Les régies des médias historiques veulent profiter des supports mobiles pour élargir leurs audiences et développer de nouveaux dispositifs.

Impossible pour les médias comme pour leurs régies d'ignorer l'engouement pour les supports mobiles. Dorénavant, «l'internaute devient multiécran et veut se connecter quand et où il veut», souligne Médiamétrie dans son étude «L'année Internet 2013». Ce bilan indique que «52% des internautes se connectaient via l'Internet mobile» l'an dernier.

Un changement qui s'est opéré avec la montée en puissance des équipements. Fin 2013, 8 millions de personnes surfaient depuis une tablette, soit +105% en un an, et 26,2 millions via un smartphone, soit 2,6 fois plus qu'il y a trois ans. Avec pour résultat une moyenne de 6,5 écrans par foyer français. Cette situation a influencé l'activité éditoriale et la fréquentation des médias.

Chaque mois, 15,4 millions d'auditeurs et 13,3 millions de téléspectateurs se connectaient aux sites et applications via Internet, plus de 30 millions d'internautes consultaient des sites d'actualités, selon Médiamétrie. Chaque jour, 6,3% des Français regardaient la télévision sur un autre écran que le poste TV ou en rattrapage. Ils étaient même 14% chez les 15-34 ans.

Pour la presse, la dernière enquête One Global d'Audipresse a évalué à 38% la part de lecteurs lisant sur support numérique les 71 titres de presse étudiés en 2013. Voire à plus de 50% pour les newsmagazines et quotidiens nationaux. Dans le détail, 57% lisaient uniquement le support papier, 17% (les «dupliquants») au moins deux supports, tandis que 22% consultaient uniquement le site Internet et 4% uniquement les versions pour smarphones. Encore minoritaire, la consultation des médias via l'Internet mobile booste déjà leur audience. Et télévision et presse ne prendront en compte l'apport des tablettes qu'en 2015.

Pour les régies, il s'agit d'en profiter, surtout si l'audience du support historique recule, comme celle du papier (–3% en 2013, selon Audipresse), à l'instar du marché publicitaire, en repli de –3,6% l'an dernier selon l'Irep. D'autant que le mobile, certes encore marginal (lire par ailleurs), affiche des taux de croissance de chiffre d'affaires publicitaires net record: +55% pour le display, à 68 millions d'euros, et +59% pour le search (150 millions d'euros), selon l'Observatoire de l'e-pub du SRI.

A M Publicité, la régie du Monde, le mobile représente «17% du chiffre d'affaires réalisé dans le digital, qui fournit lui-même un quart des recettes publicitaires. Et il affiche une croissance supérieure à 50%, indique sa directrice générale, Corinne Mrejen. L'objectif est de passer à 25% d'ici deux ans.» Pour y parvenir, elle mise sur l'innovation, notamment avec la nouvelle appli du quotidien, dont «la refonte en janvier dernier a été faite en pensant à une intégration des marques plus cohérente, adaptée à différents temps de lecture», explique-t-elle. Et sur la prise en compte du mobile dans les opérations spéciales, «ce support optimisant la puissance de la couverture. Il apporte de nouvelles cibles, tels les moins de 35 ans», précise Corinne Mrejen.

Même constat chez M6 Publicité, où, «plus que de nouveaux annonceurs, estime son directeur général adjoint, Ronan de Fressenel, le mobile attire les annonceurs TV sur le Web pour ses cibles plus jeunes». Pour Figaro Medias également, «les nouveaux canaux touchent un public à chaque fois plus jeune. Mais les CSP restent approximativement les mêmes», nuance la présidente, Aurore Domont. Celle-ci se félicite surtout de vendre une audience globale sous une seule et même marque, dont «le mobile représente une extension». Et avec «un ensemble de supports qui bénéficient des valeurs de la marque », selon une étude interne réalisée par Harris Interactive.

