Les spécialistes de la bonne formule

Description

Après trois ans de crise, l'édition d'entreprise reprend des couleurs. Au terme d'une vague de concentration qui n'a pas épargné les plus gros (la société-conseil Altedia vient d'être rachetée par Adecco, leader mondial du travail temporaire) et suite à quelques disparitions (comme Clarinda Presse, qui a déposé le bilan), la plupart des responsables d'agences s'accordent à dire que le pire est passé. Les gros acteurs du marché (Euro RSCG C&O, Creapress, Verbe, L'Agence, Tagaro, Angie, etc.) affichent des marges brutes en progression en 2004. Et l'année 2005 s'annonce prometteuse. Chez Textuel, par exemple, Gilles About escompte une progression de 10 % de sa marge brute. Les petites structures, plus innovantes et ultraspécialisées pour quelques cas, poussent le secteur. Quitte à casser les prix.« Notre métier a beaucoup souffert, surtout le corporate,admet Anne-Laurence Schiepan, vice-présidente édition chez Euro RSCG C&O.Au niveau des budgets, on a touché le fond. On a souvent dû dire non. »Bref, entre les grosses et les petites agences, la hache de guerre est loin d'être enterrée. Mais pour Véronique Reille-Soult, directrice générale de K. Publishing (High Co),« ce combat entre gros et petits n'a pas lieu d'être en temps de crise. À chacun son territoire et sa spécificité. »

Les cloisons tombent

À quelque chose malheur est bon : la crise a curieusement revalorisé le secteur de l'édition d'entreprise.« Depuis cette année, cette discipline intègre des compétitions orchestrées par Gibory Consultant ou Vidéothèque. Nous sommes sortis du ghetto,se félicite Édouard Rencker, PDG de Séquoïa (Image Force) et trésorier de l'Union des journaux et journalistes d'entreprise de France (Ujjef).Les directions de la communication ont les mêmes exigences envers nous qu'envers les agences de publicité. »Olivier Breton, directeur général de Verbe (Publicis), confirme :« On ne parle plus de presse d'entreprise mais d'édition d'entreprise, et, au sein des groupes, notre activité n'est plus déconsidérée. »
Le principal effet de la crise a été de précipiter la réorganisation des agences. Chacune à sa manière. Ainsi, chez Euro RSCG C&O, l'organisation du département Édition a été calquée sur celle de l'agence dans son ensemble. La filiale Euro RSCG Publishing a disparu au profit d'Euro RSCG C&O. Corine Cherqui, ex-Angie, est arrivée en décembre 2004 pour développer la presse. Une réorganisation qui a permis à l'agence d'encaisser la crise sans trop de dégâts et sans licencier. Au sein des agences, les cloisons tombent. Les nouvelles technologies, et notamment la généralisation de dispositifs éditoriaux « clés en main » (Get Ready chez Angie, Inovacom chez Tagaro, par exemple), transforment la relation aux clients. L'heure est aux « business units » réunissant des compétences multiples : directeur de clientèle, directeur artistique, créatifs ou financiers. Chez Verbe, devenu le pôle Édition de Publicis Groupe (Saatchi&Saatchi, Leo Burnett, Publicis Conseil et Publicis Dialog), il existe ainsi une dizaine d'unités quasiment autonomes.
Parfois, ces départements sont carrément installés chez les clients. Ainsi, chez Sequoïa, l'équipe consacrée au constructeur automobile Audi est partagée entre Paris et Villers-Cotterêts, le siège de Volkswagen France.

