Dossier Création
La vidéo ne jurait que par le format paysage. Elle lorgne aujourd’hui vers un format inédit, le portrait. Éditeurs, marques et publicitaires s’adaptent à cette nouvelle donne. De nouvelles offres voient le jour.

Début janvier, une petite vidéo tournée avec un simple téléphone portable a fait le tour de la planète. On y voyait le baron mexicain de la drogue El Chapo répondre, quelques jours avant son arrestation, à une interview de l’acteur Sean Penn.

Pratique, le smartphone, quand on ne peut se déplacer avec une tonne de matériel et que l’on doit, pour des raisons évidentes de secret, éviter de montrer trop de décor derrière un personnage traqué par toutes les polices! Le format de ce reportage, destiné au site du magazine Rolling Stone, illustre l’importance grandissante prise aujourd’hui par la captation de visuels en mode portrait, dans un monde où l’image animée ne jurait jusqu’alors que par le format paysage.

Geste naturel

Le responsable de cette évolution tient dans la poche: le smartphone. Que ce soit pour filmer ou regarder des vidéos, l’ergonomie de ce « device » pousse les utilisateurs à le tenir dans le creux de la main, verticalement. Problème : avec les vidéos tournées en format paysage, l’image n’occupe que le tiers central de l’écran entre deux bandeaux noirs. Pour voir une image plein écran, il faut basculer son téléphone de 90 degrés. Le geste peut paraître anodin, mais une fois l’engin en position horizontale, la seconde main devient nécessaire pour le stabiliser. Du coup, elle n’est plus libre pour autre chose, pianoter sur le clavier par exemple. Conséquence : beaucoup d’applications qui se lancent aujourd’hui, comme Periscope, rachetée à prix d’or il y a un an par Twitter, adoptent d’emblée le format vertical popularisé par Snapchat, le réseau social préféré des jeunes. « La façon dont les utilisateurs se sont appropriés ce format est frappante, note Guillaume Dimitri, partner médias au sein du cabinet de conseil Vertone. Aujourd’hui, entre 80 et 85 % des usages du smartphone sont d’ores et déjà verticaux. Personne ne s’étonne de regarder une vidéo verticale. Le geste, naturel, est considéré comme allant de soi  ».

Les diffuseurs et distributeurs n’ont pas été longs à s’adapter aux changements imposés par le mobile, alors que fin 2015 près de la moitié des vidéos consommées en ligne l’était depuis un smartphone. Les Facebook, Instagram ou You Tube, après avoir fait de la résistance lors de l’apparition du phénomène il y a trois ans, ont fini par adapter leur player au mode de diffusion portrait. Pour eux, la transition, purement technique, n’a pas été trop difficile. Mais pour les éditeurs et, plus globalement, les producteurs de contenus, la remise en question est brutale. « C’est là que le changement est le plus important », confirme Guillaume Dimitri. La réédition d’une vidéo paysage traditionnelle en format vertical n’est en effet pas automatique. « Vous pouvez “couper” les côtés pour la basculer en vertical, mais peu de contenus permettent en réalité de le faire, poursuit Guillaume Dimitri. La solution qui s’impose généralement est de réaliser une captation originale en vertical ».

Un contenu à réinventer

Filmer d’emblée en vertical implique cependant des changements notables. Comment raconter une histoire quand on n’a pas de second plan dans l’image, ce qui est le cas en format portrait ? Les contenus verticaux visibles sur Internet restent assez formatés. Notamment sur la plate-forme Discover réservée, au sein de l’application Snapchat, à un panel d’éditeurs américains: National Geographic, Daily Mail, CNN, Buzzfeed ou Cosmopolitan. La plupart du temps, l’image présente une personne debout qui prend la parole comme sur le site et l’application du quotidien allemand Bild qui a lancé cet été son journal télévisé au format vertical.

« Cela fonctionne très bien pour un JT, une recette de cuisine ou du stand-up, remarque Guillaume Dimitri. Les vidéos de Cyprien et de Sophie Aram en radio filmée passeraient également bien dans ce format. En revanche, pour d’autres types de contenus, fiction, divertissement ou documentaire, l’écriture doit être réinventée ».

Les initiatives, quoiqu’il en soit, se multiplient, du moins chez les Anglo-Saxons. Une pure player comme Vervid ambitionne de devenir le Youtube du vertical. Elisabeth Murdoch, la fille du tycoon Rupert Murdoch, a récemment créé Vertical Networks, une société de production de formats courts sur mobile au nom explicite. La vidéo verticale a même aujourd’hui son événement, le Vertical Film Festival, dont la deuxième édition se tiendra le 21 mai prochain à

Katoomba, en Australie.

Vertical Film Festival

La publicité se sent-elle concernée par cette révolution ? L’an dernier, au festival de la publicité, à Cannes, Snapchat, Daily Mail et WPP ont annoncé la création d’une agence, Truffle Pig, qui devra prendre en compte ce format vertical. Reste qu’en France, du côté des acteurs traditionnels, ce n’est pas le branle-bas de combat. « Le sujet du moment, c’est plutôt la vidéo à 360 degrés et les perspectives de réalité virtuelle qui vont permettre des expériences utilisateurs plus immersives, relève Renaud Ménérat, le président de l’agence userADgents. Les marques ont certes la volonté d’aller sur des plates-formes comme Snapchat, car c’est là que se trouve leur public, mais pas encore avec des films, plutôt en essayant de s’insérer dans le flux de discussions pour vendre ou proposer des services. »

Philippe Simonet, vice-président de TBWA Paris et président de l’agence DAN Paris, imagine mal qu’à l’avenir les publicitaires soient obligés de concevoir deux histoires, l’une verticale et l’autre horizontale. « Il est possible de faire le parallèle avec l’annonce print, verticale, et l’affiche 4X3, horizontale, juge-t-il. À partir de la même conception, nous prévoyons deux exécutions différentes pour chacun de ces supports. Pour la vidéo, ce sera pareil, on anticipera dès le départ deux montages. Ce sera certes plus complexe que pour le print, mais finalement du même ordre, avec des plans spécifiques pour les mobiles et d’autres pour la télévision. Et d’ajouter : Cela demandera juste plus de temps et plus d’argent, et donc cela ne pourra vraiment exister que lorsque la publicité sur mobile sera installée dans la tête des annonceurs. »

Dans les régies, certains sont déjà dans les starting-blocks, comme chez Yu Me, une structure spécialisée dans la publicité vidéo multi-écrans. « Les premiers cas d’études, comme Audi qui a réalisé en 2015 une campagne pour les 24 Heures du Mans en vidéo verticale, arrivent seulement maintenant, indique Antoine Ripoche, responsable France de Yu Me. Mais cela devrait se généraliser au second semestre. Nous travaillons nous-mêmes à développer un format vertical propriétaire. Il est certain que le marché ira dans ce sens-là, car tout le monde trouvera à y gagner : le consommateur, qui vivra une expérience utilisateur bien meilleure, les annonceurs qui optimiseront leurs performances, et globalement l’ensemble des acteurs, qui seront mieux rétribués du fait de la revalorisation de l’inventaire vidéo. » Le marché de la publicité digitale tiré vers le haut par la vidéo verticale,Voilà encore une autre révolution…

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