Enquête
Avec 27 millions de visiteurs uniques, Facebook n'est pas seulement la deuxième audience de l'Internet français. C'est aussi une source croissante de trafic pour les médias et un levier incontournable d'interaction sociale. Mais pour quels revenus?

Des profils, des pages «fans», des boutons «like» et maintenant des applications sociales qui permettent à ses amis d'apprécier les contenus que l'on consomme… Facebook intègre toujours un peu plus les marques et les médias dans son écosystème. Lors de la conférence des développeurs, le F8, qui s'est tenue à San Francisco le 22 septembre, Mark Zuckerberg, le fondateur du média social, y a présenté sa plate-forme d'applications, qui permettra aux utilisateurs d'écouter leurs tubes préférés tout en visionnant des vidéos ou en lisant les articles publiés sur les sites d'actualité partenaires, le tout sans quitter l'univers Facebook.

En France, TF1, Le Monde,L'Equipe et Les Echos sont parmi les premiers médias à avoir été choisis pour intégrer ces nouvelles fonctionnalités. «Nous avions un nom. Maintenant, nous plaçons un verbe. Le “like” n'est désormais plus le seul bouton. Les utilisateurs pourront regarder, écouter ou encore lire», a expliqué Mark Zuckerberg.

De porte d'entrée sur Internet, Facebook devient peu à peu… le Web à lui tout seul. Ou comme l'a dit Joël Ronez, directeur des nouveaux médias de Radio France, le 13 octobre, au cours d'une table ronde de l'EBG, l'Electronic Business Group, «Facebook a gagné la guerre: ne pas avoir de stratégie Facebook est inconcevable. Plutôt que des minisites, on monte des pages fans et on considère que ces expansions sont les nôtres.» Quitte, reconnaît-il, à «renforcer un monopole qui n'est pas régulé par un droit». Quitte aussi à créer une déperdition de trafic en phagocytant les sites d'origine.

Mais il faut être pragmatique: le réseau social revendique à lui seul 15% du temps passé en France sur Internet et affirme générer «15 à 20% du trafic sur les sites médias», dixit Damien Vincent, qui dirige Facebook dans l'Hexagone. Et il est difficile à contourner pour qui veut entrer en conversation avec les internautes.

UNE NOUVELLE ERE DE LA RECOMMANDATION. Quoi de plus efficace que le bouche-à-oreille? Programmes, articles et vidéos sont aujourd'hui partagés par les 23 millions d'utilisateurs que compte Facebook en France. Beaucoup de médias, en postant des contenus huit à dix fois par jour, tel France 24, ont fait leur percée sur le réseau en profitant de la touche de partage («share»). Une recommandation qui tend à devenir passive dès lors qu'il suffit d'accepter que ses amis suivent sa consommation d'un contenu pour être prescripteur sans même le recommander par un «like».

Cela n'a pas échappé à TF1, qui se revendique, via ses émissions, plus gros collecteur de fans de France (6,3 millions au total) et incite les inconditionnels de ses pages Secret Story ou Danse avec les stars à basculer sur la page TF1 via des infos exclusives ou la perspective d'une rencontre avec une star de la chaîne. Le groupe a proposé à sa communauté de suivre en direct la demi-finale France/Angleterre de Coupe du monde rugby et les commentaires écrits de Sébastien Chabal. A travers les crédits Facebook, il a été possible de voter lors de la finale de Secret Story. On peut aussi offrir à un ami pour les fêtes un épisode inédit d'une série américaine. Peu de chances de se tromper si vous savez que votre «ami» est déjà téléspectateur de ladite série.

«Facebook permet d'assurer la promotion de nos contenus, de prolonger la relation avec le téléspectateur et c'est un outil de prescription», résume Jean-François Mulliez, directeur délégué en charge de la télévision sur IP de TF1, qui estime que le réseau est un générateur de plus en plus important de trafic sur la télévision de rattrapage de TF1.

