Les agences goûtent aux joies de la maturité

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Quel est le point commun entre l'illumination de la statue de la Liberté par Moët&Chandon, le congrès de la Mutualité française réunissant 4 000congressistes à Lyon, le lancement à Venise du dernier parfum de Victoria et David Beckham et le voyage en Inde de 95 revendeurs Citroën ? Réponse : les agences événementielles. Ce sont elles qui, en coulisses, conçoivent, mettent en scène et réalisent des événements allant de la convention au voyage d'affaires en passant par l'animation commerciale, la soirée VIP ou la manifestation de rue. Un métier qui a le vent en poupe, à en croire les progressions à deux chiffres annoncées par bon nombre d'acteurs du marché.
Le Public Système, groupe indépendant mêlant événementiel, marketing services et relations publiques, affiche ainsi en 2005 un chiffre d'affaires de 79,5 millions d'euros, en croissance de 23,6 %. Des résultats qui placent cette structure à la quatorzième place du classement des agences-­conseils en communication établi par Stratégies en 2006, devant des agences publicitaires comme DDB, CLM BBDO ou TBWA Paris. Pour Frédéric Bedin, directeur général du Public Système, c'est un signe de l'évolution du marché. « Ce tableau en a fait hurler certains, mais c'est la réalité des investissements des annonceurs, note-t-il. Après la ruée vers le " one to one ", le " one to few " devient, pour une entreprise, la technique de communication la plus intéressante et la plus efficace. »
Ce n'est pas le groupe Danone qui le contredira, lui qui vient de miser intégralement sur la tournée d'un bus et des animations dans les points de vente pour lancer Les 2 vaches, sa nouvelle marque de yaourts biologiques. Ni Procter&Gamble, dont le directeur marketing monde, Jim Stengel, a déclaré début 2006 que le temps du tout-télévision était révolu, le groupe souhaitant utiliser l'ensemble des techniques de communication permettant de toucher le client là où il se trouve, à commencer par les magasins. De même, le groupe Young&Rubicam France n'a pas hésité à porter à sa tête Jacques Bungert et Frédéric Torloting, cofondateurs de sa filiale événementielle Pro Deo. Bref, l'événementiel séduit de plus en plus.
Cette tendance fait la joie d'une agence comme Ubi Bene, spécialisée dans la communication externe et « le média événementiel ». « Pour nous, la frontière entre médias et hors-médias n'existe plus et, fait nouveau, de plus en plus de marques de grande ­consommation, comme Vittel, Nestlé, Axe ou Gillette sont sensibles à notre démarche », explique Thierry Reboul, fondateur de l'agence, qui travaille en partenariat avec des agences médias comme Mindshare (WPP) et cherche avant tout à trouver l'idée originale qui démultipliera l'impact d'une campagne publicitaire classique. Exemples : la création, cette année, d'une maison en chocolat de 300 m² pour La Laitière ou l'opération autour du village français Douze rebaptisé, en grande pompe, 118 008, pour le compte de Pagesjaunes, à l'occasion de la disparition du numéro historique de renseignements téléphoniques.
Pour coller au marché et gagner du terrain, les agences ont, dans l'ensemble, misé sur la montée en gamme et la diversification. « Ce métier est devenu bien plus intelligent, commente Christophe Pinguet, cofondateur de Shortcut. Il intègre aujourd'hui une grosse dose de marketing, quand il était, à l'origine, basé sur l'organisation. » Son groupe de cinquante salariés, axé sur les marques de prestige et de luxe, est devenu en quelques années multifacette, avec des réalisations aussi diverses que l'assemblée générale de Pernod Ricard, l'inauguration du magasin LVMH sur les Champs-Élysées, des opérations de marketing opérationnel pour Fiat, voire des campagnes de ­publicité pour Rochas et Montblanc.
« Aujourd'hui, nous souhaitons résoudre globalement toute ­demande de communication qui ne soit pas liée à l'achat d'espace », commente pour sa part Olivier Maurey, président du groupe ­Ludéric. Idem pour WM Événements. L'agence connue pour ses manifestations grand public et son travail pour les institutionnels s'est déployée en 2000, via la Fonderie d'événements, sur le secteur des entreprises. « Nous avions besoin de construire un groupe de taille suffisante pour répondre aux appels d'offres importants et compenser l'aspect fortement cyclique de notre activité », explique Nathalie Morlot, gérante de l'agence. Ceux qui n'ont pas pris le pli ne sauraient tarder. « Nous allons investir sur d'autres métiers du hors-médias en procédant par acquisitions, explique Emmanuel David, directeur général de Market Place. Nous pourrons ainsi répondre aux demandes, parfois très globales, des annonceurs. » Et de citer la récente compétition de la Société ­générale, qui demandait aux agences comment, pour tous ses publics et dans tous les registres de la communication, créer l'événement lors de la prochaine Coupe du monde de rugby. Ce type de brief serait de plus en plus fréquent, selon Arnaud Peyrolles, directeur général d'Ideactif, dont l'agence travaille, en autres, pour Nestlé Aquarel en sponsoring, édition d'entreprise, animation de réseau et promotion des ventes.
Plus globales, les demandes des annonceurs s'étalent aussi dans le temps. « Le marché de l'événementiel est enfin ­mature, analyse Cyril Giorgini, président d'Auditoire (TBWA). Les annonceurs n'hésitent plus à travailler avec nous à l'année. » Il cite ainsi des budgets phares comme la communication événementielle annuelle d'Alstom ou le plan de communication interne, sur plusieurs années et dans plusieurs pays, d'Areva.
À l'origine de ces nouveaux partenariats au long cours ? Le référencement chez l'annonceur. « Aujourd'hui, c'est un passage obligé pour être consulté par les grands groupes », explique Sarah Hassine, directrice du développement de MCI. Ce groupe suisse, qui cherche à se développer en France, a passé l'année à monter des dossiers de référencement. Il fait aujourd'hui partie des pools d'agences qui peuvent être interrogées par Orange, HP ou Astra Zeneca. Pour les agences, c'est un travail de Titan mêlant transparence financière et présentation détaillée de leurs activités, cependant vu d'un bon oeil par la majorité des professionnels. En bref, cela assainirait les relations avec les agences, permettrait d'éviter les catastrophes financières de petites structures peu fiables pouvant nuire à l'image du métier. En contrepartie de prix revus à la baisse, les entreprises s'engagent à donner davantage de travail à une agence. De quoi favoriser les contrats à long terme et offrir aux agences la possibilité de travailler plus en profondeur sur les stratégies globales de communication.
De nouvelles formes de collaboration font ainsi leur apparition : Shortcut gère depuis cinq ans toute la communication hors médias d'Audi , et Publicis Events s'occupe depuis trois ans des opérations événementielles de Sanofi-Aventis dans le monde. « C'est une tendance, dans les laboratoires pharmaceutiques, d'opter pour quelques agences à qui l'on garantit une partie du business », explique Richard Attias, PDG de Publicis Events Worldwide. Market Place, Connect Factory et Le Public Système ont également passé des contrats cadres avec divers ministères ou entreprises.

