Hôtellerie
L’hôtellerie haut de gamme porte la croissance du marché du luxe et attire bien des convoitises, notamment chez les marques. Les palaces parisiens s’organisent pour faire face à la concurrence des boutiques-hôtels et autres plateformes de location.

Au Bristol Paris, ils vous accueillent d'un regard perçant, siègent à la réception ou flânent dans les salons de ce palace sacré «meilleur hôtel d'Europe» par le magazine Condé Nast Traveller. «Ils», ce sont Fa-Raon, 4 ans, et Kléopatre, 1 ans, deux splendides chats de race birmans censés créer une atmosphère familiale et plaire aux enfants. Un atout commercial ? Les palaces ont besoin aujourd'hui de jouer la carte de la différenciation. Et de séduire. L'année 2015 est loin d'être un grand cru pour l’hôtellerie de luxe. Si Paris reste la première destination touristique mondiale, les Moyen-Orientaux, Américains et Russes boudent la capitale française depuis les attentats de janvier. Or les touristes représentent 80% de la clientèle de ces hôtels d'exception. Conséquence : l'industrie souffre. Le chiffre d'affaires du Bristol a ainsi reculé de 20% au premier semestre 2015, avec un taux d’occupation tombé à 61,2%, contre 69,2% un an plus tôt.

Les ultra riches n'ont, il est vrai, rarement eu autant de choix de résidence. Entre 2000 et 2015, l'offre très haut de gamme d'hôtels à Paris a augmenté de 50%, selon l'Office du tourisme et des congrès de Paris. De 1639 chambres et neuf établissements de très grand standing, le marché est passé, dans la capitale, à quinze hôtels et 2446 chambres.

Une concurrence relancée par l'arrivée des grandes chaînes asiatiques, le Royal Monceau Raffles et le Shangri-La fin 2010, le Mandarin Oriental mi-2011 ou le Peninsula en 2014. Autant d’établissements qui mettent au défi les vétérans du luxe de la place parisienne, aujourd’hui propriétés d’investisseurs étrangers – exception faite du Fouquet's, fleuron du groupe Lucien Barrière.

Ces géants asiatiques détrôneront-ils leurs illustres prédécesseurs ? «En termes de technologie et de digital, ils ont un temps d'avance, explique Laurent Delporte, expert en hôtellerie de luxe et fondateur du site Hôtel & Evénements. Le Peninsula, par exemple, est l'un des seuls groupes hôteliers à avoir un département R&D conséquent. Mais ils ont un temps de retard sur le plan des relations humaines. Or un service exceptionnel se caractérise aussi par la qualité des maîtres d’hôtel, barmen, voituriers ou femmes de ménage et par leur sens de l'initiative dans le contact client. Il existe un art de recevoir à la française. Une excellence et une tradition qui ne se rattrapent pas du jour au lendemain.»

Quoi qu'il en soit, le match promet de se jouer à un haut niveau. Jamais autant d'hôtels haut de gamme n'avaient effectué de tels travaux de rénovation pour rester dans la course. Un chantier de près d'un an et 200 millions d'euros d'investissement pour le Plaza Athénée, qui a rouvert ses portes en septembre 2014. Durée des rénovations encore plus longue pour le Ritz (quatre ans), le Crillon (plus de 3 ans ) ou encore le Lutétia (3 ans), qui rouvriront respectivement en 2016 et 2017.

La lutte promet d’être d’autant plus serrée que de nouveaux acteurs s’activent sur un marché qui affiche une santé insolente. Depuis 2012, selon Bain & Company, l'hôtellerie de luxe a bondi de plus de 25%. Les grandes marques sont aux premières loges, de LVMH à Fauchon, en passant par Mercedes-Benz  (voir encadré). Mais ce sont surtout les boutiques-hôtels, ces établissements design de petite taille qui changent la donne. Ils offrent un sentiment d’exclusivité, de rareté et d’intimité qui plaît aux VVR (Very Very Rich) lassés des établissements standardisés. «Les nouveaux millionnaires ont une vision beaucoup moins aristocratique de l’hôtellerie de luxe. Ils sont sensibles à l'esprit “casual”, considère Stéphane Truchi, président du directoire de l'Ifop. Ils envisagent moins les hôtels comme des bunkers que comme des lieux de vie, de plaisirs et d'expériences toujours plus intenses.» Ainsi, la Réserve, un boutique-hôtel de 40 suites et chambres ouvert récemment à Paris, propose à ses hôtes de prendre leurs repas n'importe où dans l'établissement, de parcourir le marché aux puces avec un antiquaire, de visiter les appartements d'Yves Saint Laurent ou encore de passer une journée, après un vol en jet privé, dans l'un plus grands domaines viticoles du Bordelais.

«Ce sont dorénavant ces boutiques-hôtels qui impulsent les grandes tendances sur le créneau du très grand luxe, à savoir le mieux-être, la quête de sens et le lien, remarque Stéphane Dubard, directeur exécutif de la stratégie de l'agence Landor, qui collabore avec quelques joyaux de l’hôtellerie mondiale comme la Mamounia (Marrakech), Nuo (Pékin) et The Leela Palaces (Mumbai, Goa, New Delhi…). Si le mieux-être s'exprime ainsi toujours en priorité par la haute gastronomie et les spas d'exception dans les palaces, ceux-ci s'ouvrent à des valeurs plus sociétales et environnementales. Le Royal Monceau propose ainsi des repas «détox» et «vegan» ; le Shangri-La des tea-time végétariens et un retraitement des déchets participant à la création d'un compost pour la repousse des produits locaux de l'établissement. De même, les palaces recréent des espaces collectifs où le partage et l'échange d'expériences sont de mise : galeries d'art, bibliothèques, voire cinémas intégrés comme au Royal Monceau où les spectateurs peuvent partager des émotions tout en dégustant du pop-corn Pierre Hermé. «Souvent, les palaces tentent de recréer une ambiance comme à la maison pour plaire aux familles», indique Stéphane Dubard. Les chats du Bristol s'inscrivent dans cet esprit, tout comme les guitares que l'on trouve dans les chambres du Royal Monceau ou encore les vêtements de marque offerts aux enfants en cadeau de bienvenue au Plaza Athénée…

Car comme les autres, les familles très riches commencent à s’intéresser aux nouveaux réseaux de location entre particuliers, tels Airbnb ou le Collectionnist. Cette concurrence représenteraient entre 10% et 15% de l'activité de l’hôtellerie de luxe. Pas encore assez pour inquiéter les experts. Après tout, avec plus de 50 millions de millionnaires prévus d'ici à 2019, il y a de la place pour tout le monde. «Et puis ces sites de partage ne peuvent pas toujours rivaliser avec les plus grands hôtels», pointe Stéphane Dubard. Dernièrement par exemple au Bristol, un bateau mouche a été affrété spécialement pour un couple de clients avec des pétales de roses jetés depuis chaque pont lors de leur passage. Ça, c'est royal !

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