Téléphages mais critiques

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Pas contents, les téléspectateurs, et même de moins en moins. La sixième vague du sondage Ipsos-Stratégiessur l'image des chaînes hertziennes est formelle : 60 % des téléspectateurs se disent aujourd'hui « plutôt » ou « très » mécontents des programmes de télévision. Soit une hausse de 6 points en un an et de 13 points sur deux ans. L'insatisfaction atteint un niveau « historique » depuis le lancement de ce baromètre en 1999. Pourquoi ce désaveu ? Hervé Barbot, le directeur général adjoint d'Ipsos Médias, établit une corrélation entre le début de la dégringolade, en 2001, et l'arrivée à l'antenne de la télé-réalité :« À l'époque, un téléspectateur sur deux se disait satisfait, il n'y en a plus qu'un sur trois aujourd'hui. »Cette année, ce sont les « plutôt mécontents » qui gagnent du terrain, passant de 39 à 45 %, tandis que la part des « très mécontents » reste stable à 15 %. Ce qui signifie que l'insatisfaction est désormais ancrée. Et ce alors que la durée d'écoute de la télévision ne cesse de progresser. En février, quand notre sondage a été réalisé, elle était de 3 h 42 minutes par jour sur les plus de 4 ans, selon Médiamétrie, avec une hausse de deux minutes sur un an. Et de 7 minutes pour les ménagères de moins de 50 ans.
Autre constat : « la grogne » touche toutes les catégories de téléspectateurs, les hommes autant que les femmes, et toutes les tranches d'âge. Les plus mécontents sont les actifs (CSP A), en recul de 16 points, et les 35-49 ans.« C'est d'autant plus inquiétant qu'il s'agit du public traditionnel du soir en semaine, des émissions dites grand public et des divertissements,souligne Hervé Barbot.Sans doute se reportent-ils sur d'autres formes de loisirs, comme le cinéma ou le DVD. »La télévision perd également les faveurs des inactifs (-6 points). Quant aux plus de 65 ans, d'ordinaire plus « tolérants » que les jeunes à l'égard de la télévision, ils s'avouent déçus et leur niveau de satisfaction recule de 8 points en un an. Les moins de 35ans sont également très sévères, avec 58 % de mécontents. Ce sont les jeunes de 15-24 ans, qui sont les plus « tolérants », avec « seulement » 49 % de mécontents.
Ce phénomène doit toutefois être replacé dans une perspective de moyen terme.« L'insatisfaction des téléspectateurs a commencé avec l'arrivée de la seconde chaîne, quand il a fallu faire des choix,rappelle François Jost, sociologue des médias et professeur à l'université Paris III.La multiplication des chaînes amplifie ce mouvement. Plus il y a de choix, plus on a l'impression d'en avoir fait un mauvais. »Un développement de l'offre auquel répond une exigence croissante de qualité :« Les téléspectateurs se montrent plus cultivés et donc plus critiques face à l'image »,analyse Rémy Pflimlin, le directeur général de France 3, chaîne qui ressort encore grande gagnante du sondage. «Ils se laissent de moins en moins abuser. Ils sont fascinés par les lumières et les paillettes, ils y vont comme ils iraient au spectacle. Pour autant, ils ne l'assument pas forcément. Ils se projettent mais ne s'identifient pas. Pour s'identifier, ils viennent vers nous. C'est toute la différence entre un produit de grande consommation et un produit du terroir, entre le prêt-à-porter que pratiquent les chaînes privées et le sur-mesure des chaînes publiques. »

Pour Christopher Baldelli, son homologue de France 2,« il y a un divorce entre l'audience et la préférence. L'image du média télé dans son ensemble est tirée vers le bas par la télé-réalité. Cette dernière est regardée mais pas totalement assumée ».Le sociologue François Jost poursuit l'analyse :« La télé-réalité et d'autres émissions de plateau qui se complaisent dans l'intimité flattent des pulsions - voyeurisme, sadisme - qui poussent les téléspectateurs vers ces émissions, mais provoquent rétrospectivement un sentiment de honte ou de mépris envers soi-même. D'où une attirance, qui explique le succès d'audience, et une répulsion, qui s'exprime ici par un manque de satisfaction. Après un premier stade où sa nouveauté était fédératrice, la télé-réalité se montre de moins en moins consensuelle. Appréciée par les jeunes, elle est rejetée par les plus vieux. Ceux qui sont entre deux âges - 35-49 ans - ne savent plus très bien où se situer. »

