Dessine-moi une affiche...

Description

Six secondes. C'est le temps moyen d'exposition à une affiche publicitaire dans la rue, selon une étude récente. Autant ne pas se tromper dans sa réalisation.« L'affiche, c'est l'exercice le plus difficile »,reconnaissent les créatifs.« L'affiche doit être un concentré de puissance créatrice, sinon, on passe à côté »,explique Pascal Grégoire, président de Leagas Delaney Paris Centre (1).« Pour héler un taxi dans la rue on dit " Hep taxi ! ", on ne crie pas " Taxi, je voudrais aller au 120, rue de Vaugirard. " »,résume l'affichiste Alain Carrier. Mais pour réaliser l'affiche idéale, on ne connaît pas de recette magique.« Si elle existait, cela se saurait,reprend Pascal Grégoire.En revanche il y a certaines règles à respecter. »Pour ne plus afficher inutile, voici quelques préceptes glanés auprès des hommes de l'art.

Une compréhension immédiate

Un message trop compliqué, alambiqué ou à tiroirs passe difficilement. Dans la rue, le consommateur ne cherchera pas à faire l'effort et passera son chemin.« Il faut faire simple,affirme Olivier Georgeon, directeur de création chez Publicis Conseil.La mauvaise idée, c'est un visuel coupé en deux, avec deux visuels pour faire passer une seule idée. L'idéal est une accroche, un visuel, une signature ou un logo. »Une affiche doit également être lisible, au premier degré du mot. Une typographie trop maigre ou un texte blanc sur un fond clair compliquent la lecture.« En travaillant sur ordinateur, les créatifs sont dans les conditions de lisibilité d'une annonce presse,explique Bertrand Suchet, coprésident de Louis XIV DDB en charge de la création.Et une annonce presse en affichage, cela ne fonctionne pas. Je leur demande donc de poser au mur la création au format A4 et de reculer de cinq mètres. De là, on voit tous les défauts. »Alain Carrier propose, lui, une astuce héritée de Paul Colin, grand affichiste de l'après-guerre :« Le format de travail d'une affiche ne doit pas dépasser les dimensions de la main, car sur un petit format, on ne peut pas mettre de choses inutiles. »Dernier travers à éviter : l'affiche qui renvoie à une autre création d'un autre support, comme un spot TV.« Une affiche doit être comprise seule, sinon il y a une grosse déperdition »,affirme Olivier Georgeon.

Un seul message

« Le message doit être univoque »,rappelle Éric Holden, directeur artistique chez BETC Euro RSCG. En six secondes, impossible en effet de raconter une longue histoire et, surtout, de tenir plusieurs promesses.« Les promesses sont souvent trop compliquées ou trop nombreuses,regrette Bertrand Suchet.Quinze choses sont dites et, pour finir, rien n'est dit. »Il convient aussi de ne pas se répéter.« Entre le texte et le visuel, attention à ne pas exprimer deux fois la même chose,recommande Alain Carrier.Sinon, cela devient pléonastique. »Il faudra peut-être, par exemple, sacrifier une accroche qui vampirise un visuel suffisamment fort.

S'adapter à l'environnement

Une même affiche n'aura pas le même impact si elle est posée sur le bord d'une voie rapide, le quai d'une gare, le trottoir d'une ville ou dans les allées d'un centre commercial.« La création est indissociable de l'endroit où elle est affichée »,observe Gabriel Gaultier, cofondateur de Leg. Pour Éric Holden, il s'agit de respecter les caractéristiques techniques des supports :« C'est, par exemple, ne pas mettre de titre en bas pour un Abribus. Ou bien remplir l'espace pour des affiches destinées au métro, sous peine de les voir gribouillées par des commentaires. »Attention également à ne pas placer sa signature juste derrière les sièges alignés sur le quai...

Une règle graphique souple

Les règles graphiques sont grandes ouvertes et le traditionnel sens de lecture des affiches, du haut à gauche au bas à droite, n'est pas un impératif catégorique.« La forme reste souvent la même,estime Olivier Altmann, président de BDDP&Fils.Bruno Le Moult[créatif réputé, décédé accidentellement en juin 1997]me disait qu'il en avait marre des affiches avec l'accroche en haut et le packshot en bas à droite. Aujourd'hui, on ne fait plus vraiment de mise en page en affichage. Il s'agit plutôt de visuels à fonds perdus, avec un logo et quelques mots. Il n'y a plus vraiment de direction artistique. Personnellement, j'aime les vraies mises en page, comme dans les campagnes de lancement de la PS2 il y a quelques années, avec un bandeau. »Alain Carrier rapporte, lui, une phrase de Paul Colin :« Une bonne affiche n'a pas besoin de texte. »Mais les mots ont également leur force et ils peuvent très bien vivre seuls.« C'est un serpent de mer : vaut-il mieux beaucoup de texte ou une affiche plutôt visuelle ?s'interroge Pascal Grégoire.C'est un faux débat : quandThe Economistfait des affiches avec un texte intelligent sur fond rouge, c'est un succès. »« Dans une affiche, il y a moins un sens de lecture qu'un cheminement du lecteur : on attire l'oeil et, après, on prend le spectateur par la main »,résume Olivier Altmann.

Un petit choc

Une affiche, c'est un coup de poing dans la figure, apprend-on dans les écoles de publicité.« Il faut choquer, sans que cela soit gratuit »,nuance Alain Carrier. Car les limites avec la provocation sont floues. Olivier Georgeon préfère parler d'audace.« Mais en véhiculant le bon message et une bonne image pour la marque. »Qu'importe la forme, Gabriel Gaultier cherche, lui, à« provoquer une adhésion ». « Nous sommes là pour faire notre boulot,estime Éric Holden.Même avec un "agrément négatif", le plus important, c'est que l'on se souvienne du message. On dira qu'on ne l'aime pas, mais on se le rappellera. »Attention tout de même à ne pas franchir la ligne jaune.« La limite, ce sont certains sujets moraux,estime Michel Cacouault, le président de Viacom.Nous sommes un média de masse situé dans la rue. »Un débat remis au goût du jour par le groupe Triumph pour sa marque Sloggi - de bonnes affiches ?
(1) Pascal Grégoire doit prochainement prendre la présidence de CLM/BBDO.