Xavier Spender, PDG de L'Equipe 24/24, y voit un outil qui «sert à étendre l'empreinte de la marque L'Equipe, à élargir son territoire». Avec près de 245 000 fans, le journal sportif partage sa une, les résultats sportifs marquants de la journée et des informations parfois anecdotiques, mais susceptibles de faire le buzz. Deux personnes rattachées au service marketing se consacrent aux relations avec les internautes, auxquelles s'ajoute l'équipe rédactionnelle du site. Objectif: promouvoir les contenus tout en s'appuyant sur les internautes qui s'autorégulent.

A France 24, qui compte plus de 500 000 fans de sa page en français et près de 900 000 au total, la question du «community management» a fait débat. Marketing ou journalisme? La chaîne a misé sur tous les écrans et s'est vite rendu compte de la dimension relationnelle du réseau social: c'est souvent via Facebook que les gens la découvrent. Il convient donc d'entretenir cette relation en postant régulièrement des vidéos, des contenus exclusifs et même de renvoyer vers la communauté au cours d'émissions de plateaux.

France 24 est aussi le premier diffuseur à avoir intégrer le «live» de la chaîne sur son mur, que les internautes peuvent commenter en direct: «Les fans restent sur Facebook, c'est très dur de les faire venir sur le site», observe Boris Darlet, responsable marketing des nouveaux médias. La chaîne doit une grande partie de sa renommée au réseau social pendant le printemps arabe. Le secret? Une convergence permanente dans un même espace des aspects marketing, éditoriaux et techniques, une offre multiple avec une cinquantaine de comptes Facebook. «Pour les journalistes, c'est un moyen d'avoir des infos. Ne pas vouloir y aller constitue une faute professionnelle», a déclaré à l'EBG la rédactrice en chef du site, Karine Broyer.

A Radio France, qui accuse un retard important sur les réseaux sociaux, Joël Ronez reconnaît qu'il peut y avoir «une certaine intimidation» pour qui tient le compte d'une marque média. Il défend donc l'idée d'espaces éditoriaux édités sur un ton informel par les journalistes plutôt que par des communicants, et régis par la charte de déontologie des journalistes et le Code du travail plutôt que par une charte ad hoc, comme à France Télévisions.

Du côté de NRJ, la stratégie est un peu différente. Au million de fans que compte la page principale de la radio s'ajoutent des pages thématiques, par émission et par ville. L'audience des pages est d'ailleurs incluse par Médiamétrie dans l'audience générale de nrj.fr Le réseau musical revendique plus de 3 millions de fans sur Facebook. «L'émission de Cauet peut générer jusqu'à 80 000 commentaires dans la soirée. Cette suractivité n'intéresse pas tout le monde, d'où le choix de NRJ de segmenter sa présence sur Facebook», estime Charles Benoit, directeur de la communication.

Depuis plus d'un an, la station multiplie les initiatives sur le réseau social: vote quotidien sur le titre musical que les utilisateurs veulent voir diffusé à l'antenne, webradio NRJ Hits Facebook, diffusion de concerts live et concours NRJ School, qui offre à celui qui parvient à rassembler le plus de fans la venue d'un artiste dans son école. «Nous avons été les premiers à proposer des événements réels sur cette plate-forme virtuelle. Aujourd'hui, nous voulons développer la viralité sur mobile autour de la musique et des webradios», souligne Charles Benoit.

UNE SOURCE D'AUDIENCE CROISSANTE. Google est encore un incomparable apporteur d'audience face à Facebook, qui ne compte encore que pour quelques pour cent dans l'audience des sites (moins de 3% pour lequipe.fr, 5% pour Rue 89…). Pour Le Monde, le réseau social est avant tout un outil de marketing viral et de fidélisation, alimenté tant par la rédaction Web que par le service marketing. «En plus de notre cœur de cible habituel, cela nous permet d'aller chercher des personnes à la frange de notre audience habituelle», estime le PDG du Monde interactif, Philippe Jannet.

