Forte de son succès commercial, la tablette d’Apple semble avoir modifié les usages de ses utilisateurs. Une étude de Fullsix et Oto Research lève le voile sur le sujet.

«Nous anticipions 400 000 ventes pour la fin de l'année. Or, d'après les estimations, nous y sommes déjà», confie Anne Browaeys, directrice générale du groupe Fullsix. Cinq mois après son arrivée sur le marché français, l'Ipad n'est déjà plus un produit de niche. Mais l'a-t-il jamais été? Selon une récente étude menée par Oto Research pour Fullsix, ses utilisateurs se sont très fortement approprié l'objet. Ils effectuent en moyenne une dizaine de prises en main par jour pour une utilisation totale de 2 heures. Les «early-adopters» manifestent de l'«émerveillement pour ce bijou» qui, loin de traîner sur le canapé à la manière d'une Game Boy, est «soigneusement rangé dans son étui», observe-t-elle. La dimension statutaire de l'Ipad est en effet l'une des caractéristiques de la tablette d'Apple.

D'avoir rendu les services payants populaires est aussi à mettre à son crédit. De par sa mobilité, mais aussi grâce à la fluidité et à la qualité de l'expérience qu'il offre, l'objet ne dissuade plus ses utilisateurs de mettre la main à la poche, contrairement aux possesseurs d'Iphone, profondément attachés à la gratuité des contenus. De fait, les possesseurs d'Ipad dépensent 27 euros en moyenne chaque mois, dont 12 euros sur Itunes et 15 euros sur l'App Store. Anne Browaeys en est convaincue: l'Ipad est une sorte de juke-box de contenus numériques qui continuera de stimuler le modèle payant, même auprès d'un public non initié.

À l'heure actuelle, l'«Ipader» moyen est un homme, âgé de 35 à 39 ans, cadre ou exerçant une profession intellectuelle ou libérale. Il utilise sa tablette principalement à domicile et peu sur son lieu de travail ou en situation de mobilité (lire les graphiques). Il sollicite sa tablette plutôt pour suppléer l'ordinateur, la presse écrite et la télévision. Il consacre une moitié du temps d'utilisation aux réseaux sociaux, à la recherche des informations et à la consultation de sa messagerie, l'autre moitié aux applications. Mais si on constate indéniablement une «cannibalisation à l'usage, on ne peut pas encore dire s'il y a cannibalisation à l'achat», nuance Anne Browaeys, pour qui seul l'avenir des lecteurs de DVD portables est scellé par l'arrivée des tablettes numériques. Une étude publiée récemment par l'institut Gartner confirme la menace pour l'équipement électronique grand public et attribue même le ralentissement des ventes de netbooks (mini-ordinateurs) en 2010 à l'arrivée de l'Ipad. Pour le PDG d'Archos, les tablettes, au format toutefois plus petit, sont «amenées dans un avenir proche à remplacer les baladeurs MP3».

Manne publicitaire

Du coup, l'audience potentielle offerte par la tablette d'Apple aiguise les appétits des annonceurs. «Tous nos clients se posent la question d'une application Ipad, explique Anne Browaeys. Une réflexion similaire à celle sur l'opportunité d'ouvrir un site Internet au début des années 2000.» Les constructeurs automobiles tels que Renault, Mercedes ou Alpha Romeo ont ouvert la voie, avec des applications spécifiques lors de leurs dernières campagnes.

Cette nouvelle manne publicitaire fait de l'Ipad un support également prometteur pour les éditeurs. Mais comme le soulignait Le Nouvel Économiste dans un dossier paru en octobre, jouer le jeu d'une maquette et de contenus innovants par rapport à l'édition papier implique des coûts non négligeables pour des médias souvent en manque de moyens. De plus, Apple profite pour l'instant de sa situation de monopole pour établir des règles restrictives en matière de marketing et de prix. Et si l'arrivée prochaine en France d'I-Ad, la régie publicitaire d'Apple, provoque l'enthousiasme côté annonceurs (elle permettra d'intégrer une application complète à un bandeau publicitaire), le taux de commission de 40% que s'octroie la marque à la pomme devrait en revanche beaucoup moins plaire aux éditeurs.

Triomphe commercial porté par une fièvre médiatique ininterrompue, l'Ipad tient-il toutefois vraiment la promesse annoncée par Steve Jobs de proposer une alternative aux netbooks? Le blog Mashable, réputé pour ses analyses sur tout ce qui touche au Web, est d'un tout autre avis. Reconnaissant les qualités esthétiques et le confort d'usage apporté par l'Ipad, Samuel Axon y voit de profondes lacunes dans l'impossibilité de lire des applications Flash, de partager de la musique ou des vidéos et d'évoluer en mode multitâche, ou encore dans l'absence d'appareil photo et de webcam intégrés. Autrement dit, pas besoin de se procurer un Ipad si l'on possède déjà un smartphone et un ordinateur.

Au risque de faire dévier le défi technologique vers un concours de beauté, les consommateurs se prononcent une nouvelle fois massivement en faveur d'Apple sur le marché des tablettes numériques. La firme californienne aurait-elle déjà pris le contrôle définitif du marché? La Galaxy Tab du coréen Samsung, présentée comme la concurrente la plus sérieuse, semble connaître des difficultés à faire son trou. Et plusieurs sites spécialisés annoncent le lancement de l'Ipad 2 pour le premier trimestre 2011… Stratégie de surenchère commerciale similaire à celle adoptée pour l'Ipod et l'Iphone (dont les modèles se succèdent à un an d'intervalle, parfois sans innovation majeure, de l'aveu même d'Apple) ou bien intention réelle de remédier aux faiblesses du produit? Finalement, les dés ne sont peut-être pas encore jetés…

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