Marketing des jeunes

Description

Attention, violent ! Un « djeune » aux toilettes - la porte ouverte, évidemment - téléphone à un pote, puis poursuit sa conversation, hilare, la tête dans le frigo, à la recherche d'une boisson gazeuse. L'échange se résume à : « Non, grave... Oh, t'es trop une quiche ! Non, là, tu m'fais de la peine. Non mais, sérieux, grave... » On s'y croirait. Survient un intrus, capuche sur la tête, qui se rue sur le gamin en poussant des cris de karatéka et l'envoie voltiger contre le mur. Sans pouvoir reprendre ses esprits, le gosse se retrouve projeté dans le frigo parmi les légumes et les yaourts. Au bout du fil, le copain s'égosille... ­Allongé, hébété, le rescapé lance un craintif : « Bah, maman ? » Eh oui ! C'est sa « mother » qui vient de lui refermer le réfrigérateur sur la « chetron »... Conclusion : « Si tu ne veux pas que ta mère t'explose, arrête d'exploser ton forfait. Et pour ça, il y a les forfaits bloqués Universal Music Mobile. »
Ce spot de Saatchi&Saatchi et le site Internet correspondant, réalisé par Business interactif, ont reçu le Trophée Stratégies du marketing des jeunes. Déjanté ? Pas tout à fait. Pour Philippe Schild, directeur d'Universal Mobile (joint venture entre Bouygues Telecom et Universal Music, qui exploite la marque Universal Music Mobile), il s'agit d'un film « très académique ». « Nous y ­décrivons la problématique - la crise de rage de la mère qui a découvert la facture de téléphone du portable de son rejeton- et nous apportons la solution. Tous les opérateurs proposent des forfaits bloqués, mais nous sommes les premiers à en parler clairement » (lire l'entretien en page 45). En tout cas, avec ce film, on est loin du « Va chercher bonheur ! » de la saga Chico, qui vantait en 2002 les atouts d'Universal Music Mobile, remportant le premier Trophée Stratégies du marketing des jeunes en février 2003. À l'époque, Universal Music Mobile avait signé un accord de ­licence avec SFR. Depuis août 2004, l'entreprise est associée à Bouygues Telecom. Autre équipe, autre stratégie : seul le nom de la marque est resté.
« Notre mission était aussi de faire oublier Chico, reconnaît Xavier Royaux, directeur général adjoint de Saatchi&Saatchi, en charge du budget depuis février 2005. Il ne fallait pas non plus tomber dans le piège et céder aux sirènes de la musique. Nous sommes partis du vécu des jeunes, qui sont en arbitrage financier permanent. Pour eux, le portable est une source de liberté autant que de galère, car il est au centre des conflits avec les parents. D'où l'idée de les mettre en scène. » Le jury a d'ailleurs été particulièrement sensible à la justesse du ton et à l'humour décalé de cette campagne, qui obtient, outre le Trophée de l'édition 2006, un prix dans les catégories spot TV et marketing relationnel en ligne. « Nous avons choisi de préempter le marché du forfait bloqué, encore sous-exploité, et de nous positionner sur une double cible, les 15-25 ans et leurs parents, résume Philippe Schild. Universal Music Mobile propose une gamme d'exclusivités et de services musicaux, mais ce n'est pas notre terrain de communication. »
Tant mieux, semble-t-il, puisque le lancement de la campagne TV en juin 2005 a marqué le décollage des abonnements. La barre des 400 000abonnés a été franchie le mois dernier. Et pourtant, sur intervention du Bureau de vérification de la publicité (BVP), les téléspectateurs n'ont pu voir qu'une version édulcorée des films conçus par Christophe Coffre, Guillaume Fillion et Éric Auvinet, réalisés par Les Frères Poiraud. Dans la version TV, les scènes les plus violentes ont été supprimées. On peut tout de même les visionner sur Internet (www.universal mobile.fr/deblok_zone/pub_tv/index.php). Ainsi, dans le film « La Tartine », le « djeune » reçoit un fer à repasser en pleine tête et sa mère l'attaque... au couteau électrique ! « Le BVP, attentif aux accidents domestiques, ne souhaitait pas que l'usage de ces ustensiles soit détourné. Ils ont disparu en TV », raconte Xavier Royaux, de Saatchi&Saatchi. Dans le film « Les Toilettes », la mère plonge la tête de son fils dans la cuvette. Dans le spot TV, cette scène a été coupée : on ne voit plus que le jeune à demi mort supplier sa mère : « Tu ne le diras pas à papa ? »
En complément de la télévision, Internet a été largement exploité. Confiée à Business interactif, la prise de parole en ligne consistait à « développer la notoriété de la marque, augmenter le trafic sur le site, qualifier une base de données, le tout dans un objectif de recrutement, résume son directeur général, Frédéric Goubet. Nous avons mis en place un dispositif relationnel faisant partager aux ados une expérience autour de la marque. » D'où la création du site « Fatal Mother », qui proposait un jeu avec dotation pour contrer la violence de la mère, avec un système d'envoi à un ami pour rejouer une partie, ainsi qu'une « Deblok Zone » avec des jeux illimités, comme le lancer de mère dans un chariot d'hypermarché, et des forums. Les dispositifs de recrutement prévoyaient de l'e-mailing vidéo avec une mécanique virale. Sur le site, le module « Ego pub » propose aussi, en laissant son profil, de participer à un tirage au sort pour avoir « sa tête dans la bannière ». Et ce n'est qu'un début... La bataille sur le marché des opérateurs mobiles virtuels, avec des concurrents comme NRJ (associé à SFR), M6 et Virgin Mobile (avec Orange) s'annonce rude.