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Norman a fait des émules, même dans le domaine inattendu de la littérature. Les booktubeurs sont aujourd'hui des prescripteurs au même titre que les journalistes et les libraires, tant et si bien que les éditeurs en prennent grand soin.

Du vide naissent l’originalité, la création et la nouveauté. Maxime kabbalistique qui s’applique à merveille au phénomène des booktubeurs. C’est bel et bien parce que les médias traditionnels ont délaissé la littérature populaire «young adults» et «ados» que la Youtubosphère s’en est emparé. C’est ainsi que les Fairy Neverland, Les lectures de Nine, les Bulledop et les Margaud Liseuse sont apparues et ont connu un joli succès. Leurs chaînes You Tube sont suivies par 25 000 abonnés en moyenne et leurs vidéos atteignent sans souci les 10 000 vues. Leur secret: un ton décontracté, une grande liberté et une réelle fraîcheur dans la façon de parler des livres.

Du coup, les éditeurs s'intéressent désormais de près aux booktubeurs. «Ils peuvent assurer un buzz énorme ou flinguer un livre en moins de deux», assure Glenn Tavennec, directeur de la collection R et de la collection La bête noire chez Robert Laffont. Dans le cadre de sa collection R, dédiée justement à la littérature ados/young adults, il a beaucoup travaillé en co-construction avec les booktubeurs. «Nous les considérons comme des collaborateurs extrêmement précieux», déclare ainsi Glenn Tavennec, qui est en contact régulier par internet avec une centaine de blogueurs, dont 30 booktubeurs.

Il cite en exemple un récent gros succès de vente, dû en grande partie aux bons conseils de ces critiques 2.0. «Ils me conseillaient de publier la traduction française d’une auteure américaine auto-éditée, Amy Harmon. Avec beaucoup d’appréhension –c’est un vrai risque de publier une auteure qui n’a jamais été éditée–, je me suis lancé. Ils ont également choisi la couverture et le titre. Résultat: énorme succès sur la Toile et 8 000 exemplaires vendus. Et tout ça sans un centime dépensé en marketing traditionnel, via la publicité.»

De quoi laisser pantois de nombreux éditeurs qui peinent parfois à écouler les livres qu’ils éditent malgré des critiques dans toute la presse et de la publicité. À l’instar de Robert Laffont, d’autres collections jeunesse comme Bliss chez Albin Michel, Métis chez Rageot ou encore Black Moon chez Hachette, envoient aussi leurs livres aux critiques littéraires de la Toile et tentent de tisser des liens avec ce nouveau genre de critique.

«Les éditeurs nous fournissent les livres, nous donnent des exclusivités, voire nous proposent des rencontres avec les auteurs. Mais les booktubeurs ne vivent pas de leurs vidéos comme d'autres youtubeurs», raconte Fairy Neverland, l’une des booktubeuses francophones les plus suivies. Et de détailler le partenariat avec les éditeurs: «Sur un ouvrage que j’avais lu en anglais, je me suis battue pour qu’il soit édité en français. Le partenariat avec Pocket Jeunesse a permis qu’ils sponsorisent ma vidéo sur ce livre.»

Marketing communautaire

Le partenariat entre booktubeurs et éditeurs peut revêtir d’autres formes. «Nous allons jusqu’à intégrer les citations des membres de notre communauté sur les quatrièmes de couverture des livres. Comme si c’était celles d’un journaliste reconnu», souligne Margaux Rol, chef de projet web et marketing chez Robert Laffont. Valoriser la communauté, la faire participer, lui réserver des exclusivités, les techniques des éditeurs ressemblent à s’y méprendre à une stratégie d’influence de marketing communautaire. «C’est un phénomène intéressant, mais il peut vite conduire à des dérives et à une perte d’authenticité. Certains éditeurs payent les booktubers pour qu’ils parlent en bien des livres», confie un éditeur qui tient à rester anonyme. Glenn Tavennec abonde, mais sur un autre point: «Quand la monétisation des chaînes You Tube sera encore plus importante, on risque de perdre en originalité et de se diriger vers une “best-sellarisation” des booktubeurs qui voudront avant tout faire de l’audience.»

Des craintes qui disent à quel point le phénomène booktubers est bien plus qu’une simple mode. Autre signe: les libraires –bousculés dans leur rôle prescripteur– s'y mettent aussi. Ainsi, par exemple, Gérard Collard, de la librairie La Griffe Noire à Saint-Maur (94) a lancé il y a trois ans la «Griffe Noire TV», une chaîne You Tube de critiques littéraires. «C’était une suite logique pour nous car il y avait une demande de nos clients et qu’en plus cette façon de parler sans chichis de littérature nous correspondait parfaitement», souligne le libraire. Récemment, il a d’ailleurs fait émerger un livre grâce à son Book Tube: Alexis Vassilkov ou la vie tumultueuse du fils de Maupassant. «Après la vidéo, les ventes ont explosé et l’auteur qui auto-éditait son livre a même eu un peu de mal à suivre», raconte Gérard Collard. Résultat: plus de 8 000 ventes et l'achat des droits par Le Livre de Poche. Signe que la littérature générale aussi peut se prêter au jeu du Book Tube. «C’est clairement l’enjeu des prochaines années, médias, libraires et éditeurs doivent comprendre le changement qui est en germe, sinon, ils passeront à côté de leurs vrais lecteurs», prédit Glenn Tavennec.

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