Portée par Benoît Hamon, ministre de l'Economie sociale et solidaire et de la Consommation, la loi sur la consommation, votée le 13 février dernier, souhaite rééquilibrer la relation consommateur-entreprise. De fait, le texte final la modifie parfois en profondeur.

Le projet de loi relatif à la consommation, dite loi Hamon, du nom du ministre délégué chargé de l'Economie sociale et solidaire et de la Consommation (lire entretien), a été définitivement adopté le 13 février. Ce texte vise à mettre en place de «nouveaux outils de régulation économique pour rééquilibrer les pouvoirs entre consommateurs et professionnels». En dépit de la saisine du Conseil constitutionnel par l'UMP le 17 février, portant notamment sur les dispositions de l'action de groupe, les professionnels du marketing et de la communication ont tout intérêt à anticiper ces nouveaux dispositifs, d'autant que sur les quelque 160 articles du texte de loi, nombreux sont ceux qui changent sensiblement la donne. Inventaire des mesures les plus emblématiques.  

 

Action de groupe

«Une association de défense des consommateurs représentative au niveau national et agréée (...) peut agir devant une juridiction civile afin d’obtenir la réparation des préjudices individuels subis par des consommateurs en réponse aux manquements des entreprises au Code de la consommation (pratiques abusives, frauduleuses, allégations mensongères) ainsi qu’aux pratiques anticoncurrentielles.»

C'est la mesure phare de la loi. Elle devrait sensiblement modifier le rapport de force entre les consommateurs et les entreprises. L'effet de groupe incite en effet davantage à l'action et pourrait donc multiplier les recours en justice (hors environnement et santé, exclus du texte).Cédric Musso, directeur des relations institutionnelles de l'association de consommateurs UFC-Que choisir apporte toutefois deux bémols: «Etant donné que l'information des victimes ne pourra intervenir qu'une fois que le jugement de responabilité sera devenu définitif, il est à craindre que, compte tenu des délais de justice, celle-ci intervienne très longtemps après les faits. Se pose alors la question de la conservation des preuves. Par ailleurs, l'association agréée ayant à supporter les charges du dossier, cela rendra la procédure moins particable.»

Cependant, «si les sociétés d'origine américaines implantées en France sont déjà sensibilisées à cette question, commente Jean-Christophe Alquier, président d'Alquier Communication, nombre d'entreprises françaises vont devoir gérer un nouveau risque juridique, mais aussi d'image, compte tenu de l'impact médiatique de ce type d'action». Autant dire qu'elles devront se saisir plus en amont de leurs relations avec les parties prenantes. L'impact sur les messages publicitaires et autres allégations marketing n'est pas non plus à négliger. Il pourrait bien accentuer encore la frilosité des annonceurs.

«Il est clair que les associations ont intérêt à se positionner sur ce sujet pour être agréées par l'Etat et ainsi bénéficier d'une opportunité d'action à grande visibilité. Nous allons entrer dans la stratégie de la communication du plaidoyer», analyse Laurent Terrisse, président et cofondateur de l'agence Limite, conseil en communication responsable. Mais de son côté, Vincent Leclabart, président de l'Association des agences-conseils en communication (AACC) et de l'agence Australie,regrette «de voir la société française s'engager vers une juridiciarisation toujours plus grande».

 

Résiliation des contrats d'assurance

«Pour les contrats d'assurance couvrant les personnes physiques (...), l'assuré peut, à l'expiration d'un délai d'un an à compter de la première souscription, résilier sans frais ni pénalités les contrats et adhésions tacitement reconductibles.»

Au bout d'un an de contrat, les assurés pourront donc désormais quitter à tout moment leur compagnie d'assurance. «Cette nouvelle disposition va dynamiser la concurrence», se félicite Cédric Musso. Sur le papier, cela laisse présager, du côté des assureurs, une bataille acharnée à la fois pour garder leurs clients et pour démarcher ceux de la concurrence. «Dans un premier temps, cette mesure qui favorisera l'entrée de nouveaux acteurs devrait faire baisser les prix. Mais compte tenu des coûts d'acquisitions de nouveaux clients, les primes risquent fort, à terme, d'augmenter», estime Vincent Leclabart, qui reconnaît qu'au-delà de la bataille des prix, cela devrait inciter à recourir davantage à la qualité de service comme argument publicitaire. 

