Evénementiel
Le sujet de l’environnement fait un retour en force à l’occasion de la COP 21, la conférence mondiale sur le climat. Quels messages porter ? Quelles actions de communication entreprendre pour mobiliser l’opinion publique, impliquer la société civile et pousser à l’action ? Le point avec des professionnels engagés.

C'est l'avenir de la planète... et de l'humanité. Et pourtant, jugé trop sérieux, dramatique, technique, contraignant, peu incarné ou politisé, le sujet du réchauffement climatique fait fuir le grand public. Après les grandes heures du Grenelle de l’environnement et l’échec politique de Copenhague, le voilà qui revient sur le devant de la scène avec la COP21, la conférence mondiale sur le climat. Sur le site Paris-Le Bourget, du 30 novembre au 11 décembre 2015, 194 chefs d'Etat et de gouvernement se réuniront pour tenter de trouver un accord. Objectif : réduire les émissions de gaz à effet de serre pour contenir la hausse de la température moyenne sur la Terre à 2 °C maximum. Avec les membres des délégations, les ONG ou encore les journalistes, environ 40 000 personnes sont attendues dans la capitale.

Une opportunité évidente pour sensibiliser l’opinion publique et peser au mieux sur les négociations. « A la manière d'une compétition de football, la COP21 a la capacité de créer une vraie dynamique dans le pays », selon Gilles Berhault, président du Comité 21 qui rassemble 460 entreprises, collectivités et associations autour du développement durable.

Initiative nécessaire

Car si les climatosceptiques se sont tus, la crise économique a fait passer le climat au second plan. La première préoccupation des Français reste le chômage (60 %), suivi de près par le terrorisme (41 %) et le pouvoir d’achat (36 %). In fine, seuls 13 % considèrent le réchauffement climatique comme « prioritaire », selon un sondage BVA de mars 2015 réalisé par Place to B, un événement labellisé «COP 21».

La faute aux médias qui véhiculent un discours par trop anxiogène ou technique ? C’est l’avis de la journaliste Anne-Sophie Novel, à l’origine d'un « fablab de l’info »  à la fois lieu de résidence et espace de coworking pour informer autrement sur l’environnement. « Les médias, les publicitaires et les communicants jouent un rôle important dans l'évolution des représentations sociales », rappelle Valérie Martin, directrice de la communication de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Mais parler environnement, c'est avancer en terrain miné. Et c’est ainsi depuis les années 1990, prémices de la communication sur le développement durable. 

Quelle communication adopter en 2015 ? Comment provoquer des changements ? La question agite depuis quelques mois les experts et autres responsables du sujet, notamment dans les grandes entreprises françaises appelées à financer, à hauteur de 20 %, une manifestation d’un budget de 187 millions d’euros. Axa, BNP Paribas, EDF, Air France, Galeries Lafayette, LVMH, La Poste, Renault Nissan comptent parmi les sponsors. Un sondage d'Havas réalisé en février 2015 a de quoi les rassurer : 69% des Français pensent que le rôle des entreprises  est aussi important que celui des Etats dans la lutte contre le réchauffement climatique. Reste que les ONG s'insurgent et sont d'ores et déjà vent debout contre ce qu’elles considèrent comme une vaste opération de « greenwashing » de la part de groupes « pollueurs ».

Effet boomerang

Sur le fond comme sur la forme, pas sûr qu’EDF, acquéreur d’Areva, fasse l’unanimité avec ses premières publicités de « partenaire officiel d’un monde bas carbone », affichant sur une double page son parc éolien en mer de Teesside, en Grande-Bretagne. Il vaut mieux éviter les « discours triomphalistes et l'autoglorification », conseille Thierry Libaert, auteur de Communication et environnement. Le pacte impossible. « Il y a une grande mode des images d'éoliennes, de beaux paysages et de petits enfants, mais on se rend compte que cela a un effet boomerang », poursuit-il. Une tendance qui manifestement a la peau dure chez certains publicitaires. « Sur un sujet aussi complexe, on sait aujourd’hui que la belle image forcément réductrice ne fait pas le job. D’autant que les communicants ont d’autres outils bien plus efficaces à disposition pour informer et mobiliser sur l’environnement comme les événements, les débats, les conférences, l’influence », commente Gildas Bonnel, président de l’agence Sidièse. Fini également les messages anxiogènes. « Si vous dites : "là franchement, c'est grave" sans proposer d'outils derrière, ça ne sert à rien », note Valérie Martin. Pour la Fondation Nicolas Hulot, qui a longtemps tiré la sonnette d'alarme, s’il était nécessaire par le passé « de secouer les gens avec une communication sombre, il y a un temps pour tout ».

Monnaie de visibilité

Et en 2015, les films dramatiques ne sont plus d’actualité. Place à la promotion de solutions « invisibles ». La fondation a ainsi lancé la campagne Mypositiveimpact.org, soit 100 initiatives soumises au vote des internautes avec à la clé des campagnes de communication pour les projets lauréats, acteurs de l'énergie alternative, de la construction durable ou encore des produits issus de l'agroécologie. Le dispositif imaginé par l'agence Havas utilise les codes des réseaux sociaux. « Les spectateurs sont aussi acteurs, nous faisons des “likes” la monnaie de la visibilité en transformant leurs votes en espaces publicitaires », explique Charlotte Dollot, directrice associée chez Havas. Au total, les dix gagnants se partageront l'équivalent d'un million d'euros de campagne sur le web et en affichage. « La communication est essentielle : en donnant de la visibilité aux solutions, elle transforme l'exception en standard », commente le chargé de communication de la fondation, Dominique Lê Van Truoc.

