Parmi les mouvements de fond qui sont en train de modifier la relation des marques aux consommateurs, le souci de proximité et de générosité sont des attentes à ne plus négliger.

Quoi de neuf en 2010 ? Le cabinet indépendant néerlandais Trendwatching a repéré une dizaine de tendances qui modifient les relations de la marque à son consommateur. Certaines sont déjà enclenchées et partagées par tous comme le «real time», phénomène d'accélération de l'information ou, dans la mouvance du développement durable, l'idée d'imposer aux consommateurs de faire «facilement» les gestes écologiques qu'il faut.

D'autres sont en train d'émerger. L'agence corporate W & Cie a eu la bonne idée de traduire en français le rapport de Trendwatching. Son directeur associé, Jérôme Wallut, a été particulièrement sensible aux mouvements de la société qui témoignent d'une attente de proximité et de générosité. Entretien.


Que se cache-t-il derrière cette tendance que vous avez traduite par «urbanie» ?

Jérôme Wallut. «L'urbanie», c'est le nouveau territoire de jeu des consommateurs de demain. Conquérir «l'urbanie», c'est valoriser l'identité et l'esprit de chaque ville, c'est faire appel à la «fierté urbaine» de chacun d'entre nous. L'Exposition universelle, qui ouvrira en mai à Shanghai, a d'ailleurs pour thème «Meilleure ville, meilleure vie».

 

En France, vous l'observez aussi ?

J.W. Oui, cette tendance, nous la vivons déjà, par le retour des grandes surfaces alimentaires dans les centres-villes avec des concepts de proximité (Carrefour City, Intermarché Express, Simply Market d'Auchan, etc.). On observe également la multiplication des réseaux sociaux de quartier, comme Peuplade ou Voisineo. Certes, ils sont encore embryonnaires, mais leur légitimité est certaine car la proximité physique dans la «vraie vie» crée des centres d'intérêt communs : de fait, la communauté existe. A contrario : l'intérêt très limité des Français pour les élections régionales, car la région est trop lointaine, conceptuelle. Vive les élections municipales, que je suggère de rebaptiser «élections de communes» comme… communautés !

Comment les marques peuvent-elles valoriser cette fierté urbaine ?

J.W. En créant des produits spécifiques. Jannah Harper, responsable de l'étude Trendwatching, rappelle le lancement par la vodka Absolut de sa gamme Cities Series, avec un premier produit mangue et poivre lancé en 2007 inspiré par la Nouvelle-Orléans. Et en août dernier, le «Taste of Boston», qui associe vodka, thé noir et fleur de sureau et adopte la couleur verte, rappelant ainsi le stade Green Monster du Fenway Park de l'équipe de base-ball de la ville américaine.

 

Cela concerne-t-il d'autres secteurs ?

J.W. Les parfums, par exemple. Guerlain a lancé en juillet 2009 une série à thèmes citadins distribuée par le magasin londonien Harrods : Paris-Moscou, mélange de musc, de fruit et de bois ; Paris-New York, à la vanille, cannelle et cèdre ; et Paris-Tokyo, qui associet jasmin, violette et thé vert. Trendwatching cite aussi les distributeurs automatiques Bank Machine situés dans l'est londonien, qui proposent d'afficher les instructions en argot cockney, langage fleuri originaire de cette partie de la ville.

 

Ce retour à des relations de proximité serait-il, contre toute attente, favorisé par Internet ?

J.W. Les médias sociaux et les moyens de communications mobiles aident en effet à l'éclosion des «mélanges de masse», qui vont à l'encontre de tous les clichés tendant à faire du «tout-connecté» le responsable d'une diminution des interactions humaines. Il s'agit de prolonger dans la «vraie vie» les affinités communautaires. Les réseaux sociaux ne restent pas sur le Web.

 

Ils «débordent» dans la vraie vie ?

J.W. Tout à fait. Être connecté au Web, c'est multiplier ses chances de rencontrer ses amis et des personnes que l'on aurait jamais connu sans le Net : des personnes partageant les mêmes loisirs, les mêmes opinions politiques, etc. Ainsi se mélangent les foules, partout dans le monde réel. En France, ce sont les «geeks» qui ont commencé à se rencontrer avec les Fanny's Parties, suivis par les blogueurs politiques sous l'égide de Versac, avec la république des blogs. Les communautés vont avoir envie de se rencontrer et ce sont les formes de ces rencontres qui vont être intéressantes à surveiller. Cette tendance, augmentée de la géolocalisation, va sans doute être une lame de fond sur le mode: «Tiens, je remarque que nous sommes tout proches en ce moment, on se voit ? » Et puis, la réalité pourra dépasser le virtuel : en Espagne, Ebay a ainsi reproduit dans le métro son site et ses usages en permettant aux usagers de coller leurs annonces directement sur les murs d'une station recouverts de liège.

 

La générosité est un nouveau mode de pensée pour la génération Internet. Comment les marques doivent-elles l'intégrer ?

J.W. C'est une urgence ! La génération G (pour générosité) révélée en 2008 par Trendwatching est bien vivante. Générosité et partage sont d'autant plus naturels pour cette génération qu'elle a été nourrie à la culture du Web et qu'elle a intégré les principes du développement durable. Sur Internet, cette générosité a son label, Creative Commons, qui autorise la reproduction gratuite d'un contenu en mentionnant le label et le nom de l'auteur.
Pour les marques, la tendance incontournable, c'est la générosité «inside».

 

Concrètement ?

J.W. Cela concerne les initiatives qui rendent les dons indolores, voire automatiques. Vous achetez un produit, nous offrons le même à une personne nécessiteuse ou une partie de la somme est reversée à une association caritative. C'est aussi simple que cela, c'est «Embed !», terme très utilisé sur le Net. Quelques exemples : en octobre dernier, les fondateurs de Twitter ont annoncé qu'ils allaient vendre en 2010 du vin sous leur propre marque, Fledgling Wine, et reverser 5 dollars par bouteille vendue à Room to Read, une organisation caritative proposant des programmes d'alphabétisation. De même, avec son opération «Donner un jour, gagner un jour» lancée depuis le début de l'année aux États-Unis avec Hands On Network, Disney veut favoriser le volontariat. Citons encore la marque américaine d'espadrilles Toms, qui donne une paire de chaussures à un enfant défavorisé d'un pays du Sud pour une paire achetée en ligne. En août 2009, Toms avait donné 150 000 paires de cette manière et vise le 1 million d'ici à 2012.

 

La générosité n'est-elle qu'une affaire de charité ?

J.W. Non. Plus fondamentalement, la générosité est une posture à intégrer par les marques. Sur Internet, il faut beaucoup donner avant de recevoir. Ainsi, il serait bon que les marques renoncent à exiger de l'internaute trop d'informations personnelles (via les formulaires d'inscription) au risque de dépouiller à la pelle des [email protected]. Mais plutôt se contenter de l'information nécessaire en en justifiant l'usage. Il est urgent d'apprendre. C'est simple : il suffit de faire !

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