Encore confidentiel en France, l’e-sport affiche presque toutes les qualités requises pour créer l’événement. Forces et faiblesses d’une discipline dont l’économie devrait peser 1 milliard d'euros en 2020.

Les noms de Bora, Dyrus ou encore Faker ne vous disent probablement rien et pourtant : ces trois là sont de vraies stars en Corée et plus largement en Asie ou encore aux États-Unis. A 19 ans, Lee Sang-Hyeok, alias Faker, est même considéré comme un dieu de sa discipline: le Messi de League of Legend (LoL), un jeu vidéo d’ordinateur de bataille en ligne multi-joueurs gratuit développé par Riot Games. Bienvenue dans le nouveau monde de l'e-sport (contraction de sport électronique), à ne pas confondre avec le gaming dont il est le volet compétition. La discipline née à la fin des années 1990 n’est que balbutiante en France, mais son succès semble assez inévitable tant elle cumule tous les critères de réussite. En termes d’audience d’abord, l’e-sport est aujourd’hui suivi par 226 millions de fans dans le monde dont l’âge se situe dans la fourchette 15/25 ans. Twitch, la principale plateforme de diffusion des compétitions de jeux vidéo, enregistre en moyenne 100 millions de visiteurs uniques chaque mois, représentant 239 millions d’heures visionnées. La dernière finale du Championnat de France de Fifa16, organisée par EA Sports, a réalisé une audience de 407 565 vues dont 260 000 en livestreaming (soit 37% de plus qu’en 2015). Mieux, l’audience de la discipline n’est pas que virtuelle. Chaque tournoi ou championnat, où qu’il se déroule, se joue généralement à guichet fermé, à l’image de la finale du dernier championnat du monde de League of Legend organisée à Berlin dans la Mercedes-Benz Arena, dont les 17 000 places ont été vendues en… trois minutes ! On se déplace en nombre pour voir les joueurs s’affronter sur scène, assis devant leur écran, chaussés de leurs casques et jouant des pouces à très grande vitesse. « En termes de spectacle, on est dans les codes du sport mais sans la beauté du geste. Or ce dernier est indispensable pour donner à l’épreuve une dimension spectaculaire, rappelle Nicolas Dudkowski, directeur associé de l’agence Double 2. C’est la raison pour laquelle on ne met pas seulement en scène les joueurs qui s’affrontent mais aussi l’écran sur lequel leurs gestes sont attendus. Dès lors que le déroulement du jeu propose une succession de séquences, il permet la mise en scène, la création d’une dramaturgie. » Jean-François Royer, directeur général d’Uniteam Sport, une agence de conseil en communication et en marketing par le sport le confirme : « L’eSport a tous les attributs du sport classique : des compétitions officielles, des « teams » et l’équivalent de club au sein desquels plusieurs équipes s’entraînent sur des disciplines différentes (LoL, Fifa 2016, Call of Duty…, ndlr). Les joueurs, dont certains sont des professionnels, sont encadrés par des analystes vidéo et des préparateurs physiques et mentaux. Tous s’entraînent et s’affrontent dans des centres d’entraînement… » .

 

La discipline n’est donc plus le fait de quelques geeks. Le gaming représente un vivier de 2 milliards de pratiquants dans le monde qui offrent un beau potentiel de croissance en termes d’audience (sources : Newzoo). Mieux : 40 % des fans qui suivent les compétitions en spectateurs ou depuis un écran, ne jouent pas au jeu regardé ! Ce qui confirme la dimension divertissante du eSport pour le public au même titre que n’importe quel autre sport et/ou spectacle. « Aux États-Unis ou en Corée, les championnats de League of Legend, StarCraft et autre Counter Strike remplissent des stades de 80 000 places, reprend Jean-François Royer. Le public est près à payer pour passer quatre heures dans l’enceinte dans laquelle on observe une vraie interactivité, une vraie proximité entre les spectateurs et les teams. »

Un public jeune, varié, motivé, loin des clichés du geek grassouillet seul sur son canapé - 64% des gamers sont licenciés d’un club sportif traditionnel - et captif…  Ce qui n’a pas échappé à certaines marques comme KFC qui organise dans ses restaurants la KFC Football Cup. En devenant l’arène du jeu, elle s’assure plus de trafic dans ses espaces et valorise auprès des consommateurs son partenariat avec l’équipe de France de football. « Il y a toujours un besoin de voir en vrai ce que l’on aime regarder en viral, rappelle Nicolas Dudkowski. Au printemps dernier, 10 000 jeunes filles ont investi le Parc Floral pour venir les Youtubeuses beautés qu’elles suivent pendant l’année. La démarche est la même pour l’eSport. »

 

Si quelques grands noms comme Coca-Cola, KFC, Red Bull, SFR ou encore New Balance se sont déjà engagés sur ce territoire, la discipline reste encore, en France, le terrain de jeu des marques de l’univers du gaming – éditeurs et équipementiers - ou de quelques marques liées au thème du jeu (football, sports mécaniques…) : « Beaucoup de marques viennent nous voir pour comprendre le phénomène eSport, observe Jean-François Royer. Elles sont conscientes du potentiel et des enjeux, mais ce nouveau territoire de communication n’est pas encore stabilisé. » Le premier frein au développement est lié à la mauvaise lisibilité du marché sur lequel chaque jeux possède au moins un championnat de France et du Monde organisé par l’éditeur, auquel il convient d’ajouter les compétitions et événements organisés par d’autres marques (Nissan GT Academy, Audi Forza Motorsports…) ou d’autres institutions : la Fifa organise par exemple sa propre Fifa International World Cup et l’ESWC (eSport world convention) une compétition de Call of Duty… Pour rassurer les sponsors, il manque encore des règles communes ainsi que des circuits de compétitions et une déontologie partagés. « Les éditeurs doivent prendre le leadership sur ce sujet, mais il faudrait aussi qu’une instance internationale puisse chapeauter l’ensemble ». Pourquoi pas le CIO, s’interroge Jean-François Royer ? L’histoire récente nous a montré que pour accéder au statut de sport à part entière, une discipline devait être fédérée, soit en intégrant une fédération existante sous égide du Ministère de la Jeunesse et des sports (comme l’ont fait le snowboard, le BMX etc…), soit en créant leur propre structure à l’image du catch ou du MMA.

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