 

Droits des consommateurs sur Internet

«Le consommateur dispose d'un délai de quatorze jours pour exercer son droit de rétractation d'un contrat conclu à distance. (...) À défaut d'indication ou d'accord quant à la date de livraison ou de d'exécution, le professionnel livre le bien (...) sans retard injustifié et au plus tard trente jours après la conclusion du contrat.»

Désormais, les consommateurs qui avaient jusqu'alors sept jours pour se rétracter après un achat par le biais de l'e-commerce et de la vente à distance (VAD), auront donc désormais le double de jours. Et ils en auront quatorze supplémentaires pour renvoyer le produit. De même, le délai de livraison, jusqu'ici sans limite, ne peut plus excéder trente jours à compter de l'achat. Ces nouvelles conditions nécessiteront de la part des entreprises de mettre en place une communication pré-contractuelle. Cela incitera-t-il certaines d'entre elles à étendre encore les offres concurrentielles, type «satisfait ou remboursé», qu'elles proposaient déjà parfois avec des délais de rétractation à trente jours? La dynamique concurrentielle le dira. «Reste un biais dans le texte de loi, souligne Laure Baëté, juriste à la Fevad (Fédération e-commerce et vente à distance), les entreprises vont se retrouver à devoir rembourser un bien sans avoir pu au préalable vérifier son état.» 

 

Indication géographique et protection du nom des collectivités territoriales

«Constitue une indication géographique la dénomination d'une zone géographique ou d'un lieu déterminé servant à désigner un produit, autre qu'agricole, forestier, alimentaire ou de la mer, qui en est originaire et qui possède une qualité déterminée, une réputation ou d'autres caractéristiques qui peuvent être attribuées essentiellement à cette origine géographique.»

Jusqu'alors réservée aux produits naturels, agricoles et viticoles, l'indication géographique est donc étendue aux produits manufacturés. Une victoire pour la porcelaine de Limoges, le couteau Laguiole, le linge basque et autre dentelle du Puy, quelques unes des marques réunies au sein du Réseau IG. «Désormais, les producteurs de Thiers [grand bassin de production de la coutellerie] devront préciser “Laguiole fabriqué à Thiers”, remarque Christian Sarrot, conseiller en communication de la Forge de Laguiole. Reste maintenant à créer un macaron “indication géorgraphique” authentifié par les pouvoirs publics», ajoute-t-il.

Le fabricant de savon de Marseille Marius Fabre compte bien aposer ce label sur ses étiquettes. «C'est une reconnaissance d'Etat et une garantie pour la consommateur contre la contrefaçon», lance Julie Bousquet-Fabre, directrice générale de Marius Fabre et présidente de l'Union des professionnels du savon de Marseille. Prochaine étape, la création d'une labellisation au niveau européen.

Quant à la protection des noms de collectivité, le sujet est parfois complexe, comme le note Christian Sarrot, également conseiller du village de Laguiole (Aveyron): «Dans notre cas, le problème reste entier. Un particulier a déposé le nom il y a une vingtaine d'années et touche des royalties sur 38 des 45 classes de produits sous la marque Laguiole

 

Consommation responsable

«(...) la période pendant laquelle ou la date jusqu'à laquelle les pièces détachées indispensables à l'utilisation des biens sont disponibles sur le marché (...) est délivrée obligatoirement au consommateur par le vendeur de manière lisible avant la conclusion du contrat et confirmée par écrit, lors de l'achat du bien.»

Avec cette mesure, le gouvernement souhaite s'attaquer à l'obsolescence programmée des produits en faisant de leur «réparabilité» un nouveau critère de choix, au même titre par exemple que leur consommation d'énergie. «Je suis sceptique quant à l'efficacité de cette mesure. L'étiquetage est déjà très complexe et souvent illisible, remarque Laurent Terrisse de l'agence Limite. Toutefois, une marque qui se veut responsable pourrait déjà réfléchir au sujet et être proactive en mettant en place de nouveaux services, par exemple une application ou des “Flash code on pack” pour donner accès à ses clients à l'information en question

 

Libéralisation du secteur de l'optique

Jusqu'alors tolérés, les sites de vente en ligne de lunettes et de lentilles sont légitimés par la loi qui prévoit que «les prescriptions de verres correcteurs devront indiquer la valeur de l'écart pupillaire du patient afin de faciliter l'achat sur Internet».

