Fiction
En ce début 2017, la série la plus tweetée du moment s'appelle 13 Reasons Why et s'adresse aux adolescents, dans une tonalité très sombre. Tout comme Riverdale ou encore Sweet/Vicious, qui traitent de sujets grave voire dramatiques. Adolescence difficile?

Les majorettes sont sous Prozac, le capitaine de l’équipe de foot s’est mis à lire Cioran et les premiers de la classe sèchent les cours. Décidément, dans la fiction pour ados, ça sent la grosse déprime. L’univers rose bonbon des «teen movies» de John Hughes dans les années 1980, ambiance Pretty in Pink, semble hystériquement incongru. La couleur à la mode dans les couloirs du lycée, ce serait plutôt le noir. Mêlé de rouge sang.

La jeune fille et la mort: elle a 17 ans, elle est jolie, spirituelle et paumée, elle se tranche les veines dans sa baignoire. Les affres d’Hannah Baker, beauté suicidée de 13 Reasons Why, ont bouleversé les abonnés de Netflix. La série est produite par la chanteuse/actrice Selena Gomez, 24 ans, célébrité la plus suivie sur Instagram. Adapté de l’ouvrage éponyme de Jay Asher, 13 Reasons Why, diffusé depuis le 31 mars, est à ce jour le programme télé de 2017 le plus commenté sur Twitter, avec 11 millions de tweets au moment où nous écrivons.

En plus du suicide, l’on y traite pêle-mêle de viol, de machisme, de cyber-harcèlement. Hannah, dont le joli minois lui vaut bien des déboires auprès des garçons, dénonce sur treize cassettes audio les treize personnes qui l’ont menée à la mort, les fausses meilleures copines qui lui ont savonné la planche, les amoureux dépités qui l’ont fait passer pour la traînée du lycée…

Nostalgie pré-millennials

Une dénonciation du «slut shaming» (stigmatisation, culpabilisation ou disqualification de toute femme dont l'attitude ou l'aspect physique seraient jugés provocants ou trop ouvertement sexuels) également abordée dans l’autre série pour ado du moment: Riverdale, «teen drama» également diffusé sur Netflix. Dans une atmosphère de série noire, avec un casting d’acteurs d’une beauté surréelle, la série qui revendique une atmosphère à la Twin Peaks, brumeuse et vénéneuse, explore la mort inexpliquée d’un lycéen dans un climat de conflits enkystés, de haines recuites. Là aussi, comme dans Sweet/Vicious, dont les héroïnes cyberjusticières luttent contre la culture du viol à la fac, l’on se prend en selfie, et le smartphone y constitue sinon l’un des personnages principaux, en tout cas un moteur narratif.

On y sent, en filigrane, une certaine nostalgie pour une époque que les millennials n’ont même pas connue: l’ère d’avant l’internet, où les réseaux sociaux n’existaient pas, où l’on attendait fiévreusement au passage du facteur les missives de l’être aimé et où, pour reprendre une phrase de l’écrivaine américaine Fran Lebowitz, l’adolescence pouvait être définie comme «la dernière période de votre vie où vous êtes fou de joie d’apprendre qu’on vous demande au téléphone». La mécanique de 13 Reasons Why repose en effet sur les bonnes vieilles cassettes audio, sur lesquelles les ados nés sous Giscard enregistraient des «mix-tapes» élaborées avec sophistication pour séduire l’objet de leur affection –des «K7» au charme analogique puissant, dans l’univers du tout numérique.

Smelles like teen movies

Lesquels adolescents écoutaient probablement, dans le secret de leur chambrette, cette chanson du groupe Placebo au titre sans ambiguïté, «Teenage Angst» (angoisse adolescente) et aux paroles sans équivoque: «Since I was born I started to decay/Now nothing ever ever goes my way» (Depuis que je suis né j’ai entamé ma décrépitude/Maintenant, rien ne se passe jamais comme je le voudrais). Après l’adolescence, l’obsolescence? Trop le seum…
Attention: tout n’a pas été fun dans le monde des teen dramas. Sortis des bluettes kitschounettes à la Sauvés par le Gong ou des délires potaches à la Porky’sou American Pie, placés sous le signe de l’explosion hormonale, les «teen dramas» et autres «teen movies» ont toujours comporté une dimension sociétale. L’acidulé Beverly Hills 90210 s’attaquait en son temps à des sujets comme l’alcool, les drogues, tout comme la très réaliste série canadienne Degrassi High –Les années collège en VO– qui adoptait dans les années 1987 une démarche très «conseiller principal d'éducation» avec des thèmes ultra-sérieux (sida, chômage…) et des acteurs même pas beaux.

Mélange des genres

L’adolescence, pour reprendre François Truffaut, «ne laisse un bon souvenir qu’aux adultes ayant mauvaise mémoire». Pourtant, les adultes sont de plus en plus nombreux à s’abîmer dans l’univers du teen drama. Ce sont eux qui ont fait le succès critique de séries plus confidentielles qu’Hélène et les Garçons, à l’instar d’«Angela, 15 ans» dans les années 1990 ou encore du premier fait d’armes du roi de la comédie hollywoodienne, Judd Apatow, l’épatant Freaks and Geeks, diffusé une seule saison en 1999.
C’est sans doute en partie à cette audience plus âgée et plus exigeante que l’on doit l’hybridation de la fiction adolescente, mélange plus ou moins heureux des codes. Un procédé de plus en plus patent depuis Buffy contre les vampires, compromis entre Breakfast Club et un film de série Z –qui vient de fêter ses vingt ans. Le délicieux Veronica Mars(2004-2006) se présentait comme l’enfant caché du Faucon maltais et d’Alice détective, tandis que Glee transformait les crises d’acné en comédies musicales et que la série britannique Skins se place au confluent de la club culture et de la «drug culture» à la Trainspotting

Au cinéma, le teen drama fait également sa mue: l’étonnant It Follows joue sur la découverte de la sexualité, excitante et terrifiante, avec ses personnages poursuivis par des créatures inquiétantes, une fois leur virginité envolée. En France, le film gore Grave, dans lequel une étudiante vétérinaire découvre sa passion pour la chair, au propre comme au figuré, a eu son petit succès. Plus «classique», The Age of Seventeen, chronique délicate sortie en avril en VOD, a charmé la critique. Rien d’étonnant: l’adolescence n’est-elle pas, comme l’écrivait Marcel Proust dans À l’ombre des jeunes filles en fleur, «le seul temps où on ait appris quelque chose»?

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