Création
Les films qui montrent les coulisses du cinéma triomphent aux Oscars, les séries regorgent d'autoréférences. La mise en abyme permanente, ou la vague «méta», contamine la publicité.

Dans son atelier de Séville, son vieux maître Pacheco lui avait prodigué ce simple conseil: «L’image doit sortir du cadre.» Au crépuscule de sa vie, en 1656, Velasquez n’avait pas oublié le précepte de son mentor. Les Ménines happent sans faillir ceux qui les observent. Qui peint qui? Qui regarde quoi? Sous les lambris du palais de Philippe IV, Velasquez se représente face à la toile, la palette à la main, tandis que les yeux des autres protagonistes –une naine, un chaperon, une infante ensevelie sous le brocart– sont plantés droit devant eux. Sur un miroir, au fond, on discerne les visages du couple royal. Images réfléchies et réflexion sur l’art. Vertige.

Si l’on devait aujourd’hui décrire pour la première fois le chef-d’œuvre du «peintre des peintres» (actuellement l’objet d’une rétrospective au Grand Palais), le qualifierait-on d’«œuvre méta»? Pas impossible. «Est méta une œuvre qui a conscience d’être une œuvre, brise le quatrième mur, s’adresse au public», résume Pierre Langlais, journaliste spécialiste des séries à Télérama. Le terme, dérivé du préfixe grec méta (qui signifie «après», «au-delà de»), est devenu, ces dernières années, un nouveau «buzzword».

La preuve avec Birdman, dernier Oscar du meilleur film, qui narre les tribulations d’un acteur vieillissant, abonné aux rôles de super-héros, incarné par Michael Keaton… ex-Batman. «Birdman constitue la troisième victoire en quatre ans d’un méta-film, après The Artist et Argo, qui donnent à voir les coulisses de l’industrie du rêve», écrit Troy Campbell, chercheur en sciences sociales à l’université de Duke, dans une tribune du Huffington Post.

Arrêts sur images

Sunset Boulevard, La Nuit américaine, Le Mépris, The Player… Le septième art regorge de références méta. Le monde des séries a été contaminé. «L’âge de pierre du méta? Sans doute la sitcom Sauvés par le gong, dans laquelle le personnage Zach effectuait des arrêts sur images pour analyser la situation», estime Pierre Langlais. «Ce système narratif devient courant avec l’expertise des téléspectateurs: Kevin Spacey multiplie les apartés au public dans House of Cards. Dans Community, le personnage d’Abed se réfère ouvertement aux saisons précédentes de la série…»

«Dézoomer la focale à l’infini, montrer les coulisses réchauffe le discours. A fortiori lorsqu’il s’agit de publicité», considère Nicolas Moreau, consultant en stratégies digitales chez Publicis Consultants Net Intelligenz, et auteur d’un mémoire de fin d’études au Celsa sur les mèmes (lire encadré). De fait, les derniers Superbowls feraient presque figure de festival méta : un spot Volkswagen évoque des algorithmes utilisés pour concevoir la publicité la plus démagogique, un spot pour la bière Newcastle décrit la campagne rêvée par la marque si elle en avait eu les moyens…

Phénomène récent

«La méta-publicité admet qu’elle est manipulatrice. Ce faisant, elle flatte l’intelligence du public, s’attire leur sympathie», analyse Loïc Mercier, directeur du planning de BBDO Paris. Où l’on apprend que l’agence Business a été à l’avant-garde du méta… «“J’ai 8 secondes pour vous dire que la barre Ovomaltine, c’est de la dynamite” était méta, car jouait sur son propre format publicitaire», estime Loïc Mercier. Luc Basier, patron de l’agence de conseil stratégique Do the right thing, se remémore le déroutant spot Audi 80 de 1992, «qui après avoir montré des images glamour de la voiture et de sa conductrice, s’arrêtait en plein milieu, avec en voix off: “Vous n’êtes pas convaincus par ce genre de film?”. Le méta permettait à la marque de se différencier en s’adressant à un nouveau public, les futurs “bobos”…»

Pour autant, «contrairement à la méta-littérature, portée par des courants comme le gonzo, avec sa notion d’exposition du personnage de l’écrivain, la méta-publicité est relativement récente», estime François Peretti, planneur stratégique à La Chose. Selon lui, «il existe un tournant 99 francs/Mad Men, une fin du sacré publicitaire, qui rompt avec la starification du produit. La publicité constituait un dévoilement de ce qu’était le produit; la méta-publicité dévoile le dévoilement.»

Diktat de la transparence

Dans cette danse des sept voiles publicitaire, Guillaume Martin, directeur adjoint du planning stratégique de BETC, voit le symptôme du «diktat de la transparence de notre période actuelle: ainsi, le fait que des marques comme Doritos ouvrent leur “cuisine” publicitaire aux anonymes, avec l’opération “Doritos Crash the Super Bowl”, n’est pas anodin».

Si n’importe qui peut s’improviser créateur de campagne, reste-t-il cocasse de railler les «pubards»? «Assumer l’artificialité publicitaire a pu constituer un enjeu, visant à combattre la défiance du consommateur. Mais on n’en est plus vraiment là», analyse François Peretti. Le procédé est rendu peu à peu caduc par le marketing participatif: «L’opération Beauty of a Second de Montblanc, donne à voir l’œuvre d’un parfait inconnu…» De quoi faire mentir Jean Baudrillard? Ce dernier écrivait, en 1978: «Ce que nous donnent à voir les communications de masse, ce n’est pas la réalité, c’est le vertige de la réalité. Ou bien sans jeu de mots, une réalité sans vertige.»

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