L'audience que tire lemonde.fr, malgré ses quelque 230 000 fans, demeure marginale: 0,5% des visites, contre 10% pour les moteurs de recherche, pour un total de 55,6 millions de visites en septembre. «Nous envoyons plus d'internautes à Facebook que le réseau social nous en envoie», constate le patron du Monde interactif.

Vogue.fr déclare tirer 27% de ses visites des réseaux sociaux. Sarah Herz, directrice des activités digitales de Condé Nast, s'en est félicitée à l'EBG: «Le plus gros danger, ce sont les marques qui s'adresse directement au consommateur sans passer par nous. L'Oréal Paris et Burberry ont déjà un rédacteur en chef.»

A L'Equipe, le site fera partie des premiers médias à intégrer les nouvelles fonctionnalités de Facebook. Ainsi, toute personne qui aura autorisé le réseau social à suivre son activité sur le site du quotidien permettra à ses amis de savoir quels articles il est en train de commenter et surtout de lire. Mais pas question pour le journal de déléguer à Facebook ce trafic supplémentaire, notamment en lançant une application au sein de la nouvelle plate-forme, comme l'a fait le Wall Street Journal. «Ces nouvelles fonctionnalités permettent à nos contenus d'être mieux partagés. Mais nous voulons que les internautes restent dans l'univers L'Equipe», martèle Xavier Spender, de L'Equipe 24/24. Même si Facebook se veut rassurant en disant que son réseau social a une obligation de transparence dans l'exploitation des données privées et qu'il laisse le contrôle de ce qu'on partage «avec des amis, des amis d'amis et tout le monde», le réseau fait peur.

QUELLE MONETISATION? Rares sont les médias qui gagnent de l'argent grâce à Facebook, et NRJ fait partie de ces exceptions. Depuis janvier 2011, Facebook permet à un certain nombre de régies partenaires – comme Make me Reach pour le groupe de radios – de commercialiser des espaces dans les pages et les applications des marques qui le souhaitent, moyennant une commission.

«Le F8 marque une charnière dans la monétisation de notre audience sur Facebook. Je n'ai aucune idée de combien ça peut rapporter, mais NRJ sait travailler avec les artistes sur ce réseau social. C'est une vraie expérience qui intéresse les annonceurs», estime Charles Benoit, le directeur de la communication du groupe. Parmi les produits commercialisés, des bannières à l'intérieur des applications, qui permettent un ciblage par rapport au profil général des utilisateurs du programme en question.

Autre possibilité, les Facebook Ads, des publicités hyperciblées et donc beaucoup plus chères, qui apparaissent sur le côté de la page en fonction du profil de chaque utilisateur. Enfin, les régies commercialisent des «sponsored stories», qui proposent par exemple à un utilisateur de devenir fan des mêmes pages que ses amis. «C'est difficile de savoir quel est le potentiel de ce marché. Ce que nous savons, c'est qu'une régie comme Make me Reach génère entre 3 et 4 milliards de publicité par mois», chiffre son directeur général, Pierre-François Chiron.

Enfin, de nouveaux territoires s'ouvrent pour la vidéo à la demande. Depuis juin, TF1 propose ainsi au sein de l'univers Facebook le spectacle de Florence Foresti et ses séries américaines (Mentalist, Dr House…) en location au lendemain de leur diffusion aux Etats-Unis. Résultat: 60% des 6 000 téléchargements de l'application de l'humoriste ont été vendus et 6 000 épisodes des séries sur 15 000 téléchargements (à 1,99 euro).

Tristan du Laz, directeur général de TF1 Vision, parle de «phase d'apprentissage» alors que 30 à 40% des transactions ont été assurées via des crédits Facebook (le reste étant payé par carte bancaire, sachant que le réseau social prend 30% de commission). «On cherche à exposer le mieux possible notre offre légale, dit-il. Facebook permet de renforcer notre présence auprès des femmes et des jeunes adultes.» Le message a été entendu par My Screen ou Canal+, qui vient d'annoncer «une intégration très étroite» de son futur service Canal Play Infinity au sein du réseau social. M6 Replay pourrait suivre.

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