Accompagnement éditorial

La filiale du groupe Image Force compte cinq départements, avec chacun sa spécialisation : économie humanitaire, économie sociale, automobile, communication interne et communication financière. Chacune des unités partage la fabrication et les studios.« Ce type d'organisation est devenu une nécessité pour répondre au flux croissant d'informations dans les entreprises »,estime Édouard Rencker. Les agences de taille plus modeste adoptent parfois cette organisation, comme K. Publishing pour Leclerc ou Entrecom pour l'Institut national de la propriété industrielle. En revanche, Textuel (TBWA Corporate), avec cinquante titres à son catalogue, continue de centraliser ses directeurs de clientèle rue du Faubourg- Poissonnière, à Paris, et délocalise des équipes au compte-gouttes, comme c'est le cas sur le 3 635 de la SNCF ou pour MSN.
Les responsables des agences d'édition évoquent une mutation de leur activité. «Ce qui constituait la partie " grasse " du métier - maquette, mise en pages, exécution - n'a plus vraiment de valeur marchande pour les clients,explique Édouard Rencker (Séquoïa).En revanche, la direction artistique, la rédaction, la pertinence éditoriale, l'analyse et, surtout, le conseil sont des valeurs en forte hausse. » « Le temps où nous étions de simples prestataires de service est bel et bien révolu »,confirme Éric Bentot, directeur général de Tagaro (groupe DDB). Ce travail de fond, Gilles About, PDG de Textuel, estime le faire depuis dix ans. Mais il constate que« le phénomène a pris de l'ampleur ».Dans cette demande croissante d'accompagnement éditorial, Éric Tazartez, patron de Publicorp, voit le signe du changement de problématiques, et donc d'attentes, des entreprises.« Celles-ci sont de plus en plus confrontées à des mutations, fusions-acquisitions, privatisations, délocalisations, introduction en Bourse... C'est ici que notre activité de conseil prend tout son sens. »Publicorp a ainsi accompagné la reconstruction du Crédit lyonnais, la mutation d'Axa ou de La Poste. Un conseil que Tagaro apporte à des clients comme EDF et France Télécom.

Travail de dentellière

« On nous demande certes toujours plus d'expertise,tempère Laurence Vignon, directrice générale de Textuel,mais notre devoir est de faire au mieux notre métier de base. »Réduction des budgets ou pas, l'agence Textuel mise donc sur quelque 150 journalistes, 120 permanents, 12 secrétaires de rédaction et autant de directeurs artistiques. Véronique Reille-Soult (K. Publishing) renchérit :« Nous restons des spécialistes de l'écrit et du conseil, ne nous trompons pas de métier. »
Ces exigences ont poussé les agences à adapter leurs équipes. Sémiologues, financiers ou encore sociologues, leurs salariés ont des profils toujours plus atypiques.« Il n'existe quasiment plus de petites mains »,souligne Éric Bentot (Tagaro), qui a externalisé les studios et préfère se passer de directeurs de création en interne :« Plutôt que d'aligner les ordinateurs Mac et les créatifs à perte de vue, on a besoin de sens et de sensibilités. »Chez Sequoïa, Édouard Rencker fait appel à des consultants, des linguistes, et 80 % des journalistes de l'agence ont une formation atypique. Reste à dénicher ces oiseaux rares (lire page 36).« Beaucoup sont en rupture de multinationales »,explique Bruno Scaramuzzino, le patron de Meanings, une agence créée il y a sept mois, qui s'est dotée d'une « Meaning Squad » : il s'agit de créatifs et d'experts à très forte valeur ajoutée. On y trouve des savants, des talents, mais pas des marchands. À Cachan, dans la banlieue sud de Paris où se situe le siège de Meanings, la « Squad » s'active à établir des chartes de langage ou des univers sémantiques pour Bouygues Telecom ou l'Institut français du sang.« Un travail de dentellière que peu de grosses agences oseraient ou pourraient se permettre »,assure Bruno Scaramuzzino. Plutôt que d'aller recruter à l'extérieur, certaines agences consolident les talents en interne, voire favorise la formation des équipes. C'est le choix d'Euro RSCG C&O, de Textuel ou de K. Publishing.« Nul n'a besoin d'aller chercher à l'extérieur des consultants de luxe, les salariés des agences ont grandi en même temps que les clients »,considère Laurence Vignon (Textuel).
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