Comment accrocher les journalistes

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Les communiqués de presse envoyés en dix exemplaires par fax, e-mail et courrier, suivis du sempiternel coup de fil « Vous avez bien reçu notre communiqué ? ». Les relances intempestives au téléphone pour des informations creuses. Les propositions de sujets à des kilomètres de la ligne éditoriale du journal ou des secteurs suivis par le journaliste. Les demandes autoritaires d'insertion. Les appels de stagiaires terrorisés qui récitent fébrilement leur texte sans même le comprendre. Stop, on n'en veut plus !
Tous les professionnels des relations presse vous le diront : ce n'est pas comme cela qu'il faut s'y prendre pour espérer capter l'intérêt des journalistes. Pourtant, ces pratiques persistent et fatiguent tout le monde. Alors, pour essayer d'en sortir,Stratégiesa demandé aux responsables d'agences de partager leur expérience et de livrer leurs méthodes. L'art et la manière de faire un métier particulièrement difficile, en cette période de pénurie où les rédactions en sous-effectif manquent cruellement de temps pour écouter les sollicitations diverses et variées des attachés de presse.

Choisir sa cible et ses munitions

Avant même de contacter la presse, les agences ne le répéteront jamais assez : il faut, en amont, définir avec le client les messages qu'il veut faire passer.« Quel est le but à atteindre ? Quelle est la cible à toucher et comment l'impliquer dans l'événement ? Comment lever les freins et les doutes potentiellement liés à un type de message et donner une véritable légitimité à l'information ? Comment assurer sa crédibilité ? Voilà toutes les questions à se poser en amont »,insiste Caroline Saslawsky, directrice de l'agence Idenium.« Cette phase de préparation des messages et des angles d'attaque est fondamentale »,confirme Saïd Aïssaoui, directeur général adjoint de Burson Marsteller et ancien journaliste. Une étape obligatoire résumée en une formule par Lionel Chouchan, patron de Public Système :« Définir sa cible et quelques types de munitions. »Ensuite ? Avant d'inonder à l'aveugle les rédactions de communiqués, il est préférable de connaître leur positionnement, les rubriques et... les jours de bouclage« Le b.a.-ba du métier, c'est d'imposer une lecture quotidienne de la presse en repérant les tendances, mais aussi les signatures pour comprendre la sensibilité des journalistes,fait remarquer Estelle Chaubell, qui a créé son agence La Vie en rose il y a un an et consacre 300 euros par mois à l'achat de journaux.Trop d'attachés de presse ont sali le métier en se contentant de faire du marketing téléphonique. »C'est-à-dire de la relance... Une pratique que veulent bannir les professionnels.« Notre métier, c'est avant tout du relationnel, ce qui suppose de connaître nos interlocuteurs,explique Éric de Poulpiquet, directeur-conseil audiovisuel chez Hopscotch.Nous devons valider les thématiques qui intéressent le journaliste pour ne pas le déranger inutilement et savoir par quel canal il veut recevoir l'information afin d'éviter de le spammer. C'est une question de respect. »
Les communiqués eux-mêmes répondent à des règles :« C'est un entonnoir inversé,explique Éric Maillard, directeur général adjoint de Ketchum.Il faut un titre, un chapeau et toute l'info en deux phrases. La suite de préférence sur une page. »Pour les radios et les TV, c'est plutôt une alerte avec quelques propositions d'angle. Omettre des informations pour susciter des coups de fil est une technique pratiquée que nombre d'agences déplorent. Comme cette tendance, venue des États-Unis, aux citations de dirigeants creuses mais prêtes à l'emploi.« Ce sont des traductions de communiqués internationaux qui nous sont imposées et que nous ne pouvons pas adapter »,regrette Christophe Ginisty, fondateur de l'agence Rumeur publique. Plus globalement, Jérôme Lascombe, PDG d'Hopscotch, conseille d'éviter« le " bull shit ", la logorrhée. L'information doit être vraie et débarrassée de tout habillage marketing, parfois nauséabond, qui abuse de superlatifs. »Et les dossiers de presse sont appréciés lorsqu'ils sont enrichis de données sur le marché, d'analyses et de points de vue d'experts.

Faire du sur-mesure

Le journaliste attend aujourd'hui du sur-mesure, assurent les professionnels.« L'émergence en RP est plus souvent une question de pertinence stratégique et de personnalisation de l'information que d'investissement massif,note Caroline Saslawsky.Lire une information traitée à l'identique dans tous les médias tend à la banaliser. Alors que varier les angles en fonction du support et créer de vraies exclusivités avec un média stratégique peut se révéler nettement plus efficace. »Ainsi, pour l'association Plan, Ketchum a proposé à un journaliste deFrance Soirde parrainer un enfant au Bénin. Résultat : un reportage qui a fait la une du journal le 24 novembre dernier.« La tendance au quantitatif a disparu,confirme Bernard Sananes, président d'Euro RSCG PR.Qui dit sur-mesure dit moins de grands sujets transversaux. Et le développement des entretiens individuels au détriment de la conférence de presse institutionnelle, qui n'a plus le vent en poupe. »« Pour capter l'attention, il faut savoir raconter des histoires »,ajoute Saïd Aïssaoui.« Avoir des idées et créer de l'actualité »,complète Estelle Chaubell. Pour faire parler de la marque de lingerie Aubade, l'attachée de presse a eu l'idée, la nuit du 13 au 14 février dernier (Saint-Valentin), de photographier des amoureux au Sacré-Coeur dans l'esprit duBaiser de l'Hôtel de Villede Doisneau.« J'ai lancé cette opération pour avoir des sujets en télévision et un retentissement international,explique-t-elle.Je n'ai contacté que les médias chauds et la presse étrangère car je sais que, pour eux, la Saint-Valentin est un marronnier et que les chaînes cherchent des images originales. »Même démarche chez Frédéric Henry Communication avec la Techno parade : chaque année, est « construit » un plateau de personnalités en tête de cortège pour une reprise aux journaux télévisés de 13 heures.

« Le journaliste attend aussi qu'on l'étonne et qu'on l'amuse »,assure Frédéric Henry. D'où la place prise par l'événementiel dans les RP. Lionel Chouchan en a fait sa spécialité.« La ligne droite n'est pas le plus court chemin pour toucher les journalistes,déclare-t-il.On n'aurait jamais mis Avoriaz sur orbite sans le Festival de cinéma. »Enfin, il est très important, pour capter l'attention sur un sujet, d'en faire ressortir l'aspect sociétal. Le présenter de sorte qu'il rencontre la culture et les valeurs du journal. Rumeur publique a réussi à avoir des papiers dansLe Mondeet la grande presse sur EMC, leader mondial des solutions de stockage, en le « vendant » comme le prestataire... de la fondation Spielberg sur la mémoire de la Shoah.