Pourtant, « elle n'est pas toute puissante face aux changements, note Séverine Millet, consultante spécialisée dans les dynamiques de modification des comportements face aux enjeux environnementaux. La communication de masse est vouée à l'échec, parce que nous ne sommes pas égaux face à l'information. » Il faut, selon elle, distinguer quatre états : la « précontemplation », dans lequel nous nions l'information, trop insécurisante, comme face à la mort d'un proche ; la « contemplation », moment où l’on prend conscience du problème tout en restant profondément attaché à ses habitudes ; enfin, la phase de « préparation » avant le « passage à l'action ».« Aujourd'hui, la population française est plutôt dans une phase de précontemplation. Notre histoire collective est très centrée sur le capitalisme et nous n'avons pas encore fait le choix de changer fondamentalement. Il faut donc travailler sur un nouvel imaginaire positif », analyse-t-elle. Et d’ajouter : « Présenter des solutions, c'est très bien pour les gens qui ont déjà envie d'agir, mais cela met les précontemplatifs en difficulté. Il est donc important de bien accompagner les personnes souhaitant vraiment changer de manière à ce que leurs actions deviennent petit à petit la norme pour les autres », conseille-t-elle.

Nouvel imaginaire

Un travail de fond pour coconstruire un nouvel imaginaire que des convaincus, comme Sidièse, mettent en œuvre chez leurs clients en faisant appel aux sciences sociales et aux neurosciences pour « élaborer un grand récit, briser les automatismes et sortir le nez des briefs », comme l’explique Guillaume Muller, son planneur stratégique. Même idée dans les « ateliers de projection participatifs » organisés par l'association 4D présidée par Pierre Radanne, ancien président de l'Ademe. Baptisés « Our Life 21 », ils proposent aux particuliers, entreprises ou collectivités d'imaginer comment nous vivrons en 2050. Les participants reçoivent des données précises et quantifiées sur les modes de vie avant de se lancer dans un jeu de rôle où chacun imagine le quotidien d'une famille du futur. Selon ses contraintes sociales et économiques, chacune fera des efforts différents pour le climat. « L'atelier débouche sur un récit pour construire un nouvel imaginaire qui permettra de basculer vers le changement », explique la déléguée générale de 4D, Vaia Tuuhia.

Diversifier les messages demeure quoi qu’il en soit essentiel pour modifier les comportements. Et comme la dramaturgie ne paie pas, il faut plutôt donner envie, exhorte le neuroscientifique Jacques Fradin. « Le désir permet de passer du mode “automatique”, basé sur le connu et la routine, au mode “adaptatif”, ouvert aux nouveautés. Récompense sociale, esthétique, projets, humour... sont autant d’éléments extrêmement porteurs d'avenir et de désir partagé ». Il ajoute que « plus on crée de la pensée critique et individuelle, plus on contribue à déclencher le mode adaptatif. Il faut traiter les gens de façon intelligente en stimulant une vraie ouverture d'esprit. Et impliquer la société civile. » Dans ce contexte, l'événement apparaît comme la discipline de la communication la plus adaptée pour faire de la pédagogie sur un sujet aussi complexe, mobiliser, entraîner et pousser à l'action. Ils sont appelés à se multiplier. Certains ont d'ores et déjà commencé, à l'instar des événements festifs organisés de village en village par le mouvement Alternativa qui a choisi de se tourner vers les citoyens avec des ateliers, des démonstrations, des conférences et des repas. " Ces événements permettent de goûter et toucher l’ambiance du changement via un processus de mobilisation. Nous mettons ainsi en mouvement des gens prêts à s’engager sans avoir trouvé leur place. D’autres prennent conscience des enjeux en venant donner un coup de main. Un petit geste peut suffire ». Même approche pour l’opération  « POC21 » dont l’objectif est de démontrer que tout un chacun peut agir à son échelle en fabriquant soi-même des objets durables « sexy comme Apple mais ouverts comme Wikipedia ».

Pédaler pour éclairer la tour Eiffel

Autre façon de sensibiliser et d’impliquer les citoyens : les inviter au Grand Palais, à Paris, dans une immense exposition réunissant sous la verrière une multitude de solutions et d’initiatives isolées en faveur du climat.  « Nous souhaitons ainsi convaincre les “à-quoi-bonistes” qu'il existe des solutions », affirme Gilles Berhault, coorganisateur de l’événement. De quoi mutualiser des prises de paroles éparses pour frapper plus fort et marquer les esprits. Les artistes ont aussi un grand rôle à jouer dans cette définition d'un nouvel imaginaire. Alice Audouin a réuni un collectif de 21 créateurs qui a développé quatre actions fortes, sur le terrain ou sur internet, pour bousculer l'imaginaire collectif. L'un des membres du collectif, Yann Toma, va s'emparer de la tour Eiffel pendant une semaine début décembre avec son œuvre participative Human Energy. L'artiste contemporain engagé auprès de l'ONU proposera au grand public de pédaler sur des vélos, de danser ou de jouer au basket pour illuminer l'antenne via un dispositif de récupération de l'énergie. Yann Toma souhaite ainsi « que l'énergie cumulée soit porteuse de sens et qu'elle entraîne les gens à agir tout de suite », explique-t-il. Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a promis qu'il viendrait pédaler au pied de la tour.  

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