Des porte-parole sous pression

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Oubliées les années quatre-vingt-dix et leur cortège de crises industrielles où les patrons faisaient le dos rond, fermés aux questions des journalistes, en attendant que le gros temps passe. Après l'éclatement de la bulle Internet, de sa « nouvelle » économie et de ses jeunes managers, les seniors ont pris le relais. Les « vraies » sociétés, symboles de sécurité, ont le vent en poupe et sont performantes au CAC 40. Et qui en profite ? Les actionnaires, bien entendu. Mais également les directeurs de la communication, heureux d'annoncer de bonnes nouvelles...
À l'ère de la transparence à tout prix et du tout-médiatique à l'excès, les ambassadeurs de l'image ont su tirer leur épingle du jeu. Dans l'entreprise, la fonction de directeur de la communication n'a plus à faire la preuve de son utilité.
Pour prendre le pouls de cette profession, l'association Entreprises&Médias, qui regroupe les principaux acteurs de ce secteur, réalise tous les deux ans un sondage auprès de 114 directeurs de la communication, représentants les deux tiers des sociétés du CAC 40. Formation initiale, âge moyen, rémunération, tout est passé au crible de ce baromètre qui permet de dépasser certains clichés tenaces.
Premier enseignement de cette étude, le directeur est bien souvent une directrice. « La communication est un des rares secteurs où les femmes ont pu poursuivre un parcours professionnel normal et satisfaisant », observe Martine Damour, secrétaire générale d'Entreprises&Médias. Des femmes, donc, mais aussi des hommes, très souvent issus de grandes écoles de commerce ou de sciences politiques. « Ce sont, dans le cas des grandes entreprises, des cadres dirigeants qui, la plupart du temps, font partie du comité de direction et qui, à ce titre, ne sont pas vraiment des débutants », explique Isabelle Ockrent, directrice de la communication d'Altadis et présidente d'Entreprises&Médias. Des professionnels qui ont choisi très tôt les voies de la communication : en moyenne, les sondés occupent leur poste depuis cinq ans et comptent déjà dix-sept ans de métier dans le secteur.
La moyenne d'âge des membres de l'association est de quarante-huit ans, avec un salaire médian de 161 500 euros par an, mais les écarts sont très importants d'une société à l'autre, dépendant notamment du chiffre d'affaires. Hors stock-options et intéressement, certaines rémunérations annuelles culminent à 407 000 euros quand d'autres peinent à dépasser 74 000 euros. Bref, on est mieux loti dans les sociétés à rayonnement international que dans les PME, fussent-elles de grande envergure. Pour ne pas parler des responsables de communication du secteur public, tels ceux des ministères ou des collectivités locales, où « les salaires excédant les 7 000 euros bruts mensuels font figure d'exception », remarque Pierre-Alain Douay, délégué général de l'association Communication publique.
Quoi qu'il en soit, la fonction de directeur de communication est devenue la clé de voûte de l'entreprise. Le cliché « strass-paillettes » a vécu. « Il y a quelques années, l'image de la communication c'était " petits fours et champagne ". C'est terminé. L'entreprise a découvert que c'est un métier sérieux et indispensable car il participe à l'amélioration de ses profits », explique Florence Paris, directrice de la communication externe des laboratoires pharmaceutiques GlaxoSmithKline. Les grandes entreprises françaises ayant enregistré de bonnes performances ces deux dernières années, les volumes d'investissement en communication ont logiquement suivi le mouvement. La moyenne des budgets annuels, selon Entreprises&Médias, s'établit pour l'année 2005 à 5,5 millions d'euros, contre 6 millions en 2001, qui était une année faste.