Géométrie variable

Signe des temps, Microsoft, qui réalise plus de 700événements par an, a jeté son dévolu en juin sur deux partenaires, Le Public Système et Pro Deo. Son objectif : accroître la cohérence, l'empathie et l'impact de son activité événementielle, qualifiée d'élément-clé de sa communication. Aujourd'hui, Le Public Système veut multiplier l'externalisation, au sein de son agence, de tout ou partie des services communication et marketing des annonceurs. « Les services achats ont compris que les compétitions à répétition sont un enfer. Elles font perdre du temps et de l'argent à tout le monde », précise Frédéric Bedin, du Public Système.
Avec l'externalisation, l'entreprise s'appuie sur des équipes à géométrie variable. L'annonceur fait des économies en définissant ses exigences. Il peut proposer des bonus pour maintenir une bonne qualité de service, négocier la réalisation d'économies annuelles et progressives. « Le modèle, c'est ­Renault et Publicis, ajoute Frédéric Bedin. Une relation de trente ans, mais en interne, c'est un challenge permanent, notamment entre les créatifs. »
Tendance profonde ou exception qui confirme la règle ? Pour beaucoup d'agences, les contrats à long terme ne sont pas une réalité. Et ceux qui existent se comptent encore sur les doigts de la main. La pression des services achats ne donne pas toujours lieu à un plus grand volume de travail, comme certains le font miroiter. Elle aurait même tendance à nuire à la créativité, quand les agences du secteur souffrent justement d'être considérées, avant tout, comme des prestataires techniques. Les contrats à long terme profitent aux grosses structures, qui sont une poignée à se partager le marché. Et les autres ? Le marché de l'événementiel, dont il est difficile d'établir le classement (les groupes se refusent à communiquer leurs chiffres), se caractérise par une multitude d'agences de tailles et de profils aussi variés que les opérations qu'elles réalisent. Le Guide des relations agences-annonceurs prévu pour le printemps 2007 ne sera certainement pas un luxe.