Le programmatique révolutionne la publicité en ligne. Retour sur cette nouvelle approche du numérique avec Charles Gros, cofondateur de Tradelab, un acteur français indépendant spécialisé dans l'achat d'impression publicitaire ciblée.

Beaucoup de professionnels de la communication ne connaissent pas le programmatique. Pouvez-vous les éclairer ?

Charles Gros. Il s’agit d’une nouvelle forme d’achat de la publicité en ligne. Une révolution pour tout un secteur. Jusque-là, il n’y avait qu’une option pour annoncer sur internet : on appelait un site – par exemple Le Monde – ou une régie pour réserver de l’espace à un prix fixé à l’avance. Aujourd’hui, l’inventaire peut être mis en vente aux enchères sur des places de marché appelése ad exchange où il est acheté en temps réel par des trading desk détenteurs de technologies propriétaires tel Tradelab. Un prix plancher de l’impression [publicité sur une page web] est fixé, puis il fluctue selon l’offre et la demande, comme en bourse. L’acheteur gagnant affiche la publicité de son client annonceur. Le tout est opéré en moins de 120 millisecondes.

 

Les spécialistes disent ne plus acheter un support, un média, mais une audience.

C.G. Oui, faire du programmatique demande de connaître parfaitement qui est l’internaute derrière l’écran – son genre, ses centres d’intérêt, son lieu d’habitation, son âge, son comportement ou ses intentions d’achat. Quand on a l’information, on se dit que cet internaute est pertinent pour tel annonceur. Je vais donc tout faire pour gagner l’enchère et lui adresser le bon message. C’est de l’achat non massif, moins intrusif – impression par impression, utilisateur par utilisateur.

 

On confond souvent programmatique et RTB. Quelles sont les différences ?

C.G. Le RTB est la forme la plus sophistiquée du programmatique. Il implique un achat algorithmique aux enchères et en temps réel. Mais les achats programmatiques permettent également de réserver de l’espace sur certains sites en utilisant de la data. C’est une approche intermédiaire entre l’achat classique et le RTB, utilisée plutôt pour des campagnes d’image. L’achat traditionnel avec prix fixe perdure, mais d’ici à 2017, 60% des achats pourraient se faire en programmatique en France selon certaines études. A terme, la plupart des achats display, qu’ils concernent la vidéo, le mobile, la télévision connectée ou l’affichage numérique seront concernés.

 

Quel est le poids du programmatique en France ?

C.G. Selon le SRI, il représentait 195 millions d’euros, soit 24% du marché display en 2014. Ce qui correspond à une croissance de 66% par rapport à 2013. Le Royaume-Uni fait un peu mieux : de 28% en 2013, le programmatique devrait dépasser les 45% des investissements display en 2015 selon les derniers chiffres de l’IAB UK. Ici comme partout ailleurs, le marché va donc encore connaître de très belles phases de progression.

 

La France est bien placée sur ce marché où elle innove. Comment l’expliquer ?

C.G. La France possède des talents que tout le monde s’arrache, en mathématiques, statistiques, intelligence artificielle. Cela pousse le marché vers le haut, et permet à des sociétés comme la nôtre de concurrencer de gros acteurs américains. Par ailleurs, les éditeurs français ont pris le parti de vendre massivement leurs inventaires en programmatique. C’est le cas de TF1, Lagardère ou encore Prisma qui ont regroupé leurs offres via deux places de marché premium baptisées Audience Square et La place media. C’est un modèle unique et propre à la France.

 

Qu’en est-il des Etats-Unis ?

C.G. Il s’agit du plus gros marché mondial, avec 10 milliards de dollars d’investissements en 2014 et près de 15 milliards de dollars en 2015, selon E-marketer. Certains annonceurs américains ne font plus aujourd’hui que du programmatique : Netflix, American Express ou encore Procter & Gamble investissent massivement. La tendance est claire. 

 

Et du côté des annonceurs français ?

