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La bataille pour la diffusion est de plus en plus difficile. » Ce constat énoncé par Marc Feuillée, directeur général du groupe Express-Expansion, est partagé par tous les éditeurs de presse magazine. La concurrence d'Internet, le développement des gratuits, la raréfaction des points de vente, la diminution du pouvoir d'achat et la nouvelle répartition des dépenses de loisirs rendent les enjeux de diffusion de plus en plus cruciaux. Pour faire face à la désaffection de leurs lecteurs, les éditeurs ont recours à deux piliers du marketing : le recrutement et la fidélisation
Recruter des « clients » nécessite de déployer un arsenal de plus en plus important. Première vitrine des titres et première occasion de prise en mains pour les lecteurs : les points de vente. « Aujourd'hui, ce qui explique les ventes au numéro, c'est la qualité du produit et du packaging », estime Jean-Charles Guérault, directeur de la diffusion d'Emap France. Le lancement du magazine people Closer est un cas d'école. Créé au printemps 2005, avec une couverture rose pétant qui détonnait dans les kiosques, l'hebdomadaire a pratiqué la politique du Yo-Yo sur son prix, celui-ci variant de 0,90 à 1,60 euro selon les semaines. « Nous avons construit la prise en mains en décidant, au coup par coup, de jouer sur les prix. Quitte à commander plusieurs codes-barres aux NMPP », explique Jean-Paul Lubot, directeur général adjoint d'Emap France, en charge du marketing stratégique et du développement. Bingo : le titre, aidé par une grosse campagne de publicité TV, est un succès, avec des pointes à 500 000 exemplaires. Pourtant, cette technique de promotion est loin de faire l'unanimité.
Chez Bayard, par exemple, on est plus que circonspect. « Nous sommes assez réticents sur ce type de politique de prix : à mon sens, cela déstabilise le lectorat et dévalue le produit », explique Hubert Chicou, directeur général délégué du groupe de presse catholique.
Faute de se focaliser sur les prix, les éditeurs peuvent actionner le levier des plus-produits. Ces petits cadeaux, bracelets, t-shirts et autres guides vendus avec les magazines sont de plus en plus pratiqués, surtout dans la presse féminine. « Le plus-produit est un excellent outil de promotion », souligne Fabienne Schwalbe, directrice marketing et diffusion chez Prisma Presse, un groupe qui réalise 80 % de sa diffusion à la vente au numéro. « Nous tentons de l'utiliser de manière tactique, mais en cohérence avec le territoire de nos marques : nous offrons des produits estampillés Géo et National Geographic, des DVD d'humour avec Télé loisirs... », détaille-t-elle.
Attention néanmoins au choix de ces plus-produits. Ainsi, Le Point (diffusion France payée : 369 776 exemplaires dont 70 % d'abonnements), qui proposait en 2003 un livre à ses lecteurs, comme cela se fait beaucoup dans d'autres pays, comme l'Italie, l'a appris à ses dépens. « Les syndicats de libraires se sont opposés à ce type de plus-produits, raconte Dominique Dirand, directrice de la diffusion du news magazine. Désormais, nous jouons plutôt sur les DVD qui collent au contenu du numéro, comme nous l'avons fait pour la commémoration du 6 juin 1944, par exemple. » Mais le plus-produit n'est pas le sésame de la diffusion. « On a toujours observé que ce type d'opérations n'avait pas un énorme effet de rémanence sur la diffusion en kiosques », remarque Marc Feuillée, du groupe Express-Expansion.
