400 agences de communication

Description

Nous sommes exactement dans la même situation qu'à la fin des années 1990, quand tout le monde pensait que s'il avait un site, il serait fortement valorisé. [...] Il y a beaucoup trop de gens qui font des projets basés sur la publicité en ligne, et ils pourraient être déçus car il n'y a pas assez d'argent pour tout le monde. » Cette déclaration de Maurice Lévy lors du Forum des médias, qui s'est tenu du 8 au 10 novembre à Monaco, a pu en faire sourire certains. En effet, le président du directoire de Publicis Groupe n'a pas été le dernier à participer au gonflement de cette nouvelle bulle Internet, en rachetant notamment l'américain Digitas pour la bagatelle de 1,3 milliard de dollars ! Mais il est vrai que cette fois, et contrairement à 2000, les transactions dans l'univers du Web n'ont plus rien de virtuel et concernent de vraies entreprises avec de vraies compétences.
Cette course au numérique dans laquelle se sont engagés tous les grands groupes publicitaires, en quête de nouveaux relais de croissance, n'a pas épargné le marché français. La troisième édition du classement Stratégies des principales entreprises de communication en France montre clairement que ce secteur est de loin, avec certains acteurs des marketing services, le plus dynamique. Fullsix affiche ainsi sur 2006 une croissance de son chiffre d'affaires de 25,7 %, Business interactif de 33,4 %, Net Booster de 118 % et Duke de 41,8 %. Parmi les principales opérations de rachat dans l'Hexagone, celles conclues par Publicis, décidément très offensif sur ce marché, ne sont pas des moindres. Après avoir jeté son dévolu sur l'agence Business interactif en juin dernier, la valorisant du coup plus de 137 millions d'euros (pour un chiffre d'affaires de 19,4 millions), le groupe Publicis a successivement racheté en septembre Phone Valley, spécialiste du marketing mobile et W Cube, rebaptisée Publicis Modem. Parallèlement, l'américain Avenue A Razorfish reprenait l'agence Duke ; Microsoft, acquéreur pour 6 milliards de dollars du groupe interactif Aquantive outre-Atlantique, mettait la main sur la régie mobile Screen Tonic et le groupe Lagardère, lui, rachetait Nextedia. « Si ces acquisitions se sont pour la plupart réalisées à des prix représentant de 11 à 20 fois les profits avant impôts, cette surchauffe des valorisations se calmera certainement d'ici à mars 2008. Non seulement de par la raréfaction d'un crédit devenu, de ce fait, plus onéreux, mais aussi quand les bilans 2007 de ces agences seront connus », prévient Henri-Christian Schroeder, président de Schroeder&Associés, cabinet-conseil en rapprochement d'entreprises de communication.

Un « business model » remis en question

« Les frontières bougent, lance Bernard Petit. La révolution digitale agit sur tous les métiers de la communication et les annonceurs se posent beaucoup de questions sur les plans de communication traditionnels. » Le président de Vidéothèque, cabinet spécialisé en choix d'agences, estime que sous l'impulsion d'une nouvelle génération de directeurs marketing, âgés en moyenne de 35 ans, de profonds changements vont s'opérer. « Je ne serais pas surpris de voir de grandes marques publicitaires disparaître dans les prochaines années », confie-t-il. Le récent rapprochement de Leo Burnett, Starcom et Digitas, annoncé par Publicis Groupe, montre que les lignes ne sont plus figées. La voie ayant été audacieusement ouverte par Interpublic, avec la fusion de ses réseaux de marketing relationnel et de publicité Draft et FCB en juin 2006. « C'est en fait le " business model " des agences qui est remis en question sous l'effet conjugué de l'explosion d'Internet et de la baisse des investissements dans les médias », constate Bruno Paillet, président du cabinet Conseil&Annonceurs. Les agences interactives elles-mêmes contribuent à ce changement en intégrant des compétences publicitaires : Duke a ainsi recruté Bertrand Janny, ancien directeur général de DDB et vice-président de Young&Rubicam. Une tendance que l'on observe aussi parmi les agences de marketing services, telle The CRM Company, qui a embauché en septembre dernier Luc Basier, ancien d'Ogilvy, Anne-Cécile Tauleigne, ex-Callegari Berville Grey, et Jean-Noël Perrin, l'un des cadres dirigeants de DDB. À l'exemple de ce groupe présidé par Bertrand Frey, les indépendants sont toujours aussi présents et dynamiques, comme en témoigne le classement Stratégies. Hormis les deux incontournables grands groupes de communication intégrés, Publicis et Havas, et quelques respectables acteurs spécialisés, comme Teleperformance (marketing téléphonique), Altavia (édition et promotion), Accentiv (motivation des ventes) ou High Co (marketing opérationnel), qui dominent toujours le marché, certains indépendants, plus modestes, suivent cependant une stratégie de développement soutenue à grands coups d'acquisitions.

