Les auditeurs font la parole

Description

On va dans le Territoire de Belfort retrouver Patrick », lance le journaliste Jérôme Godefroy sur RTL. À l'aise, Patrick commence : « Je trouve votre émission fantastique parce que vous nous donnez la parole [...] Monsieur Tapie est une personne connue et moi je suis un anonyme mais, quand on s'est trompé, il faut avoir le courage de le dire. Moi, j'ai toujours voté à gauche mais, aujourd'hui, je pense que je voterai Sarkozy. » Une coupure publicitaire plus tard, c'est Jean-Michel, de Neuilly-sous-Clermont, qui s'exprime : « Je vais dans les bars pour mon travail et j'ai bien peur que 2002 se reproduise. J'entends les gens dire qu'ils en ont marre de la gauche, qu'ils voteront à droite et qu'ils donneront certainement leur voix à Le Pen. »
En pleine campagne présidentielle, les discussions politiques vont bon train dans l'émission mythique de RTL Les Auditeurs ont la parole, à l'antenne depuis près de trente ans. Mais comme ne manque pas de le rappeler Jérôme Godefroy, qui invite les auditeurs à s'exprimer pendant une heure et demie chaque jour, tous les sujets sont bienvenus : de la journée de la courtoisie au volant à l'affaire du pain et de l'eau servis dans une cantine de Seine-et-Marne, en passant par le record de vitesse du TGV. « L'interactivité a toujours été au coeur de la station, rappelle Jacques Esnous, directeur de l'information de RTL. Depuis quarante ans, nous prenons le pouls de notre auditoire et, sur RTL, l'espace de liberté donné aux auditeurs par de telles émissions a toujours progressé. Il n'y a pas de secret : on épouse l'air du temps. Or nous sommes aujourd'hui dans une ère de la communication au sens large, qui nous a poussés à accroître encore le nombre d'émissions interactives. » Une tendance qui s'est effectivement affirmée et s'avère toujours payante. Les Auditeurs ont la parole réunit chaque jour plus de 679 000personnes, une audience en progression de 10 % sur un an, qui s'explique aussi par l'allongement de l'émission, passée d'une heure à une heure et demie en septembre dernier. En présentant sa grille de rentrée, Axel Duroux, le patron de RTL, avait insisté sur « l'interactivité qui va dans le sens d'une radio moderne ».