Reste l'impérissable méthode de la une vendeuse. « Avec notre nouvelle formule et nos nouvelles unes, nous avons gagné de nouveaux lecteurs : de plus en plus de nos numéros dépassent les 100 000 exemplaires en ventes », souligne Dominique Dirand, du Point. « Il peut d'ailleurs y avoir une contradiction entre les couvertures très agressives en kiosques et ce qu'attendent les abonnés, note pour sa part Marc Feuillée. On admire toujours les unes très belles et très statutaires des magazines anglo-saxons, comme celles de The Economist. Mais ce que l'on oublie, c'est que ces titres se destinent à 90 % aux abonnés... »
Pour ce qui est des couvertures, il faut les consacrer, parfois, à nos régions françaises : carton assuré. « Les numéros spéciaux sur les régions sont un axe important de notre politique de diffusion », souligne Marc Feuillée. « Chaque semaine, nous réalisons des dossiers régionaux, avec des changements de couverture sur la ville ciblée. Nous multiplions notre volume d'exemplaires vendus par trente, voire plus... », explique, quant à elle, Dominique Dirand. Marketing éditorial, politique de prix, DVD offerts... autant de techniques auxquelles une habile stimulation du réseau de distribution apportera un « plus » appréciable (lire page 37).
Si des familles de titres, comme la presse people, féminine ou parentale, sont davantage l'objet d'achats d'impulsion, une bonne partie de la presse magazine ne fait pas le gros de sa diffusion en kiosques, mais grâce à son portefeuille d'abonnés. En matière de recrutement de prospects, la presse magazine s'est également dotée d'outils de plus en plus perfectionnés. « Dans les années quatre-vingt, le seul qui avait une politique de marketing direct sérieuse était Bayard, raconte Nadine Vitu, directrice déléguée en charge du marketing direct chez Emap France. Aujourd'hui, notre approche du marché publicitaire est très différente de ce qu'elle était dans les années quatre-vingt-dix : on est beaucoup plus regardant sur la contribution de la diffusion dans les comptes d'exploitation... » Les éditeurs se sont dotés de fichiers de plus en plus performants et pratiquent assidûment le « data mining » [analyse de données visant à sélectionner différentes informations, par exemple sur les lecteurs].

Surenchère de cadeaux

Une fois les prospects éventuels bien identifiés, rien n'est trop beau pour les recruter. Les éditeurs - surtout dans la famille des news magazines, où les abonnés représentent deux tiers de la diffusion - pratiquent beaucoup la prime, ou l'offre jumelée. Et les « cadeaux » sont de plus en plus intéressants : on se voit offrir une caméra pour un abonnement à Challenges, ou une chaîne hi-fi avec Le Point. Les enchères ont monté depuis les calculettes ou radios-réveils d'antan... « C'est vrai que depuis deux ans, on constate une surenchère chez les news », admet Philippe Menat, directeur des abonnements du groupe Nouvel Observateur (DFP du Nouvel Observateur : 511 635 exemplaires, dont 416 000 abonnements). « Cela peut d'ailleurs créer des distorsions entre nos anciens abonnés, auxquels on a offert une montre, et les nouveaux, qui reçoivent une caméra... » D'autant que certains petits malins ont compris la combine : pour se faire offrir de plus gros cadeaux, au moment de se réabonner, il suffit de faire languir le service abonnement... « Nous avons effectivement repéré ces " chasseurs de primes ", explique Dominique Dirand, du Point. Mais le phénomène reste très marginal. » Certains, comme Jean-François Kahn, président-fondateur de Marianne, vilipendent ces pratiques, censées « acheter » de la diffusion (lire l'entretien page 36). « Les abonnements avec gros cadeaux représentent 15 % de notre portefeuille », précise Philippe Menat. « C'est un faux débat, lâche Marc Feuillée. Le lecteur qui s'abonne uniquement pour avoir un cadeau, c'est un mythe ! »
Ce qui n'en est pas un, c'est l'agressivité de plus en plus importante de la politique de prix que mènent les éditeurs, même si nous n'en sommes pas encore aux méthodes américaines, où les titres sont « soldés » à 80 % par rapport à leur prix de vente en kiosques... Tendance du moment : pour réduire le prix de l'abonnement, les éditeurs, finauds, tentent d'en allonger la durée. Comme L'Express (DFP : 428 652 ex., dont 80 % d'abonnements), qui propose des offres pour 52, 64 ou 104 semaines. « Nous essayons de tester l'abonnement sur deux ans. Paradoxalement, les abonnements sur la durée sont plus performants que sur l'année standard », souligne Marc Feuillée. Et lorsque l'on a pris l'habitude de recevoir son journal dans sa boîte aux lettres pendant deux ans, il est évidemment plus difficile de se désabonner...