Mouvement entrepreneurial

Coté en Bourse, The Marketingroup (23,8 millions d'euros de chiffre d'affaires) a ainsi acquis en septembre dernier l'agence L'Enchanteur des nouveaux médias. Ligaris (18,5 millions) a racheté début 2006 la société d'édition d'entreprise L'Agence. The CRM Company (plus de 11 millions) a repris l'agence de marketing opérationnel Coccinelles et est sur le point de conclure le rachat de l'agence interactive Xotox. Extrême (14,7 millions) avait déjà fait de même dans ce secteur en reprenant Sensio. Le plus boulimique étant sans conteste Yin Partners, dont le chiffre d'affaires de 11,7 millions d'euros a crû de près de 85 % en 2006, qui, ces derniers mois, compte encore une demi-douzaine d'acquisitions à son actif : Alternative en publicité, Com'demain en événementiel, Ursamaior en marketing relationnel...
Ce mouvement entrepreneurial (lire l'entretien page 38) n'est pas prêt de se tarir. « On dénombre en effet de nombreuses créations d'agences indépendantes, souvent par des pointures de la profession », observe Christian Larger, président du cabinet-conseil en choix d'agences Gibory Consultant. L'année 2006 a ainsi vu naître La Chose, sous l'impulsion d'Éric Tong Cuong (ex-Y&R) et de Pascal Grégoire (ex-CLM BBDO), Georgeon-Lorentz (devenue Georgeon&Associés en octobre), avec à sa tête Olivier Georgeon (ex-Publicis), et Others, fondée par deux anciens de Draft, Didier Stora et Hélène Huteau. L'année 2007 a aussi été riche en création d'agences : Arkansas (Catherine Arnaize, ex-MPG), June 21 (Jean-Pierre Villaret et Jean-Marc Benoît, ex-Devarrieux Villaret), Just a Kiss (Isabelle Carron, de Draft, et Arnaud Pigounides, de Reflex) et récemment Auditia (Philippe Sarrazin, d'Initiative).
Au sein même des groupes de communication souhaitant attirer ou garder des talents, de nouvelles enseignes ont également vu le jour. Exemples : le groupe Bolloré avec FFL (Christophe Lambert, Frédéric Raillard et Farid Mokart, ex-Publicis) et Atjust (Dominique Julien, ancien du Nouvel Eldorado, et Thomas Stern, de Draft-FCB) et TBWA avec MAP, agence créée sur mesure pour des collaborateurs du groupe (Sébastien Vacherot, Manoelle Van der Vaeren, Jocelyn Jarnier et Nicolas Chemla, ce dernier venu de BETC). Les rachats et réorganisations ne sont pas pour autant écartés. Havas a racheté Scher Lafarge, et annoncé en juin dernier la création de H, regroupant les activités et les équipes de Scher Lafarge, Devarrieux Villaret, Brann Communider, 146&Cie et Le Nouvel Eldorado. À chacun son nouveau modèle d'agence.