Le groupe Auchan s’est lancé dans un projet pharaonique et ambitieux : EuropaCity, un complexe commercial associant culture et loisir. Objectif : se projeter dans le long terme pour satisfaire le shopper de demain.

Un parc d’attractions, un parcours d’aventure, des bassins et des pistes de ski, une halle d’exposition, des salles de spectacle, une ferme urbaine, un cirque contemporain, un centre de conférences, une dizaine d’hôtels et… 230 000 m2 de commerces. À Dubaï, le projet EuropaCity serait des plus banals. Dans le Val-d’Oise, du côté du Triangle de Gonesse et de ses terres agricoles, il suscite curiosité et réactions. Les associations écologistes, notamment, sont vent debout. Promoteurs et détracteurs de ce programme d’aménagement pharaonique, d’un investissement de 3,1 milliards d’euros, aiguisent leurs arguments dans le cadre d’un débat public organisé de mars à juin 2016. «C’est normal qu’il y ait des interrogations ; ce débat est une opportunité pour communiquer sur les créations d’emplois et les retombées économiques que peuvent espérer les PME et les jeunes pousses locales et, pourquoi pas, faire évoluer le contenu de l’offre. Nous cheminons ensemble», tempère Christophe Dalstein, directeur d’EuropaCity au sein d’Alliages et Territoires, filiale d’Immochan, la branche immobilière d’Auchan.

Culture de l'innovation

Quoi qu’il en soit, ses équipes se livrent à un exercice délicat et ambitieux : imaginer le commerce de demain sur 80 hectares entre les aéroports du Bourget et de Roissy-Charles-de-Gaulle. L’ouverture est prévue en 2024, mais le concept doit encore être pertinent en 2030-2040. Il s’étale dans le temps : sa genèse remonte à 2006 pour un premier concept élaboré en 2008. Comment se projeter dans le monde de demain et coller aux évolutions ? Le groupe compte sur sa culture de l’innovation à l’œuvre depuis l’inauguration d’un premier supermarché à Roubaix, il y a cinquante-cinq ans. «Auchan a toujours été un acteur à l’affût des tendances. À une époque, cela s’est traduit par le rachat ou la création d’enseignes dédiées au bricolage (Leroy Merlin) ou à l’outdoor (Decathlon), nouvelles pratiques en vogue. Aujourd’hui, il s’agit de répondre à l’émergence de nouveaux modes de consommation », explique Christophe Dalstein. Et d’ajouter : «Nous vivons une rupture historique, une époque où la valeur ajoutée vient moins du produit que de l’expérience que l’on peut vivre ; les usages créent la valeur.» En proposant sur un même lieu des expériences différentes, Auchan s’apprête à transformer son modèle économique. «À l’heure du digital, il faut pousser les consommateurs, devenus consomm’acteurs, à se déplacer vers les magasins physiques, analyse le responsable. Dans notre projet, le commerce ne représentera d’ailleurs qu’un tiers du programme. Ce sera une destination de loisir au sens large. Nous voulons lier plaisir et consommation.»

Destination d’«entertainment»

Plusieurs tendances ont ainsi été intégrées dès l’origine. Dans une société du temps libre, par exemple, où paradoxalement on veut tout, tout de suite, la manière de s’approprier la ville évolue. Or EuropaCity est de même taille que le centre de Copenhague. Une nouvelle exigence citoyenne vis-à-vis de l’environnement oblige par ailleurs les distributeurs, s’ils veulent continuer à être le lien privilégié entre des fournisseurs et des consommateurs, à être transparents et sincères. En 2008, le premier projet s’inscrivait dans le «retailtainment», mot-valise anglo-saxon associant commerce et divertissement. Il a évolué pour proposer une destination d’«entertainment», intégrant notamment une dimension culturelle plus affirmée. «S’il y a de moins en moins de gens qui fréquentent les centres commerciaux, c’est en grande partie parce qu’on s’y ennuie, il faut être franc. Les individus ont envie d’être immergés dans une expérience globale », commente Vincent Grégoire, directeur du département art de vivre de l’agence Nelly Rodi. Sollicité par Auchan, ce cabinet de prospective a identifié dix attitudes clés pour le shopper de demain. Dans son cahier de tendances, on découvre son besoin d’expériences inédites, ses préoccupations environnementales, son désir d’apprendre, de prendre soin de lui et d’être reconnu comme une personne unique. Adaptées au retail, ces tendances vont donner lieu au sein d’EuropaCity à des zones de shopping éphémères «pour stimuler la surprise», des espaces de vente proposant des moments événementiels et des boutiques conçues comme des ateliers de cocréation. Les magasins devront aussi présenter des collections créées spécialement et qui ne seront vendues nulle part ailleurs.

«Utopie urbaine»

D’autres professionnels ont été consultés par Auchan pour imaginer cette « utopie urbaine » labellisée Grand Paris. À ses côtés, Jean Viard, sociologue du temps libre, le journaliste spécialiste de la génération Y, Fabien Benoit et Diana Filippova, coordinatrice de Oui Share, animatrice d’un think tank sur l’économie collaborative… Des acteurs culturels parisiens comme la Réunion des musées nationaux (RNM) ont rejoint l’aventure fin 2015 ; le chinois Dalian Wanda, arrivé en février, apportera des capitaux et son expertise dans le loisir et l’hôtellerie. À l’été 2016, un laboratoire d'idées réunira autour de Philippe Moati, professeur d’économie et cofondateur de l’Observatoire société et consommation (Obsoco), une dizaine de marques et d’enseignes pour «coconstruire» le volet commercial du lieu.

«2024, c’est loin au rythme où va notre monde pressé ; on sait qu’on ne sait pas tout et nous souhaitons agréger les meilleurs opérateurs dans chaque domaine», résume Christophe Dalstein, qui précise qu’EuropaCity sera l’une des premières constructions de cette envergure à intégrer le digital dès sa conception, et que les technologies déployées seront figées le plus tard possible pour s’adapter à l’évolution fulgurante du secteur. L’offre commerciale d’EuropaCity mise aussi sur des espaces présentant une architecture qualifiée d’« exceptionnelle » par Christophe Dalstein : «Showrooms qui expriment les marques, magasins éphémères, boutiques participatives... nous voulons répondre à la quête de sens du consommateur. Ce ne sera pas le lieu où on viendra faire ses courses hebdomadaires, mais celui où on pourra vivre des parcours personnalisés et des expériences interactives.» L’évolution des technologies est donc suivie de très près par les équipes – hologrammes, reconnaissance faciale – et permet déjà des expériences retail inédites. «Nous restons agiles, ouverts à toutes les tendances qui ne manqueront pas d’émerger d’ici à l’ouverture», conclut Christophe Dalstein.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.