Réputation
Les marques, de Coca-Cola à Adidas, n'hésitent plus à provoquer frontalement leurs pires détracteurs sur le web: les fameux haters. Mais prêter le flanc aux critiques et aux moqueries reste une stratégie à hauts risques.

L’enfer, on le sait pourtant, est pavé de bonnes intentions. L’antienne a dû trouver un écho douloureux dans les esprits des cadres de Coca-Cola et de leur agence, Wieden & Kennedy. «Make it Happy!»,  tel était l’allègre programme de la campagne du limonadier d’Atlanta. Lancé pendant le Superbowl, l’opération se proposait gentiment de purger l’internet de ses mauvais coucheurs, haters et autre trolls, et de transformer la haine en amour: pour ce faire, les tweets acerbes envoyés à #Makeithappy se voyaient automatiquement transformés en personnages trop mignons. Mais rien à faire : les gens sont méchants. Après avoir remarqué que Coca-Cola a recyclé, à son insu, des messages de suprémacistes blancs, le site Gawker publie un article intitulé «Make Hitler happy» et décide dans la foulée de créer sur Twitter le robot Mein Coke, qui abreuve le dispositif de citations extraites de Mein Kampf. Pas exactement l’effet recherché. La foire aux bisous est gâchée, Coca-Cola arrête précipitamment l’opération. Terrassée par les haters?  

«D’une certaine manière, l’opération de Coca portait cette dérive en elle», estime Antoine Gilbert, directeur social media chez DDB. «Le postulat du mauvais web qui devient gentil ne pouvait qu’exciter les haters, population que nous prenons désormais constamment en compte.» C’est que cette famille flamboyante ou lamentable – c’est selon – «est tout aussi engagée que celle des fans, remarque Thibaut Ferrali, directeur du planning d’Herezie. Le hater poste, répond, commente et argumente sans jamais se lasser.» Je hais donc je suis? «Etre un hater, c’est souvent une posture, par définition difficile à changer», observe François Peretti, planneur stratégique digital à La Chose. 

«Une seule chose est pire que d'être la cible des commérages, c'est de ne pas l'être»

Mais n’aime-t-on jamais vraiment que ceux qui nous échappent? Les marques rivalisent d’attentions envers ces atrabilaires qui semblent les estimer si peu. Adidas a lancé, à la mi-janvier, la campagne «There will be haters», qui titille la jalousie des internautes vis-à-vis des enfants gâtés du sport. «Remarquable, notamment par la nouveauté consistant à montrer des athlètes devant les critiques», estime sans barguigner Guillaume Martin, directeur adjoint du planning stratégique de BETC.

«Il n'y a qu'une seule chose au monde qui soit pire que d'être la cible des commérages, c'est de ne pas l'être», veut un célèbre aphorisme d’Oscar Wilde. «Etre clivant, c’est une force, la marque d’une personnalité affirmée, confirme Grégoire Audidier, directeur général en charge des stratégies digitales de TBWA Paris. La marque de sauce britannique Marmite l’a bien compris, qui depuis vingt ans joue sur la répulsion qu’elle inspire à la moitié de la population. C’est un peu comme l’aïkido: on utilise l’agressivité de son adversaire pour la retourner à son avantage.» L’âme humaine est ainsi faite que, comme le constate Stephan Schwarz, directeur du digital d’Herezie, «la seule publicité virale à laquelle on peut accéder sans payer, ce sont les contenus négatifs».

Masochiste

A tel point que certaines marques en sont presque à initier un rapport masochiste avec les internautes. Comme la compagnie aérienne Spirit Airlines, qui avec sa campagne «Hugs the Haters» a incité ses usagers à tweeter leur détestation, contre des miles gratuits. «Une façon habile de faire du data-catch pour cette compagnie low cost qui sait qu’elle est dans le radar des haters…, grince Antoine Gilbert de DDB. Air France ne pourrait pas se le permettre. Trop dangereux.» Pas tous publics, ces pratiques marketing SM sont réservées aux hyper-challengers: «Dans le même genre, en Californie, le restaurant italien Botto Bistro a offert –25 % sur ses pizzas aux internautes qui lui écrivent une critique dévastatrice sur Yelp: une manière de se venger du site de recommandation, qui faisait remonter les avis négatifs après que Botto Bistro avait arrêté de lui acheter de la pub…», raconte François Peretti, de La Chose.  

Tordu. «Le web est vicelard, potache, sombre, et les marques en prennent conscience», remarque Stephan Schwarz, d’Herezie. «Face aux haters, il faut des couilles et de la créativité», lâche son collègue Thibaut Ferrali. Il s’agit surtout, selon Nicolas Lévy, directeur des stratégies internationales de Marcel, «de ne jamais ignorer, supprimer ou censurer les haters, meilleur moyen de décupler leur ire. Tout en modérant soigneusement et en direct».  

Comme l’a fait Dove et son opération #SpeakBeautiful, qui visait à enrayer les tweets négatifs sur le physique des femmes pendant les Oscars. La marque a contourné le «fail» Coca-Cola en surveillant comme le lait sur le feu les réactions engendrées. Au moment où l’on écrit, l’opération semble n’avoir suscité que des commentaires lénifiants voire une indifférence polie. Si on ne peut plus s’amuser…

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