Un contenu adapté à l'usage et au format

Outre l'audience, le mobile permet d'orchestrer des stratégies basées sur la complémentarité. «Nous faisons de la cross-publicité et du médiaplanning en jouant sur la temporalité de lecture et d'usage», analyse Valérie Camy, directrice exécutif de Mondadori France Publicité. La filiale du groupe italien se sert des communautés créées autour de quelques marques. Closer permet de monter un dispositif «drive to store», où le mobile oriente la lectrice sur le point de vente. Avec Grazia, les annonceurs peuvent jouer la carte du «drive to brand», comme Marc Jacobs Beauty en mars dernier. «Le magazine a révélé le lancement de sa ligne de maquillage, l'a relayé sur le Web, et les lectrices ont pu s'inscrire, via l'appli, à la présentation par le créateur dans la boutique Sephora des Champs-Elysées, détaille Valérie Camy. On a pu faire du “buzz” sur quelques jours à partir de la communauté Grazia.» Avec celle d'Auto plus, Michelin travaille sa notoriété durant toute l'année via un dispositif presse-site-appli avec une actualité spécifique à chaque support.

Car, vu leurs spécificités d'usage et de format, les mobiles nécessitent un contenu adapté. M Publicité prépare ainsi une «interface d'adaptation rapide des créations, en relation avec les agences». L'approche diffère pour la télévision, où l'«on privilégie la mémorisation. Ce sont les mêmes vidéos partout, parfois différentes de celles diffusées en TV pour jouer sur l'interactivité, et adaptées aux divers appareils grâce à des “adservers”», explique Ronan de Fressenel, de M6.

Le smartphone et la tablette offrent cependant de nouvelles perspectives. TF1 Publicité vient de lancer Ad Motion, nouveau format «rich media» sur son application MyTF1, afin de «jouer des animations extrêmement événementielles et immersives sans perturber l'internaute dans sa lecture du contenu», annonce la régie.

Pour conserver le lien avec ses cibles commercialisables, il faut ménager le mobinaute. M6 Publicité «a évalué l'acceptation publicitaire à deux ou trois spots successifs, mais elle dépend aussi de la durée de la vidéo qu'on vient consulter». Un souci partagé par Canal+ Régie, dont le directeur général, Roger Coste, «ne souhaite pas trop exposer à la publicité un abonné déjà très sollicité en général. Nous vendons de la vidéo en préroll et rien d'autre.» Dans ce groupe audiovisuel payant, la publicité n'a pas les mêmes impératifs qu'en TV gratuite. D'ailleurs, la régie veut également se limiter dans l'utilisation des données comportementales, nouvel eldorado publicitaire, notamment sur le mobile.

«La “big data” sera déterminante pour optimiser l'hyper ciblage qui se profile», envisageait fin mars le département d'expertise We Believe (Dentsu Aegis Network) dans une étude prospective sur la télévision, tout en précisant: «Pour peu que la réglementation française évolue à l'unisson du reste du monde, permettant ce qui n'est déjà plus un problème technologique.» Une précision utile car lourde de conséquences.

 

 

FOCUS : Des dispositifs pour interagir

Les marques doivent privilégier les contenus interactifs dans leurs dispositifs pour séduire le public, d'après l'étude Ad Reaction de Millward Brown sur les usages et la publicité multiécran. L'enquête, réalisée début 2014 via 12 000 utilisateurs de télévision et mobile, dont 400 en France, montre que «les Français sont particulièrement familiers des vidéos virales et des publicités TV mettant en avant une appli mobile de marque». Surtout, «ils sont enthousiastes envers les dispositifs qui leur permettent d'interagir», tels ceux parrainés permettant de jouer sur mobile avec une émission TV en direct ou d'influencer le programme.

Ce constat s'applique également aux trente pays où ont été mesurés le souvenir et l'opinion des téléspectateurs sur une dizaine de dispositifs multiécrans. D'où ressort un faible engagementgénéral du public pour les publicités avec le hashtag du compte Twitter de la marque.

Dépenses médias balbutiantes

Millward Brown constate aussi que «les marques investissent de plus en plus sur ces nouveaux supports, même s'il reste un décalage». Le smartphone et la tablette bénéficient déjà respectivement de 24% et 9% du temps consacré aux écrans en France, derrière la télé (41%) et l'ordinateur (25%). Mais les deux premiers attirent seulement 1% des dépenses médias (vs 58% en TV et 41% via le PC). Au niveau mondial, les écrans mobiles captent 12% du budget des annonceurs, pour 47% (35% avec le smartphone, 12% pour la tablette) du temps passé devant les écrans. Un travail d'évangélisation reste à faire.

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