Des publics divers et exigeants

Tout porte à croire que ce poste stratégique d'investissement continuera à croître dans les années à venir. Internationalisation des activités, multiplication des acquisitions et des fusions, exigence croissante des actionnaires mais aussi pression ­médiatique : les entreprises doivent faire face à de multiples enjeux qui les contraignent à communiquer toujours davantage à l'intention de publics divers et exigeants. « La crise économique qui a suivi l'éclatement de la bulle Internet a fait comprendre que les erreurs de communication pouvaient coûter très cher à l'entreprise car, en attaquant brutalement la valorisation boursière, elles menaçaient immédiatement la pérennité du patron. Ce n'était pas le cas il y a encore une dizaine d'années », précise Martine Damour.
Dès lors, les directeurs de la communication insistent tous sur l'importance d'entretenir des relations privilégiées avec la presse, parce que la concurrence est rude et l'exigence des consommateurs toujours plus vive. Une tâche rendue difficile par la multiplicité des organes d'information - notamment depuis l'émergence de médias électroniques - et par l'internationalisation des publics. « Internet a révolutionné la circulation de l'information car une dépêche qui tombe aux États-Unis fait immédiatement le tour de la planète », résume Florence Paris. De même qu'un incident, même mineur, dans une filiale étrangère aura immédiatement une répercussion au sein du siège en France et éventuellement un impact sur la valorisation boursière. Au « dircom » de jouer les pompiers et de se rendre sur le front. « C'est un métier très exposé où il faut faire face à de multiples minicrises dans chaque pays du monde tout en tenant une ligne directrice, une stratégie globale d'image pour le groupe. C'est un métier d'équilibriste ! » souligne Pierre-Yves Frelaux, directeur général de l'agence TBWA Corporate.
Sans parler de l'enjeu de l'information interne, de la nécessité de faire comprendre la stratégie de l'entreprise aux managers comme au personnel, de développer une «logique d'échange» de la base vers le top management, mais aussi de résoudre une nouvelle équation : traiter sur un pied d'égalité les communications interne et externe. Une tâche délicate puisque les salariés soupçonneront spontanément les journaux internes et autres intranets de manier la langue de bois pour ne servir que les intérêts du patron. « Ce qui est écrit dans la presse aura toujours plus de poids que tous les organes d'information d'une entreprise », tranche un communicant quelque peu désabusé.

Un rapport privilégié avec le « boss »

Sur fond de financiarisation de l'économie, la communication financière a pris une place croissante dans l'activité des directeurs de la communication. « Dans une société cotée en Bourse, l'organisation de réunions d'information et la rédaction de rapports financiers monopolisent beaucoup de temps », confirme Jacques Suart, directeur de la communication d'Elior. Le milieu de la finance se montre exigeant en matière d'information. Si, en 2003, la moitié des responsables de communication interrogés par Entreprises&Médias reconnaissaient assurer une partie de la communication financière, deux ans plus tard, la proportion s'élève à 68 %.
Et là encore, il faut rassembler, mettre autour d'une table la direction financière, la direction générale et le président. « Le directeur de la communication occupe dans les grandes entreprises un rôle de conseiller auprès du président, en oeuvrant pour la stratégie globale de la société, avec parfois des moyens importants », explique Éric Giuily, président de l'agence Publicis Consultants. Un statut qui lui offre évidemment un rapport privilégié avec le « boss », avec à la clé un bureau bien placé et des avantages en nature appréciés (notes de frais et voiture de fonction). Pour Jacques Suart, c'est juste « la prime de risque ». Car comme le confie Michel Pascal, directeur de la communication de Quinta Communications, « ce type de poste sert de fusible. Si le président change, généralement, le " dircom " saute avec. Il y a un turn-over très élevé dans cette profession. » Et d'ajouter que ce métier « est souvent éprouvant car il ne faut pas compter ses heures, faire preuve d'une grande disponibilité vis-à-vis du président, en le suivant dans ses déplacements, par exemple, et en l'assistant dans ses interviews accordées aux médias. »
Dans certaines PME, le métier peut virer au sacerdoce. « Je m'occupe des relations presse, de la communication interne et souvent des ressources humaines qui sont intiment liées, vu la taille de notre entreprise, mais aussi d'une bonne partie du marketing. J'ai quarante-deux ans, je travaille 60 heures par semaine et je touche 3 000 euros nets », explique cet ancien ingénieur reconverti à la communication dans une société du secteur high-tech.
Idem dans les ministères et les collectivités locales, où ce n'est pas tous les jours fête. Ne serait-ce qu'à cause du flou artistique qui prévaut dans la définition des tâches. « Les directions de la communication du secteur public sont plus récentes que leurs homologues du privé, et il y a toujours une ambiguïté entre l'entité et l'homme politique. Autrement dit, fait-on la communication du ministère ou du ministre ? », pointe Éric Giuily, fin connaisseur des rouages de la fonction publique. Pertinent, quand pas un jour ne passe sans que l'on entende parler du ministre de l'Intérieur. Pour cet énarque, ancien directeur des collectivités locales, « on ne retrouve pas cette dualité dans une entreprise, à moins que le président n'ait un rôle social particulier ».
Des entreprises du secteur marchand qui séduisent aisément les communicants issus de la politique dont la « durée de vie en exercice reste très faible », déclare Pierre-Alain Douay, de Communication publique. Et de conclure que « les cabinets ministériels restent des viviers pour le recrutement de directeurs de communication dans le secteur privé ». Beaucoup, en effet, passent par le public à un moment ou un autre de leur carrière. Un parcours obligé pour affûter ses talents de diplomate - probablement la plus grande qualité du directeur de la communication.
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