De par cette disposition, le gouvernement donne un sacré coup de pouce aux acteurs en ligne de l'optique. «C'est un point essentiel de réassurance pour notre clientèle, qui fait son choix en fonction du prix mais aussi de la qualité, même si d'ores et déjà la marge d'erreur lors de la confection des verres est minime et sans incidence sur la qualité», note Emmanuel Gréau, président et cofondateur de Direct Optic. Ce site, lancé en 2008, est l'un des pionniers de l'optique en ligne. La pression sur les prix devrait nettement s'accroître pour les opticiens traditionnels. UFC-Que choisir prévoit une économie moyenne de 25% pour les clients.

Les acteurs du Web devraient en profiter pour augmenter leur prise de parole publicitaire. «Après nos tentatives en 2011 et 2012, qui n'avaient pas été concluantes, le marché n'étant pas mature, nous n'excluons pas de revenir dans les grands médias, notamment à la télévision», déclare Emmanuel Gréau. Néanmoins, l'optique en ligne est appelée à rester un marché de niche. Dans les autres pays plus avancés dans ce domaine, elle ne représente que 5% du marché total, soit, à l'échelle de la France, quelque 250 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel.  

 

Liste d'opposition au marketing téléphonique

«Le consommateur qui ne souhaite pas faire l'objet de prospection commerciale par voie téléphonique peut gratuitement s'inscrire sur une liste d'opposition au démarchage téléphonique.»

La loi Hamon signe la fin de l'autorégulation du secteur initiée en 2011 par cinq fédérations professionnelles avec la création de Pacitel, un fichier des consommateurs ne souhaitant plus faire l'objet de prospection commerciale par téléphone. Mais dans le même temps, elle en reprend le principe. «Les professionnels sont favorables à cette mesure qu'ils ont toujours soutenu et qui permet d'éviter de renvoyer une mauvaise image du métier», explique Laure Baïté, de la Fevad. «On évite en tout cas l'option du tout “opt-in” [obligation du consentement préalable du consommateur] défendu par certaines associations et de nombreux élus au Parlement», ajoute Eric Huignard, vice-président exécutif du Syndicat national de la communication directe (SNCD) et vice-président de Pacitel. L'association devrait d'ailleurs se porter candidate à l'appel d'offres que doit mener l'Etat pour désigner l'organisme chargé de la gestion de la nouvelle liste d'opposition. Tous les annonceurs devront consulter cette liste sous peine d'amende. «Mais encore faut-il que l'Etat se donne réellement les moyens de contrôles et de santions», conclut Cédric Musso, d'UFC-Que choisir. 

 

Aliments «faits maison»

«Les personnes ou entreprises qui transforment ou distribuent des produits alimentaires dans le cadre d'une activité de restauration commerciale ou de vente à emporter de plats préparés (doivent préciser) qu'un plat proposé est “fait maison”, (c'est-à-dire) élaboré sur place à partir de produits bruts. (…) Le titre de maître-restaurateur distingue les personnes physiques qui dirigent une entreprise exploitant un fonds de commerce de restauration ou y exercent leur activité, pour la qualité de leur établissement et de leur cuisine.»

L'indication du «fait maison», adoptée par le Parlement, est le résultat d'une intense bataille de lobbying entre restaurateurs et industriels de l'agroalimentaire. Au final, «cela va entretenir la confusion», estime Thierry Poupard, consultant en marketing restauration. D'autant que le label «Maître restaurateur», lancé en 2010 par le ministre Hervé Novelli, est donc pérennisé par la loi. «Que penser d'une carte qui affiche trois ou quatre plats “faits maison” sur un vingtaine proposés?», interroge Thierry Poupard. Sans compter que la loi prévoit que «des produits, déterminés par voie réglementaire, peuvent entrer dans la composition des plats “faits maison” après avoir subi une transformation de leur état brut nécessaire à leur utilisation». Autant dire que les industriels peuvent dormir sur leurs deux oreilles. «Après tout, le “fait maison” n'assure pas nécessairement une meilleure qualité ou une meilleure sécurité alimentaire», lâche Bernard Boutboul, fondateur et directeur général de Gira Conseil, cabinet spécialisé dans la restauration. «Si la communication autour du “fait maison” est aussi inexistante que celle qui a accompagné le lancement de “Maitre restaurateur”, tout cela risque fort d'être sans lendemain», remarque pour sa part Jean-Christophe Alquier. 

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.