Beaucoup voyaient en l’état d’urgence une menace pour la filière événementielle. Plus contraignante pour les organisateurs, elle n’aura eu que des effets limités. Quoique…

Le 13 novembre 2015, en devenant deux fois dans la même année la cible d’un terrorisme jusqu’alors inédit sur son territoire, la France a définitivement changé d’ère. Si la décision de décréter l’état d’urgence est apparue d’emblée comme une évidence, elle a très vite provoqué une vague d’inquiétude chez les professionnels de l’événementiel. Il faut dire que le choc et la psychose post-attentat ont entraîné une forte baisse de leur activité du fait d’annulation ou de reports d’opération comme le rappelle Frédéric Jouet, président d’Unimev (voir interview ci-dessous).

Avec le recul toutefois, l’impact semble globalement assez limité. L’expérience a déjà montré que ces épisodes dramatiques ne plongeaient pas les économies concernées dans une phase de ralentissement marquée, qu’il s’agisse des États Unis après le 11 septembre 2001, de l’Espagne après l’attentat de la gare d’Atocha en 2004 ou de l’explosion d’un bus à Londres en 2005. Plus près de nous, on rappellera que la consommation s’est maintenue au premier trimestre 2015 après les attentats de Charlie et de l’Hyper Cacher. Tout comme en 2016, où la consommation et l’investissement sont restés stables au deuxième trimestre après un début d’année en augmentation (source Insee). « Depuis le début de l’année 2016, très peu de manifestations ont été annulées pour cause d’état d’urgence, rappelle Frédéric Bedin, président du directoire d’Hopscotch Group. Les freins rencontrés sont davantage d’ordre psychologique. » Seule différence notable : l’étude des dossiers est menée avec plus d’attention. « Le dialogue entre organisateurs et services de police pour rendre compatible les manifestations et les impératifs de sécurité s’est simplement un peu resserré, a expliqué Philippe Tireloque, conseiller Police au cabinet du Préfet de Police de Paris sur le plateau de l’émission « L’événement en état d’urgence » de l’association Lévénement  et diffusée sur Dailymotion en janvier 2016. Seuls trois événements – deux concerts et un spectacle de cirque - ont été interdits sur Paris. »

Reste que pour l’Euro, la menace de fermeture des fameuses fans zones a plané sur la manifestation jusqu’à la dernière minute : « Les exigences de la préfecture en matière de sécurité ont évolué quotidiennement, explique Manuel Berquet, directeur général de L’Euro 2016 pour The Coca-Cola Company. Nous avons finalement dû supprimer les animations prévues en ville, hors des fan-zones, pour éviter les rassemblements de personnes. La flotte de véhicules initialement mobilisée pour ces actions a été réaffectée aux fans zones et aux abords des stades. Mais dans l’ensemble, le dispositif de départ n’a pas été très fortement modifié. » Il faut dire que la marque avait anticipé le risque d’attentats à la demande du siège d’Atlanta : « Nous les avons prises très au sérieux et nous avons embauché un patron de la sécurité que nous avons placé au cœur de l’équipe de l’Euro 2016, précise Manuel Berquet. Parallèlement, nos collaborateurs engagés sur le terrain ont reçu une formation sur les comportements à adopter dans différentes situations, sur les premiers gestes à adopter… »

 

 

 

Hors de l’Euro, la plupart des sites accueillant du public et des événements ont eux aussi revu leur process en matière de sécurité. Par anticipation la demande des autorités (préfecture, collectivités…) ou de leur commanditaire, ils se sont équipés en infrastructures (portiques, détecteurs…) ou ont embauché du personnel additionnel type agent de sécurité. Ils ont également communiqué auprès des participants, les incitant par exemple à mettre en place un système de convocation et d’enregistrement en amont pour éviter la formation de groupes à l’entrée des sites. De quoi augmenter le coût global de l’événement, sans pour autant, au dire des professionnels, avoir d’incidence durable sur l’activité du secteur.

 

Au-delà, l’actualité nous a même confirmé que l’état d’urgence et la menace terroriste n’ont en rien altéré l’envie de se rencontrer, ni de descendre dans la rue pour manifester. Du mouvement « Nuit Debout » aux manifestations contre la loi travail, l’espace public hexagonal aura finalement été particulièrement occupé en 2016. Il est même probable que cette année soit une des plus encombrées de la décennie. « Plus que les attentats, ce sont les mouvements sociaux qui ont détruit le plus d’emploi et fait perdre beaucoup d’argent à l’économie française, reprend Frédéric Bedin. Le plus grave n’est pas tant les quelques manifestations annulées ou délocalisées dans d’autres pays que celles dont nous n’entendrons jamais parler et qui nous échappe parce que la France n’entre même plus dans les options étudiées par les organisateurs. » Ainsi certains effets d’accumulation – l’Euro, la menace terroriste et les manifestations de rue rejointes par des casseurs – ont eu raison en juin de plusieurs manifestations, comme le concert prévu Place Denfert Rochereau lors de la Fête de la musique le 21 juin, annulé en raison de la "mobilisation importante des forces de sécurité intérieure pour la protection des stades". A croire que  la principale menace pesant sur l’activité événementielle n’est pas tant le terrorisme que les mouvements sociaux…

Trois questions à Frédéric Jouet, président d’Unimev



Les mouvements sociaux ne sont-ils pas plus problématiques que l’état d’urgence pour la filière événementielle ?

Les attentats ont eu un impact immédiat et violent pour la filière avec des baisses d’activité notamment dans le secteur des salons en Ile de France (-11,3 %), une forte baisse du nombre de visiteurs… on a prix cher ! Sans oublier les problèmes de coûts liés aux mesures de sécurité pour les sites et les organisateurs. Mais il est vrai que l’inquiétude des professionnels de la filière est davantage motivée par les mouvements sociaux. Les scènes de violence extrême diffusées dans le monde entier donnent une image dégradée et anxiogène du pays. L’actualité de ces derniers mois est lourde de conséquences en termes d’emploi.

 

Comment retrouver et maintenir durablement un peu de sérénité et de crédibilité, notamment pour porter les candidatures de Paris 2024 et ParisExpo 2025 ?

On sait bien que d’autres attentats peuvent arriver demain et pour les dix années à venir. On sait bien que les forces de l’ordre ne sont pas duplicables et qu’elles sont  fatiguées… les pouvoirs publics sont bien conscients de la situation. Je reste donc optimiste et confiant. Tout est une question de moyens et quand on veut, on peut ! De plus, les nouvelles technologies offrent de nouvelles capacités de surveillance et de détections. Plus largement, peut-être faudrait –il envisager un Grenelle de la sécurité et de l’événement.

 

Les pouvoirs publics et les nouvelles technologies suffisent-ils vraiment ?

On nous dit tous les jours d’être « vigilant », mais sait-on ce que cela signifie vraiment ? Il y a un manque d’information et d’implication du public. En Israël, où l’on a vraiment appris à vivre avec la menace, chacun sait qu’il faut faire attention, chacun sait ce qu’il doit faire.

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