C.G. Ils multiplient les tests dans des formats et supports variés. Et tester le programmatique c’est bien souvent l’adopter, tant les performances sont meilleures qu’avec de l’achat traditionnel. Ceux qui investissent aujourd’hui massivement sont les e-commerçants et les annonceurs issus de la banque, de l’assurance, de l’automobile et du tourisme. D’autres secteurs arrivent à grand pas : l’alimentation, les boissons, la santé, la beauté, la grande distribution…

 

Quels sont les principaux avantages du RTB ?

C.G. La non-déperdition publicitaire, la sophistication dans l’analyse, la non-pollution publicitaire. L’annonceur ne s'adresse qu'aux personnes qui ont un réel intérêt pour l’offre proposée, qui ont du potentiel de transformation. Il ne gaspille pas son argent. Auparavant, il pouvait dépenser 30 000 euros pour annoncer sur un site. Si la campagne ne fonctionnait pas, tant pis. Le RTB permet d’acheter quelques euros sur un média, puis quelques euros sur un autre, d’analyser toutes les statistiques et d'en déduire que tel ou tel fonctionne mieux. Je vais surpondérer mes achats sur ce titre, cette audience, ce segment. L’ultra-ciblage permet d’être plus intelligent, moins polluant et « plus éthique ».

 

Les annonceurs vont-ils finir par internaliser cette activité qui touche à un sujet hautement stratégique pour eux : la donnée ?

C.G. Ceux qui dépensent plusieurs dizaines de millions par an en publicité display et vidéo online pourront, à terme, prétendre à cette ambition. Mais aujourd’hui, ils sont accompagnés par des spécialistes extérieurs qui maîtrisent technologiquement et humainement un savoir-faire technique qui nécessite de recruter des ingénieurs et statisticiens de haut niveau. Il faut par ailleurs sans cesse être en veille car les technologies et les pratiques évoluent à toute vitesse. A ce jour, a priori, le seul à le faire en France, c’est Air France.

 

Le programmatique fait aussi l’objet de beaucoup d’appréhensions. Est-il risqué d’acheter en RTB ?

C.G. Il est possible d’acheter au mauvais prix, trop cher ou au mauvais moment, de ne pas savoir analyser correctement l’information. D’où l’importance des experts. Le risque c’est aussi d’acheter de l’inventaire pas ou peu qualitatif, voire inexistant, donc peu ou pas vu. Certaines impressions ou clics peuvent être générés par des robots sur des sites fantômes. Certains acteurs pratiquent enfin la « black box ». Ils achètent dans le monde entier et ne donnent pas ou peu de visibilité sur l’acquisition des impressions. Ils peuvent dire qu'ils achètent sur un site premium, mais le gros des inventaires vient d’on ne sait où. Ces pratiques ont construit le marché mais lui nuisent désormais.

 

Comment les éviter ?

C.G. En choisissant de ne travailler qu’avec des partenaires premium type Audience Square, La Place Media, Orange, Webedia ou encore Microsoft. Chez Tradelab, nous avons opté pour un positionnement haut de gamme avec une transparence totale et un accompagnement et du reporting très poussé. Il faut toutefois que les annonceurs acceptent de payer le prix de cette qualité, y compris sur le digital où pendant longtemps il n’était parfois pas question de payer le média.

 

Que pensez-vous du débat autour de la loi Sapin ?

C.G. Nous avons tout intérêt à pratiquer la transparence. La loi Sapin pourra améliorer cette situation, pourvu qu’elle soit réaménagée et modernisée, et qu’elle intègre les spécificités de ce nouveau marché complexe. A l’heure actuelle, la loi Sapin ne prend pas en compte les particularités techniques liées au programmatique. Nous ne sommes pas dans une simple logique d’achat de média classique. L’achat est fait impression par impression – soit autant d’ordres d’insertions que d’impressions achetées – et opéré par des algorithmes développés par des ingénieurs pointus. Ces coûts additionnels autre que le média, comme la data collectée, ne sont pas intégrés ou pensés dans cette loi. Il faut donc encore la travailler, et tous ensemble – gouvernement, agences, régies et plateformes d’achat programmatique.

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