À Los Angeles, des créatifs, fondateurs sur le web d’une collection de pictogrammes en open source, entendent créer un « langage visuel universel ». Une initiative dans l’air du temps, en phase avec l’explosion de la communication visuelle.

Tout représenter avec des icônes, c’est le pari du Noun Project, une collection de pictogrammes en ligne. Lancé en 2010 par un trio de designers et créatifs de Los Angeles, ce ­répertoire collaboratif et open source compte aujourd’hui plus de 100 000 petits dessins stylisés en noir et blanc. Des modèles que chacun pourra télécharger, ­colorier, modifier ou associer à d’autres visuels. De quoi représenter tout, ou presque, des objets aux concepts en passant par l’actualité : voiture, citron, racisme, changement climatique, Charlie Hebdo, Ferguson…

 

Des «icônathons» ouverts à tous

C’est dans les carnets de croquis de l’un des cofondateurs, Edward Boatman, que le projet a pris forme. Cet architecte de formation s’est pris de passion pour les pictogrammes. Avec une idée obsessionnelle : et si chaque mot avait un équivalent pictographique ? Depuis, Noun ­Project s’est fait connaître sur le web, par le bouche à oreille, mais aussi grâce aux «icônathons» que l’équipe ­organise régulièrement : des ateliers où les participants travaillent ensemble sur des icônes. Designers, enseignants, blogueurs, militants, étudiants… de nombreux utilisateurs se sont emparés de cet outil. Luis Prado a imaginé pas moins de 850 icônes du Noun ­Project. «Chaque semaine, vous pouvez trouver de nouveaux mots qui vont vous donner une idée d’icône à créer», révèle-t-il. Architecte désormais designer, il se dit amoureux des visuels minimalistes et efficaces qui «améliorent la communication». C’est l’autre obsession des fondateurs du Noun Project, qui ­entendent créer un ­véritable «langage visuel universel», intuitif et efficace.

 

Le discours de Barack Obama en émojis

Du bonhomme du passage piéton au «like» de Facebook, de la petite enveloppe qui vous signale un nouveau SMS à la pomme de la marque Apple, les symboles sont déjà omniprésents. Et l’habitude s’est installée d’associer un certain sens à chaque symbole. On les trouve ­désormais aussi dans des formes de narration en vogue, comme les vidéos pédagogiques ou l’infographie. «Les icônes sont faciles à identifier, elles restent en mémoire et rendent digeste la ­complexité», résume le designer Bran Dougherty-­Johnson, installé dans l’État de New York. Ce qui en fait des outils idéaux dans sa spécialité : le motion design et l’animation.

 

Les marques s'y mettent

Ces dessins stylisés sont également devenus des vecteurs de communication. En atteste le succès des émojis, émoticônes et stickers, qui, avec les photos, remplacent certains mots – sinon tous – dans nos conversations mobiles et digitales. Et expriment nos émotions. Expériences et initiatives se multiplient : le Guardian s’est amusé à traduire en émojis le discours annuel du président Barack Obama en janvier dernier, tandis que des réseaux sociaux 100 % émoji ont vu le jour : Emojicate, Emojili ou Steven. Les marques surfent aussi sur la tendance : Ikea a lancé en février un set d’émoticônes qui symbolisent avec humour ses produits phares. Et le 12 mai dernier, Twitter a accompagné WWF avec seize émojis ­représentant des animaux en voie de disparition.

 

Une tendance au graphisme simplifié

Ce mouvement accompagne la tendance du design à s’épurer. «Les icônes, et plus généralement le graphisme ­simplifié, sont en train de devenir la norme», ­explique Diane Lindquist, ­designer de Los Angeles et ­directeur créatif de Team Friday, une agence de branding et marketing. Le minimalisme s’étend jusqu’aux logos : ­Pepsi ou Starbucks, par exemple, sont passés à des logos stylisés, en deux dimensions. Une forme de réaction à ­l’esthétique des décennies précédentes, «où nous étions submergés par les messages marketing et un environnement visuel surchargé en mots et en couleurs».

 

Une puissance identitaire forte

Pour Geoffrey Dorne, l’ubiquité des pictogrammes est liée plus généralement à l’explosion de «la communication par l’image». Ce designer français, passionné d’affiches, est également chercheur et fondateur de l’agence ­Design & Human. Mais à la différence d’une photographie ou d’un dessin, le pictogramme est elliptique, ce qui lui donne un pouvoir unique. «C’est contre-intuitif et contradictoire, mais les icônes laissent la place à l’interprétation. Elles permettent de communiquer de façon plus subtile, plus poétique», détaille-t-il. C’est aussi ce qui en fait d’excellents signes de ralliement. Comme le symbole «peace», le poing levé commun à de nombreuses résistances ou ­encore le masque des Anonymous… Certains pictogrammes ont «une puissance identitaire forte, poursuit-il, comme, à leur époque, les écussons ou les drapeaux».

 

Introduire de la diversité

Revers de la médaille, les pictogrammes, par essence synthétiques, peuvent s’avérer frustrants. «Le petit bonhomme ­assis dans son fauteuil roulant donne une image passive du handicap, constate Geoffrey Dorne. Or dans la réalité, ce que je vois, ce sont des personnes très actives dans leur fauteuil.»  Il compte donc introduire un peu de diversité dans les logos représentant le handicap. En effet, corollaire de leur omniprésence, les icônes nourrissent l’inconscient visuel ­collectif. Et c’est là que le détail compte. «Certaines de mes icônes de femmes ne portent pas la fameuse robe, parce que les femmes ne portent pas toutes des robes», s’amuse Luis Prado. Cette demande de nuances émane aussi des utilisateurs. Ainsi Apple, suite à une pétition, a ajouté à sa base d’émoticônes des personnages aux couleurs de peau différentes. S’il s’agit de tout illustrer en icônes, le Noun Project a de beaux jours devant lui.

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