TF1 et M6 sanctionnées

De fait, les deux chaînes privées, qui misent beaucoup sur la télé-réalité, sont les plus durement sanctionnées dans notre sondage. M6 et TF1, qui ont refusé de s'exprimer, atteignent leur plus bas niveau de satisfaction globale depuis 2000. En baisse régulière depuis le printemps 2001, la Une est durement traitée par les jeunes. Elle perd 5 points sur les moins de 35 ans et 4 sur les 15-24 ans, ces derniers la plaçant en queue de peloton. Un véritable camouflet en image lorsqu'on songe aux efforts de programmation que déploie la chaîne pour séduire les jeunes, à grand renfort de télé-réalité, de divertissements et de jeux. Mais TF1 s'en tient, il est vrai, à la « seule sanction de l'audience ». Pour sa part, M6 perd 5 points sur l'ensemble des téléspectateurs.« Il y a une vraie cassure à propos de M6, et ce sur toutes les tranches d'âge »,constate Hervé Barbot, d'Ipsos Médias. Comme pour TF1, les hommes se montrent les plus sévères, de même que les 25-49 ans (-7points), les 35-49 ans (-13 points). Sur les moins de 35 ans, M6 reste au deuxième rang des chaînes, mais perd 5 points en un an et 9 depuis 2000. Elle se fait doubler par France 3. Et si elle reste la chaîne préférée des 15-24ans, elle se retrouve au coude à coude avec Canal +.

France 3 la préférée

Dans ce contexte difficile pour les chaînes privées, hormis Canal + qui affiche la plus forte progression de cette vague sur l'ensemble des téléspectateurs (lire ci-contre), les chaînes publiques semblent presque épargnées. Seuls les 15-24 ans les sanctionnent (-9 points pour France 2, - 5 pour France 3, et - 4 pour France 5), peut-être, paradoxalement, parce qu'elles restent... opposées à toute forme de télé-réalité. Mais, globalement, France3 reste, de très loin, la chaîne préférée des Français avec 76 % des suffrages. Pour autant, si elle reste globalement à un haut niveau, le nombre de « très satisfaits » recule.« Ce qui veut dire que la chaîne perd des accros »,souligne Hervé Barbot. Reste qu'elle progresse sur huit des treize genres étudiés et que son image s'est rajeunie. Elle est la chaîne préférée des moins de 35 ans.« C'est la preuve que l'alchimie entre proximité et ouverture sur le monde continue de fonctionner,se félicite Rémy Pflimlin, son directeur général.Ce mélange établit une relation très forte d'identification et ces résultats prouvent que nous collons à ce que veut être le téléspectateur. Nous continuons de prendre des risques, même s'ils ne sont pas forcément payants en termes d'audience. »

Bilan mitigé pour France 2 et exceptionnel pour Arte

Le bilan de France 2 semble plus mitigé. La chaîne perd une place au classement et atteint son plus bas niveau depuis 1999. En revanche, elle progresse sur huit des genres de notre étude et regagne 2 points sur les moins de 35 ans.« France 2 est la plus regardée des chaînes aimées et la plus aimée des chaînes regardées,estime son directeur général, Christopher Baldelli.L'équilibre que nous avons trouvé entre audience et sens, le positionnement de l'intelligence, est identifié par les Français. »France 2, qui fait le grand écart entre le divertissement, un terrain où elle talonne TF1, et le genre culturel et littéraire, où elle frôle Arte, présente« le spectre de reconnaissance le plus large, ce qui confirme sa vocation de chaîne généraliste »,ajoute-t-il. Quant aux 15-24 ans,« leurs déclarations sont à prendre avec des pincettes »,selon lui. En tout état de cause,« ce n'est pas nécessairement notre public prioritaire »,admet néanmoins Christopher Baldelli, qui souligne pourtant avoir mis à l'antenne des émissions visant les adolescents.
Après une forte hausse lors des deux vagues précédentes, France 5 est, elle, en phase de stabilisation. Elle talonne France 2 mais accuse une forte baisse sur les moins de 35 ans (-7 points). Quant à Arte, elle poursuit sa progression et rafle à France 2 la deuxième place du classement. En quatre ans, la chaîne culturelle franco-allemande a gagné 10 points. Un score d'autant plus remarquable que 16 % des personnes interrogées déclarent ne pas la regarder. En hausse sur la quasi-totalité des genres de programmes, Arte continue également sa percée sur les moins de 35 ans et sur les 15-24 ans (+6 points).« Cette progression d'image s'ajoute aux bons résultats d'audience que nous constatons depuis la mise à l'antenne de la nouvelle grille en janvier,constate Victor Rocaries, directeur des programmes.C'est d'autant plus encourageant que les résultats qualitatifs précèdent souvent des résultats d'audience.»