Car, aujourd'hui, la bataille semble s'être déplacée sur le terrain de la fidélisation. « Pendant des années, les éditeurs ont dépensé beaucoup d'argent pour constituer leur portefeuille d'abonnés, et ont quelque peu négligé de les fidéliser, rappelle Nadine Vitu, d'Emap France. Aujourd'hui, la tendance se renverse : nous récompensons les lecteurs fidèles par des tarifs encore plus attractifs au réabonnement, par exemple. » « C'est le nerf de la guerre ! » enchérit Philippe Menat, du groupe Nouvel Observateur, qui avoue, pour ce qui est du Nouvel Obs, avoir « levé le pied sur les prospections depuis que le cap des 500 000 exemplaires a été franchi, pour consolider le portefeuille ».

Le portable, prochain vecteur

Chez Bayard, dont les titres regroupent 3,6 millions d'abonnés sur 5 millions d'acheteurs, on fidélise en chaînage : un bambin lecteur de Popi développera son apprentissage de la lecture en parcourant les titres du groupe, passant à l'enfance à J'aime lire, puis à la préadolescence à Je Bouquine et Phosphore... « Nous fidélisons grâce à cette technique dite du " up-selling ", mais nous faisons aussi sentir à nos abonnés qu'ils sont privilégiés, en les invitant, par exemple, à des invitations de signatures d'ouvrages écrits par des journalistes de nos magazines », explique Hubert Chicou.
Une autre manière de bichonner ses abonnés peut être le prélèvement automatique, qui rend l'abonnement quasiment indolore... Sans les prendre en otage, comme on l'avait reproché un temps à Canal + : une simple lettre suffit pour se désabonner. Philippe Menat estime que le procédé a fait gagner 50 000 nouveaux abonnés au Nouvel Observateur. À L'Express, la moitié des abonnements s'effectue désormais par ce moyen.
Les responsables de Prisma Presse, qui gèrent un portefeuille de deux millions d'abonnés, revendiquent davantage une approche « de vépéciste ». « Nous avons créé des clubs d'abonnés, nous envoyons les traditionnels mailings de relance, mais nous avons surtout développé un service client particulièrement performant, que nous allons enrichir sur le Web avec une nouvelle plate-forme pour nos clients », précise Fabienne Schwalbe. Le Web, via les sites des magazines qui développent des contenus différents de la version papier, permet de renforcer l'attachement aux titres, surtout depuis l'apparition de blogs de journalistes, qui créent un rapport de proximité plus fort avec les magazines préférés des lecteurs.
Internet constitue aussi un vecteur incontournable quant au recrutement des abonnés et à leur fidélisation. Mais il semble qu'à l'avenir, pour créer de l'attachement aux titres, il faille en passer par... le téléphone portable. La 3G n'en est qu'à ses balbutiements, cependant, certains éditeurs s'y intéressent de près. Tel Emap France, qui propose déjà de nombreux services à ses lecteurs (vidéos, photos, etc.), notamment pour un titre comme FHM : « La presse magazine est en très bonne position pour fournir du contenu à la 3G, estime Cyril Vart, directeur du développement et du marketing stratégique du groupe de presse. Un lecteur qui aura consommé de la marque FHM plusieurs fois par jour, sur le site Internet et sur son portable, sera plus attiré par ce titre que par un autre qui existe seulement sur papier. » Sceptiques ? Un dernier exemple : « Nous avons remarqué un volume important d'envois de MMS, photos d'animaux et autres trophées de pêche, pour les lecteurs du Chasseur français », note Cyril Vart. Quand on vous dit que c'est l'avenir...