Comment les régies défendent leur business

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Marie commence sa semaine de dur labeur dans la bonne humeur. Coincée dans son bureau rogné de quelques mètres carrés depuis la dernière charrette, cette acheteuse médias participe comme chaque lundi au jeu concours du magazineVoici. Ce n'est pas difficile : deux clics de souris et, au bout, un tirage au sort pour gagner cette fois des agendas recouverts de cuir noir. Souvent, les questions sont drôles. Surtout, Marie pourra se plonger dans le dernier numéro des potins de stars. Bref, un moment de récréation avant d'attaquer les « négo », le coeur de son métier.
Ils sont des dizaines comme elle en agence médias ou chez les annonceurs à répondre aux e-mails, newsletters et autres mailings pour se distraire, mais également pour se tenir informés sur les supports. Une journée type : deux à trois jeux concours, cinq plaquettes de présentation, deux à trois invitations pour petits déjeuners de présentation d'étude ou de débat avec une personnalité connue du journalisme, et une exposition ou un shopping pour entamer la soirée. Tous médias confondus, Media Management Consulting, qui exerce une veille sur la communication des régies et supports, recense entre 350 et 380mailings de tout genre par mois. Et sur le front des relations publiques, la grande famille de la presse est de loin la plus active, vu le nombre d'intervenants (lire en page 47).
Car, avec la crise du marché publicitaire et le nombre croissant de marques, se différencier est devenu vital.« Il faut donner envie aux annonceurs. On peut toujours vous suggérer une bonne raison de ne pas vous mettre dans un plan médias »,explique Marie Giraud, directrice commerciale du pôle Express-Expansion. Alors, comment retenir l'attention ? D'autant que, comme le souligne le responsable presse d'une agence médias,« notre métier est d'aller au bout de la négociation, d'obtenir les meilleures conditions tarifaires »...Apporter un peu de subtilité dans un monde de brutes est donc devenu le mot d'ordre, car« si on se lance dans une course effrénée à la négo, nous allons tous nous retrouver sur le trottoir »,indique encore Marie Giraud.

Madame est servie

Pour tenter de sortir du cycle infernal de la remise, la presse mise sur le service après-vente en s'appuyant sur une connaissance toujours plus fine des lecteurs et de leurs comportements. Le groupe Prisma, éditeur, entre autres titres, deCapitalouVoici, a d'ailleurs créé récemment une direction des marketing services, chargée de mieux mesurer l'efficacité des campagnes. Et rares sont les régies qui n'exploitent pas déjà ou qui ne réfléchissent pas à la création de panels de lecteurs pour tester des annonces ou des lancements de produits de leurs annonceurs. Ainsi, Emap peut interroger 16 000 lecteurs de sa presse féminine et va s'intéresser cette année au comportement du lectorat masculin. En presse quotidienne, le gratuit20 Minutesinterroge en ligne 2 000panélistes représentatifs de son lectorat. Le panel deL'Express-L'Expansion, Panel Express Online, revendique 1 200 CSP + provenant des abonnés des newsletters des sites du groupe et des fichiers Ipsos Médiangles. Selon Carole Fagot, directrice déléguée d'Emap Média,« ces services permettent de créer du business ».
De fait, la presse doit prouver son efficacité en apportant toujours plus d'arguments. Ce faisant, elle répond à une demande d'informations non moins importante de la part des agences et des annonceurs. Les régies investissent déjà beaucoup dans les études d'audience. Ainsi Interdeco, la plus puissante d'entre elles, mise chaque année plus de 3 millions d'euros pour mieux défendre ses titres. Mais il reste encore un bout de chemin à parcourir pour être encore plus efficace.« Nous sommes dans une logique du retour sur investissement. Le vrai débat doit porter sur la rentabilité de nos supports »,affirme Herbert Michaelis, directeur général d'Interdeco. Et plusieurs études sont annoncées pour l'année en cours.Marie Claireva étudier le comportement d'achat sur des secteurs cibles, Marie-Laure Sauty de Chalon, directrice de Régie Obs et animatrice de la « Grande Régie » (les pôles Nouvel Observateur, PVC et Le Monde) prévoit pour février ou mars une grande étude sur le comportement des cadres face à la presse. Un territoire revendiqué également par le pôle Express-Expansion, qui veut devenir le spécialiste de la cible CSP+. L'objectif est, bien entendu, d'attirer de nouvelles marques, en l'occurrence celles de l'hygiène-beauté. Selon Marie-Laure Sauty de Chalon,« contrairement à la télévision, la presse n'a pas su créer de référents publicitaires comme le prime time ».