Public compétent... et exigeant

RMC, l'autre radio généraliste « participative », a également vu son audience décoller et franchir la barre symbolique des 5 % d'audience dès septembre 2006, six ans après son rachat par Alain Weill. « L'expression des auditeurs à l'antenne est un exercice classique en radio, autant que peuvent l'être un jeu ou un disque, nuance toutefois Franck Lanoux, directeur général de la station. Ce qui est moins classique, c'est de faire une radio 100 % interactive. Sur RMC, les auditeurs peuvent intervenir en permanence, dans toutes les émissions. » Le foot, le sexe, l'actu : tout est matière à témoignages. C'est Jean-Jacques Bourdin, un transfuge de RTL, qui ouvre le standard de RMC avec les 2 000 appels que sa matinale suscite chaque jour entre 7 h et 11 h. « Au total, nous essayons d'en diffuser une quarantaine, sans parler des messages Internet, des SMS ou des commentaires postés sur mon blog, ouvert il y a un an et visité par plus de 250 000 personnes chaque mois », explique le journaliste. Si le succès de cette libre antenne ne se dément pas, les attentes des participants n'en ont pas moins changé. « Aujourd'hui, nous assistons à l'entrée du citoyen-auditeur dans la salle de rédaction », observe Jean-Jacques Bourdin.
Une analyse qu'a d'abord rejetée Jean-Pierre ­Elkabbach, le patron d'Europe 1, soucieux de laisser l'information entre les mains des journalistes. Les derniers résultats Médiamétrie de l'année 2006, qui ont révélé une baisse d'audience de 0,3 point sur un an, ont donné tort à « JPE ». Il n'a donc pas manqué de changer son fusil d'épaule en profitant de la présidentielle pour ouvrir le débat aux auditeurs, par le biais de nouveaux rendez-vous tels que Face à la rédaction ou Le Club Europe 1 France 2007. Europe 1 n'est pas la seule à vouloir combler le fossé qui sépare journalistes et auditeurs. France Inter a été publiquement remise en cause par son auditoire dans sa matinale et son émission Le Téléphone sonne lors de la campagne référendaire sur la Constitution européenne, en 2005. « Le public n'a plus envie d'un système descendant. Il est la plupart du temps averti, compétent et désireux d'être acteur du débat, voire de la fabrique de l'information. Ses exigences sont plus fortes qu'avant », souligne Patrick Pépin, médiateur du groupe public. « Nous devons construire une autre relation entre auditeurs et journalistes. Plutôt que l'interactivité, l'idée fondamentale qui nous anime est de traiter l'auditeur en égal, sans toutefois copier les formats de RTL ou de RMC », complète Jean-Paul Cluzel, président de Radio France.
Muni de ses nombreux outils de communication, du téléphone mobile aux organiseurs personnels, l'auditeur semble bel et bien décidé à prendre part au débat. Un débat qui ne se cantonne plus à l'antenne et s'est élargi à Internet. Toutes les radios surfent sur la vague du Web 2.0, nouveau pivot l'interactivité. Depuis peu directeur de France Info, Patrick Roger mise sur le site de la radio pour développer la participation des auditeurs, laquelle n'a pas vraiment sa place sur la station. Pour sa part, RTL a associé un blog à l'émission Les Auditeurs ont la parole dès septembre 2006. Pour Jacques Esnous, ce prolongement sur Internet était devenu nécessaire. « Sachant que nous recevons 1 500appels en moyenne par émission et que nous n'en diffusons qu'une vingtaine à l'antenne, nous nous doutions que beaucoup d'auditeurs pouvaient ressentir une certaine frustration », admet-il. Aujourd'hui, sans que les appels téléphoniques ne tarissent, le blog de l'émission génère près d'un millier de commentaires par jour. « Nous nous sommes rendu compte qu'une véritable communauté des blogueurs des Auditeurs ont la parole s'était créée », poursuit le directeur de l'information, qui a dû mettre en place une équipe de cinq personnes chargées de modérer les propos tenus sur ce blog. À RMC, où Franck Lanoux estime avoir « une vision très Internet de la radio, avec son aspect contributif », on a également décliné son format interactif sur le Web. « Avec rmcinfo.fr, on n'est pas sur un site d'information mais sur un site participatif », poursuit le directeur général. Le Kop RMC en est sans doute le paroxysme, avec des auditeurs capables de commenter les matchs, via un tchat.
Les stations généralistes ne sont pas les seules à surfer sur la vague du 2.0. Les musicales, dont le format ne se prête pas autant à l'interactivité, hormis lors des émissions de libre antenne, ont elles aussi profité d'Internet pour développer leurs relations aux auditeurs. « Pour nous, l'interactivité est 100 % Internet », affirme Christophe Sabot, directeur général du pôle musique de Lagardère Active, qui tente depuis deux ans de créer un véritable espace communautaire sur europe2.fr. « Aujourd'hui, le lien entre la station et l'auditeur est d'autant plus important qu'il est permanent grâce aux technologies telles que les MMS, les SMS, les blogs et autres forums », explique-t-il. De quoi ravir les services marketing. « Il est vrai que ceux qui réagissent vite sont les auditeurs favoris de la station. Ils constituent une aide notoire pour la programmation, par exemple, même si toutes ces informations doivent ensuite être validées par des recherches scientifiques », souligne Christophe Sabot. Internet constitue également un relais supplémentaire pour la marque et son univers musical. Chaque événement Europe 2 est désormais relayé en amont et en aval sur le Web. NRJ considère aussi que l'interactivité sert la stratégie de diversification du groupe. NRJ Studio, la plate-forme musicale consacrée aux nouveaux talents lancée début mars, en est le meilleur exemple car elle implique la radio, la télévision, le mobile, Internet mais aussi le label musical, voire la filiale événementielle du groupe. « Il s'agit d'un premier pas dans la construction d'un site communautaire du type Myspace, que nous lancerons en juin », se réjouit Roland Le Parc, le directeur d'E-NRJ. Pour lui, cet espace permettra aussi et surtout « de ne pas nous couper de nos auditeurs d'aujourd'hui et de demain ».
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