'est la première fois depuis le lancement de l'étude en 1994 qu'une telle chute est enregistrée,relève Mathieu Béjot, le délégué général de TVFI.C'est d'autant plus inquiétant qu'elle intervient après plus de dix ans de croissance globale. »
La panne française s'explique d'abord par un contexte économique mondial tendu, marqué par la stagnation des recettes publicitaires. Celle-ci a un impact direct sur les budgets de programmes des chaînes.« Les gros pays exportateurs de programmes audiovisuels connaissent aussi de sérieuses difficultés »,explique Mathieu Béjot, qui croit savoir que les exportations américaines ont reculé de 32 % l'an dernier. La guerre en Irak n'a rien arrangé, ni l'effet du passage à l'euro, responsable de près de 3 % de la baisse, estime-t-il.

La fiction résiste

Autre facteur mis en avant : l'évolution des clients. Si l'essentiel des transactions concerne les chaînes hertziennes, elles reculent au profit des chaînes du câble et du satellite, qui pratiquent des tarifs largement inférieurs.« Le volume n'ayant pas beaucoup baissé, cela " impacte " fortement sur les résultats »,explique Mathieu Béjot.« Faute de budget, les chaînes privilégient les programmes locaux pour le prime time, et ont moins besoin d'acheter. Elles demandent de plus en plus de séries »,constate de son côté Thorunn Anspach, directrice générale de Marathon, une société de production.
Les partenaires traditionnels de la France sont les premiers à bouder. À elle seule, l'Allemagne, qui reste le premier client de la France, est responsable des trois quarts de la baisse des ventes de programmes finis, constate le bilan. La faillite du groupe Kirch et les difficultés d'EMTV, acheteur traditionnel d'animations, ont fortement affecté les échanges. Les exportations vers ce pays reculent de 32,3 % en 2002, à 17,6 millions d'euros. Dans une moindre mesure, d'autres gros territoires d'exportation sont en chute, comme la Grande-Bretagne (plus de 30 % de baisse), les États-Unis, le Japon ou encore l'Espagne. En revanche, l'Asie - particulièrement la Chine et la Corée - est en progression. Et certains nouveaux territoires sont prometteurs, comme le Proche et le Moyen-Orient (+10 % entre 2001 et 2002) ou la Russie.
Tous les programmes ne sont pas affectés de manière égale, et certains genres sont plus résistants que d'autres. La fiction, qui avait beaucoup chuté entre 2000 et 2001, continue de séduire les diffuseurs étrangers (21,6 % des exportations). Ainsi, AB a fort bien vendu un film commeLes Liaisons dangereuses. « Les productions dont le financement était majoritairement français ont mieux résisté que les grosses coproductions internationales qui ont, elles, beaucoup souffert »,analyse Mathieu Béjot. À l'inverse, les documentaires et les magazines sont en fort recul, ainsi que le secteur des jeux et des variétés, dont les ventes sont devenues quasi confidentielles. TVFI y voit l'effet de la relative pauvreté de l'offre française dans ce secteur et, surtout, de la déferlante des « formats », un phénomène qui a pris de l'ampleur dans le monde entier avec la télé-réalité.
Le cas de l'animation est le plus frappant mais l'analyse doit être nuancée. S'il reste en tête des ventes et représente 42 % des exportations, c'est aussi le secteur qui a été le plus affecté : - 20 % entre 2001 et 2002.« L'animation n'est financée qu'à hauteur de 20 % par les chaînes françaises et les 80 % restants de son financement dépendent du marché international »,analyse Mathieu Béjot. L'animation se retrouve donc en première ligne lorsque les chaînes étrangères ont moins d'argent. Mais quelques producteurs d'animation ne connaissent pas la crise. C'est le cas de Marathon, dont leSaint-Tropez(repris en France par TF1 sous le titreSous le soleil) est diffusé dans plus de quatre-vingt-cinq pays dont le Japon et les États-Unis, et a réalisé un chiffre d'affaires international supérieur à 15 millions d'euros. La stratégie maison consiste à« développer un petit nombre de séries d'animation à fort potentiel d'audience, accompagnées au niveau marketing et prolongées par un grand nombre d'épisodes »,résume Thorunn Anspach. La meilleure illustration de cette stratégie estTotally Spies(78 épisodes de 26 minutes), une série qui réalise les deux tiers de son chiffre d'affaires à l'export.« Il ne reste plus aucun territoire à conquérir »,constate Thorunn Anspach, qui mise désormais surMartin Mystère(66 épisodes de 26 minutes), série lancée au Mipcom.

Un certain dynamisme

Autre exemple éclatant :Funky Cops,une série (39 épisodes de 26 minutes) aux audiences records sur M6 (40 % de part d'audience sur les 4-14 ans), a été vendue dans plus de cent pays.« Dès le démarrage du projet, elle a fait l'objet d'une stratégie marketing très spécifiquement destinée au marché international »,explique Marie Congé, la directrice des ventes chez Antefilms. Plus qu'une série, dotée certes« d'un bon graphisme et d'une bonne histoire »,elle vend une marque, des disques, des figurines conçues par Mattel. Une autre série,Code Lyoko(26 épisodes de 26 minutes), déjà diffusée sur France3, devrait connaître« le même succès »,pronostique Marie Congé.

« L'animation est un secteur sophistiqué qui a beaucoup mûri ces dernières années,renchérit Lionel Marty, directeur commercial de France Animation.Depuis la fin des années quatre-vingt-dix, on ne vend plus une série télé, on vend une propriété, un univers. Quand j'en vends une aujourd'hui, je passe beaucoup de temps à élaborer un univers. Pour réussir à l'export, une série doit rentrer aisément dans des cases, avoir un positionnement, une écriture et un format cohérents. »C'est le cas, par exemple, deWheel Squadou deTiteuf,proposée en deux formats sur le marché international (78 x 7 minutes et 26 x 26 minutes) et vendue dans plus de trente-cinq pays.
Malgré des chiffres spectaculaires pour 2002, il ne faudrait donc pas crier au loup, selon TV France International. En dépit de ce climat morose, les entreprises françaises ont fait preuve de dynamisme et plus de la moitié des soixante-douze sociétés membres de TV FI ont déclaré un chiffre d'affaires en hausse en 2002. Mieux :« La reprise est proche »,affirme Mathieu Béjot et« tout le monde a le sentiment qu'on a atteint le fond de la piscine ». « Les carnets de commandes sont en pleine reprise »,confirme Lionel Marty, de France Animation. Le Mipcom pourrait confirmer cette tendance. Laquelle, en tout état de cause, ne se concrétisera que dans les chiffres publiés en... 2004.
(1) Créé en 1994, TV France International réunit cent trente-quatre chaînes, sociétés de production et de distribution.