Étude
Plus d'authenticité, plus de vérité. Selon Nelly Rodi, les consommateurs sont en quête de sincérité, vis-à-vis d'eux-mêmes et des autres, mais aussi de la part des marques. Mais jusqu'à quel point ce naturel est-il artificiel?

Josh et Cornelia Srebnick, deux quadras, n’en reviennent pas d’avoir déniché des amis pareils. Jamie et Darby, la vingtaine, sont tellement cool! Ils connaissent tous les marchés bio, ont des looks déments composés dans les friperies, un goût exquis pour dénicher des pièces vintage… «C’est comme si leur appartement regorgeait de toutes les choses que l’on a jetées, mais cela rend tellement mieux chez eux!», s’émerveille Cornelia. Plus dure sera la chute: ces nouveaux potes si authentiques cachent sous leurs dégaines de hipsters un arrivisme sans faille, et leurs dents rayent le parquet de leur loft brooklynien. Moralité de While We’re Young , film de Noah Baumbach sorti en 2015: authenticité rime bien souvent avec «frelaté».

«La sincérité, écrivait Jean Anouilh, est un calcul comme un autre.» Telle est en substance la conclusion d’une étude menée par Nelly Rodi, intitulée «L’artificielle quête de sincérité». «Nous vivons une ère ambivalente, expose Alexandra Jubé, responsable Insight & Digital du cabinet de style. La culture du #Nofilter, qui prône le zéro retouches, infuse lentement: comme dans le dernier calendrier Pirelli shooté par Annie Leibovitz, avec ses corps éloignés de la taille mannequin. Et dans le même temps, le contrôle de l’image n’a jamais été aussi poussé, surtout chez les représentants de la génération Z, beaucoup plus “control freak” que leurs devanciers de la génération Y. Il s'agit d'être beau, même sans filtre.» Alexandra Jubé cite ainsi l’exemple d’Em Ford, youtubeuse beauté britannique, insultée parce que la pauvrette avait osé poster une vidéo en pleine crise d’acné.

Saturation

Le naturel, d’accord, mais surtout pas au naturel! «Le web regorge de tutoriels no-make up, qui donnent l’illusion de la peau nue», remarque Alexandra Jubé. C’est que nos contemporains semblent lancés dans une quête quasi platonicienne du «vrai». Honnêteté, sincérité, authenticité, la litanie de valeurs revient constamment dans les études, remarque la tendanceuse. «Il existe d’ailleurs une vogue de la profession de foi, du manifeste», remarque-t-elle. «Hermès a lancé un site baptisé Le Manifeste, tandis que le très branché restaurant-épicerie Maison Plisson publie le sien sur son site

Sincère ou pas, la manip' n’est pas nouvelle. «Ça fait quinze ans que je fais ce métier et cette problématique revient régulièrement. Mais ce qui est nouveau, c’est la saturation», estime Thibaut Ferrali, directeur du planning stratégique chez Herezie, qui évoque une récente campagne pour McDo Canada qui montre les retouches effectuées sur un burger. «Les marques ont souvent eu recours à ce type de procédé, constate quant à lui Corentin Monot, directeur du planning stratégique de CLM BBDO. “Think Different” d’Apple, “Impossible is Nothing” d’Adidas ou “Go Forth” de Levi’s joue sur des valeurs partagées avec l’audience. “Less, More” de la banque Nab en Australie sert à définir son intégrité dans le travail…»

Mais passer son temps à revendiquer sa sincérité, n’est-ce pas, au fond, suggérer complètement l’inverse? «Quelqu’un qui passe son temps à hurler “Faites-moi confiance” alors qu’on ne lui a rien demandé finit par engendrer la suspicion!», s’amuse Vincent Garel, directeur des stratégies de TBWA Paris. Pour les aspirants Saint-Jean Bouche d’or, le retour de bâton n’est jamais loin. L’actrice hollywoodienne Jennifer Lawrence en a fait l’amère expérience: connue et aimée pour sa spontanéité et son absence d’affèteries, la jeune femme a connu ce que les Anglo-Saxons appellent un «backlash», vigoureux retour de manivelle. Après avoir parlé un peu rudement à un journaliste lors des derniers Golden Globes, Jennifer Lawrence a déclenché le désamour. Est-elle aussi simple qu’elle le paraît? s’interrogeaient les internautes meurtris. Son abord de bonne copine pas prise de tête n’est-elle qu’un jeu d’actrice? «La petite fiancée de l’Amérique, c’est vieux comme l’histoire du cinéma... note Vincent Garel. Finalement, ce qu’on a reproché à Jennifer Lawrence, c’est d’être à côté de son positionnement.»

Résistance 

Chassez le faux naturel? «Une application, Filter Fakers, permet de vérifier si les photos prétendument #Nofilter n’ont pas été bel et bien filtrées…». Thibaut Ferrali, lui, évoque «la “Perceived Brand Authenticity Scale” publiée par le Journal of Consumer Psychology qui permet d’évaluer la sincérité des marques».

De quoi décourager les épanchements, déplore Sébastien Genty, directeur général adjoint en charge des stratégies chez DDB. «Je trouve assez cynique de critiquer ces aspirations à la sincérité, lâche-t-il. Ce n’est pas un épiphénomène de hipster qui veut du vintage, mais une résistance à la course effrénée à la consommation beaucoup plus profonde…»

Naissent d’ailleurs sur les réseaux sociaux des ilôts de vérité. «Snapchat est un réseau sur lequel il est difficile de tricher, remarque Thibaut Ferrali. Son format permet de revenir à quelque chose de plus sincère». D’autant que sur les réseaux, la résistance s’organise: «Via l’opération Tinder vs Reality, les internautes confrontaient leur photo de profil sur l’appli de drague à des photos plus réalistes.» Et montraient ainsi leur vrai visage.

Mais la transparence absolue est-elle vraiment désirable? «Le problème de fond de la sincérité n’est pas tant le politiquement correct que ce que Jacques Attali appelle la tyrannie de la transparence, estime Corentin Monot. Le droit à une vie privée risque de n’avoir été qu’une parenthèse dans l’histoire de l’humanité.» Le mot de la fin revient sans doute au plus anti-naturel des dandys, Oscar Wilde: «Un peu de sincérité est chose dangereuse; beaucoup de sincérité est absolument fatal.»

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