Presse gratuite

Description

On est tout petit, on a l'air mignon, ça nous donne l'air fragile. Et là, bam, on est le 3e quotidien français. » Dans sa campagne publicitaire lancée en avril, 20 Minutes n'y va pas avec le dos de la cuillère. Brocardé par les mastodontes de la presse payante depuis sa création il y a quatre ans, le quotidien gratuit d'information savoure sa vengeance. Une vengeance qui lui est offerte par ses 692 403 exemplaires distribués et 1,885 million de lecteurs. Son concurrent Metro n'est pas en reste, avec 517 731 exemplaires et 1,330 million de lecteurs, soit 105 000 de plus que Le Figaro, si l'on en croit Epiq 2005, la première étude, validée par la profession, qui intègre désormais l'audience des gratuits aux côtés de celle des quotidiens payants. Forts de cette légitimité acquise au fil d'âpres batailles, les gratuits d'information s'attaquent désormais à un autre tabou : la faiblesse - réelle ou supposée - de leur contenu éditorial. Mais pour ne pas déroger à leurs règles de base - concision des informations et rapidité de lecture -, ils misent sur les suppléments, dossiers spéciaux et autres hors-séries.
Le premier à avoir, à l'instar des titres phares de la presse payante que sont Le Monde ou Elle, décliné sa marque est Metro, avec un numéro spécial, lancé il y a deux ans à l'occasion de la Nuit blanche, à Paris, puis avec Metro finances, Metro plage et pour le Mondial 2006, Metro sport. « Ce sont des produits d'autant plus intéressants qu'ils nous ont fait gagner de l'argent et qu'ils nous permettent d'obtenir une crédibilité éditoriale », souligne Valérie Decamp, directrice générale de Metro France.
Chez 20 Minutes, la stratégie est identique. Le journal prévoit ainsi de sortir vingt-quatre suppléments en 2006, dont la plupart présentent un fort contenu journalistique. « Maintenant que nous avons terminé la construction géographique du quotidien, nous nous attelons au développement de suppléments magazines », explique Pierre-Jean Bozo, président de 20 Minutes France. Les thèmes abordés ? Le high-tech, l'habitat, la diversité, le Festival de Cannes et, bien sûr, le Mondial de foot. Sans oublier les opérations locales, comme le festival Juste pour rire de Nantes, qui « participent à l'assise régionale de 20 Minutes », souligne Frédéric Filloux, directeur de la rédaction. Autant de sujets qui sont générateurs de revenus publicitaires, même si la direction se défend de fabriquer des « pièges à publicité ». Il n'empêche : « Un supplément permet aux gratuits de diversifier, voire de recruter de nouveaux annonceurs, analyse Catherine Villa, directrice média presse à l'agence Magna. Non seulement parce que certains d'entre eux sont très qualitatifs et convainquent des annonceurs jusque-là réticents, mais aussi parce qu'ils touchent une audience plus large. »
Pour le directeur de la rédaction de 20 Minutes, cette stratégie de développement vise avant tout à « répondre à la brièveté de notre format ». Hors de question pour le journal d'excéder une quarantaine de pages, au risque de renier son appellation. Du coup, le supplément apparaît comme la solution rêvée pour approfondir un sujet auquel tiennent les journalistes... et les lecteurs. Car, boulevard Haussmann, où 20 Minutes vient de s'installer dans des locaux offrant une vue panoramique sur Paris, chaque initiative est préalablement validée auprès d'un panel de lecteurs. « Nous faisons beaucoup d'études lecteurs qui nous permettent de mieux cerner leurs attentes sur le plan éditorial, explique Pierre-Jean Bozo. Notre priorité est de satisfaire leurs demandes. » Si, par surcroît, cela peut drainer la publicité que le quotidien ne peut plus intégrer faute de place, tant mieux ! Et d'ailleurs, c'est le cas, affirme-t-on à 20 Minutes, puisque chacun de ces suppléments dégage entre 40 et 55 % de marge. « Je n'ai aucun complexe à dire qu'un journal doit gagner de l'argent », lance Frédéric Filloux.

