Télévision
Pour se démarquer des sites de rattrapage, la télé en direct parie sur «l’emotainment». On se rencontre, on se rend des comptes, on se réconcilie face aux caméras. Autre tendance des nouveaux programmes: une fiction de plus en plus sombre.

Le rideau de Pascal Bataille et Laurent Fontaine n’est finalement jamais retombé. Dans les années 2000, le divertissement Y’a que la vérité qui compte, diffusé sur TF1, tentait de réconcilier deux membres fâchés d’une même famille. Seul un gros rideau rouge les séparait. Chacun avait le choix de l’ouvrir et tenter une réconciliation... ou pas. Si à chaque fois les situations étaient différentes, l’émotion et les larmes étaient, elles, quasiment toujours au rendez-vous.

Aujourd’hui, le rideau a disparu, mais la télévision tente toujours de jouer le rôle de conciliateur familial. Le 7 novembre, M6 lancera Mariés au premier regard, un docu-réalité adapté de Married at First Sight, produit par Studio 89 et adapté dans quinze pays, dans lequel des célibataires se marient avec des inconnus, tests et «experts» du couple à l'appui. À Cannes, où s’est tenu le Mipcom du 17 au 20 octobre, le cabinet The Wit a observé l’arrivée de plusieurs programmes où la télé tente de jouer cette fois le rôle de réconciliatrice, entre un fils et son père, un frère et sa soeur ou simplement au sein d’un couple. Boxed (Keshet), en Israël, place les protagonistes dans deux box simplement séparés d’un mur. Celui-ci peut glisser et s’éclipser afin que les deux personnes se retrouvent dans la même pièce, dans le but de dialoguer. Aux Pays-Bas, on a trouvé mieux que les mots pour dialoguer: le silence. Dans Face to Face (Flare Media) les candidats à la réconciliation sont placés… face à face. Durant huit longues minutes, ils doivent se regarder les yeux dans les yeux, sans un mot. Ici, c’est le visage et les yeux qui s’expriment, et malgré le silence, les larmes ne sont jamais très loin.

Réconciliation aussi, mais en couple et avec l’arbitrage d’un tiers dans The Lie Detective (Fremantle Media), en Grande-Bretagne. Les conjoints se font face autour d’une table et s’interrogent mutuellement avec des questions très directes. Toutefois, leurs réponses sont analysées par un détecteur de mensonges et si la machine laisse envisager un possible trouble, le détective placé entre les deux protagonistes en fera part. Gare aux menteurs!

Divertissement émotionnel

«L’emotainment n’est pas un genre nouveau, mais il se déploie bien ces dernières années, confirme Bertrand Villegas, cofondateur de The Wit. La nouveauté, c’est le renouveau du traitement éditorial. L’émotion est ainsi poussée à fond.» Pourquoi un tel paroxysme, quelques fois à la limite du voyeurisme? «Face à la montée de la consommation des programmes regardés sur les sites de rattrapage, l’émotion reste une vraie force pour une chaîne de télévision car sentiment a une vraie force avec le direct, poursuit le professionnel. Pour cela, la télé peut ainsi compter sur le sport, d’une part, et les docu-réalité, d’autre part. C’est le divertissement émotionnel.» Des affaires de familles qui ferait bien le bonheur des télés, d’après Bibiane Godfroid: «Ce type de programme qui parle d’histoires de familles permet aussi de réunir… les familles, et l’écoute conjointe est importante pour les chaînes», assure la directrice des contenus chez Newen.

The Wit place encore dans le panier des réconciliations les nouveaux programmes de rencontres, et Meetic et Tinder n’ont qu’à bien se tenir. Désormais, pour chercher son compagnon, il faut le renifler sous les aisselles! Lancé cet été à la télé norvégienne, Animal Attraction demande à des jeunes femmes de choisir leurs hommes grâce à leur odeur corporelle ou leur faculté à être le mâle dominant dans un groupe. Plus conventionnel, Dance Floor Date (Newen) place la danse comme critère de choix et Sweetheart in your Ear (CJ & EM) interdit tout dialogue visuel ou échange de photos entre les candidats qui n’ont donc que la voix au téléphone ou les textos pour se séduire… presque comme dans le réel des sites de rencontres.

Télé-réaliste

Justement, la vérité sans fard, c’est aussi une tendance forte des programmes TV pour Sahar Baghery, directrice études et stratégie des contenus chez Eurodata TV (Médiamétrie). «La télévision montre le réel tel qu’il est, brut, et de manière frontale», estime-t-elle en citant en exemple les séries Hashtag (Suède) et Bully Project (Pays-Bas) qui racontent des histoires de harcèlements subis par des jeunes, ou 60 Days In, une série de docu-réalité qui suit des innocents envoyés volontairement en prison.

«Le réel peut également être la source d’expériences quand il est vécu par des tiers se mettant dans la peau d’une autre personne», rapporte Sahar Baghery. Ainsi, dans Fit to Fat to Fit, le coach, qui a grossi volontairement, suit le même régime et traitement que son client, candidat à la perte de poids.

La fiction aussi développe son côté obscur. «Les thrillers et les polars deviennent de plus en plus noirs, c’est l’influence de la Scandinavie qui a introduit ces héros sombres», note Bertrand Villegas, de The Wit. La France n’est pas à l’écart de cette tendance. Glacé, qui arrive sur M6, et Jour Polaire, attendu sur Canal+, emporteront les téléspectateurs dans les univers froids et difficiles des Pyrénées, pour le premier, et de la Suède, pour le second. La chaleur d’un studio télé est quand même plus accueillante... même pour laver son linge sale en famille.

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