Fini les couplages, vive les offres commerciales

Cette notion de service gagne également le mode de commercialisation des titres. Le maître mot : le sur-mesure, pour apporter davantage de souplesse dans l'offre. Fini, ou presque, les couplages imposés.« Lorsque le marché est en crise, il y a une très forte élasticité du prix. La négociation de titre à titre est beaucoup plus intéressante que l'offre de couplages. Ceux qui fonctionnent doivent respecter deux conditions : être attractifs financièrement et permettre une meilleure utilisation du média. Ils sont souvent proposés dans des secteurs de développement, pour accroître le chiffre d'affaires »,analyse Aline Moreau, directrice du département presse de MPG-Arena. D'ailleurs, Herbert Michaelis récuse ce terme de couplage. Il préfère parler « d'offre commerciale ». Dernière en date, Consonews, regroupantParis Match,L'Équipe magazine,L'Express,Le Figaro magazineetLe Point,vise une population de cadres décidément très prisée. Sur un autre registre, la Grande Régie s'apprête à commercialiser les « instantanés ».« Je répète tout le temps que les couplages n'ont pas de sens. C'est susciter une négociation obligatoire pour peu d'insertions »,lance Marie-Laure Sauty de Chalon. Que sont donc les instantanés ?« La rencontre entre une offre et une demande »,les produits ciblés sur certaines populations de lecteurs (les femmes, les cadres) étant vendus selon un système d'enchères. Une première en France, inspirée de la télévision. Plus de souplesse, donc. Le Monde, lui, va introduire la saisonnalité dans sa grille tarifaire : l'espace sera moins cher avant l'été et augmentera le reste de l'année. Stéphane Corre, directeur général du Monde Publicité, espère aussi augmenter le nombre de contrats cadres avec les grands annonceurs, en s'appuyant notamment sur la force de frappe de la Grande Régie.
Les couplages traditionnels ne sont pas morts pour autant. Seulement, ils évoluent, à l'image notamment de Multimap (un taux de remise qui dépend du nombre de titres choisis parmi dix de la galaxie Emap). Là aussi, il s'agira de raisonner davantage en termes de secteur.
La presse ne progresse pas seulement dans l'analyse de ses supports et leur mode de commercialisation. Depuis bientôt deux ans, elle met un soin particulier à séduire ses clients annonceurs et prescripteurs.« Nous sommes passés du bakchich au marketing opérationnel »,relève même une responsable presse d'une agence médias. Dit autrement, les cadeaux tiennent davantage compte du contexte éditorial du titre, tout comme les voyages, qui deviennent plus conceptuels. Des preuves ? Si la Grande Régie maintient son voyage de plusieurs jours au Brésil, ce sera aussi pour rencontrer des auteurs de livres. SiGalainvite chaque année des annonceurs et des représentants d'agence médias au Festival de Cannes, c'est parce qu'il y a des stars dans le magazine, etc.« Nous sommes toujours dans le remerciement, jamais dans la prospection grossière »,clament en choeur les régies. Mais les voyages ne représentent que la face visible de l'iceberg. Tout au long de l'année, les régies rivalisent d'imagination pour se rappeler au bon souvenir de leurs clients ou prospects (lire en page 46). Car, derrière la négociation et le raisonnement, c'est bien la proximité qui fait la différence. À tel point que nombre d'observateurs attribuent les succès deGala,ou plus récemment dePsychologies magazine,à leur politique de communication professionnelle.

Ces petits cadeaux qui entretiennent l'amitié

Comment inciter un médiaplanneur à se plonger dans un journal ? Le meilleur moyen est encore d'organiser un concours, bien doté si possible. Comment faire venir des décideurs de haut niveau à des présentations d'études ou pour faire connaissance avec le titre ? L'inviter dans les rédactions. Le must ? La conférence de midi duMonde, suivie d'un déjeuner avec Jean-Marie Colombani, le président du directoire du groupe, pour parler de l'entreprise. Idem pourL'Express-L'Expansion, qui met volontiers son patron Denis Jeambar à contribution.« Indéniablement, le relationnel entre en ligne de compte. Selon le degré d'affinité, nous avons plus ou moins envie de nous battre pour un titre »,explique un conseil médias. Bref, il faut rester à tout prix dans la short list. Et, quoi qu'il en dise, un décideur sera toujours sensible à une invitation à se rendre, selon sa convenance, dans l'un des instituts de beauté branchés de Paris.
Ces petites attentions sont d'autant plus importantes pour les titres en lancement. Les gratuits20 MinutesetMetroavaient tout à prouver sur le marché : rassurer quant à leur mode de distribution, montrer l'intérêt de leur lectorat, mais aussi séduire.20 Minutesva jusqu'à décerner, chaque mois, un diplôme de « fan de 20 Minutes » qui récompense, avec une pochette de cadeaux, celui ou celle qui a le mieux défendu le support.Psychologies magazine, également encore en phase de conquête (lire en page 44), fait parvenir un bouquet de fleurs à tous ceux qui lui ont permis d'obtenir un nouvel annonceur. Difficile de prouver l'efficacité de ce type d'opérations. Mais, comme le service ou les études, ils permettent en tout cas d'endiguer une baisse du chiffre d'affaires. Et surtout, de ne pas se faire oublier.