Pérenniser les suppléments

Autre vertu des suppléments : ils permettent d'éprouver des nouveautés auprès du marché, mais aussi aux niveaux de la réalisation et de la distribution. « Avec le supplément Coupe du monde de football que nous sortons chaque lundi [réalisé en partenariat avec l'hebdomadaire gratuit Sport], nous enregistrons l'un des plus forts tirages de la presse française : un million d'exemplaires, souligne Pierre-Jean Bozo. C'est l'occasion de tester nos outils industriels et logistiques. » 20 Minutes envisage-t-il de pérenniser l'un de ces suppléments ? « Pourquoi pas », répond Frédéric Filloux, qui verrait bien la venue sur le marché d'un magazine d'une qualité équivalente à celle de Calle 20, un mensuel « glossy » de 200 pages sur la culture urbaine et les sorties lancé par 20 Minutes Espagne.
Prolonger la vie d'un supplément est une piste qu'étudie également le concurrent direct de 20 Minutes, Metro. Depuis le 6 juin, le quotidien gratuit distribue chaque jour un supplément Metro sport. « Nous n'excluons pas de prolonger ce produit au-delà de la Coupe du monde », admet Valérie Decamp. Tout dépendra de la réaction du marché publicitaire... et de la direction internationale du groupe Metro, qui n'a pas lésiné sur les moyens en investissant 2 millions d'euros pour les trente-cinq premiers jours d'existence de Metro sport en France. Car chez Metro, tout doit être validé par Stockholm. Mais Valérie Decamp se dit confiante : « Metro sport est une alternative à L'Équipe. Nous sommes un journal populaire qui a une légitimité sur un événement tel que le Mondial. » Alternatif : tel est le credo de Valérie Decamp et de son équipe. « Je travaille en étroite collaboration avec elle, confie Didier Pourquery, directeur de la rédaction. Nous nous " challengeons " constamment pour trouver l'idée et le concept qui feront mouche. »
L'édition spéciale publiée en mai lors du Festival de Cannes est un autre exemple d'originalité, avec sa version complètement bilingue. Mais les bonnes idées ne font pas seules leur loi : il faut d'abord qu'elles soient rentables. D'ailleurs, le service commercial décide, en collaboration avec la rédaction, du contenu éditorial et du calendrier de ces hors-séries. Ensuite, l'équipe marketing étudie en détail le positionnement du produit. « Mais attention au risque d'encombrement, prévient Catherine Villa, de l'agence Magna. Cette offre gratuite pléthorique présente le danger de brouiller l'image des différents titres. » Une analyse que ne partage pas Vincent Bolloré, nouveau venu sur le marché avec Direct soir, lancé le 6 juin : « La personne qui lit un gratuit le matin est ravie d'en lire un autre le soir. Plus les gens lisent, plus ils ont envie de lire. »
Quant aux quotidiens gratuits du réseau Ville plus, lancés par les éditeurs de la presse quotidienne régionale, ils peinent à suivre. « Notre objectif aujourd'hui est encore de vendre l'espace publicitaire à l'intérieur de notre quotidien », admet Sébastien Marraud, rédacteur en chef de Bordeaux 7, qui se réjouit néanmoins d'avoir enregistré une augmentation de ses recettes publicitaires de 65 % en 2005 par rapport à l'année précédente. Le supplément n'est donc pas une priorité pour le gratuit du groupe Sud-Ouest. « Quand ce sera le cas, nous nous concentrerons sur l'information locale », poursuit Sébastien Marraud. À moins que le réseau Ville plus - une confédération d'intérêts sans structure juridique - décide de sortir un supplément commun sur un sujet plus général. « Nous avons évoqué cette possibilité pour le Mondial au cours d'une des réunions que nous organisons tous les deux mois avec les autres directeurs des quotidiens du réseau. Mais, finalement, le projet est tombé à l'eau », indique Didier Thomas-Radux, rédacteur en chef de Montpellier plus, le dernier-né du réseau. La faute, certainement, à l'absence de tête de pont parisienne susceptible de convaincre le marché publicitaire national.