communication
Campagnes provocatrices, recours à des agences de publicité généralistes, stratégie numérique offensive… En pleine campagne du denier du culte précédant Pâques, l’Église professionnalise sa communication.

Une croix pointée comme un pistolet d'où s'échappent des volutes multicolores. Un slogan provocateur : «Ne désarmez pas, donnez!». Un code-barres 2D qui permet d'accéder à un site dédié depuis son smartphone... Avec ce visuel au graphisme résolument psychédélique, le diocèse de Nancy sort l'artillerie lourde pour sa dernière campagne d'affichage lancée le 1er avril à l'occasion du denier du culte. 

De fait, et comme chaque année, le denier du culte est une échéance cruciale pour l'Église catholique romaine de France qui doit motiver ses ouailles pour collecter des fonds, d'autant que l'institution ne bénéficie d'aucune subvention de l'État et pas plus de l'aide de Rome. En 2010, sur ses 700 millions d'euros de ressources, 230 millions émanaient du denier. C'est aussi l'occasion pour l'Église de France de communiquer alors qu'elle est confrontée à une image ternie, à une baisse de fréquentation et donc des dons.

Du pain bénit pour les agences

Entités autonomes et libres de gérer leur communication au niveau local, les diocèses recourent depuis 1986 à l'affichage 4x3 pour le denier de l'Église. «Nous avons monté la première campagne d'affichage au diocèse de Grenoble, avec l'agence BD Consultants», se rappelle Vincent Fauvel, responsable des relations avec les médias de la Conférence des évêques de France (CEF).

Mais, depuis deux ans, les diocèses n'hésitent plus à recourir à la provocation, en tout cas à l'humour. Même pour les campagnes de recrutement de prêtres. Avec le groupe Bayard Presse, la Conférence épiscopale a ainsi lancé au printemps 2010 le site Etpourquoipasmoi.org avec une page Facebook et des vidéos sur You Tube et Dailymotion visant clairement à susciter des vocations (budget : 300 000 euros).

Autre petite révolution: les diocèses font de plus en plus appel à des agences publicitaires généralistes, délaissant les agences spécialisées telle Via Magnificat. Spécialiste du secteur religieux depuis vingt ans, cette dernière compte vingt-cinq diocèses parmi ses clients, dont une quinzaine pour les campagnes du denier du culte. Mais «beaucoup de diocèses travaillent maintenant avec plusieurs agences à la fois», constate Benoît de Soos, cogérant de l'agence, qui a récemment perdu le diocèse du Mans.

L'Église en tête de gondole

Manifestement, les petits budgets de ces clients atypiques ne rebutent pas les agences généralistes qui, au contraire, y trouvent aussi leur compte. Ainsi pour le diocèse de Nancy ne disposant d'un budget que de 85 000 euros, l'agence BB Com, basée à Nancy et à Metz, a déployé du 1er au 15 avril une campagne d'affichage en 4x3 accompagnée de 300 000 dépliants distribués sur Nancy et les agglomérations environnantes. «Le diocèse nous a demandé de travailler sur les valeurs humanistes de l'Église mais avec une volonté d'interpeller», résume Brigitte Meyer, directrice de BB Com qui travaille pour la quatrième année consécutive avec ce client. Forcément, la campagne a suscité des remous. Déjà celle de 2010, au slogan provocateur («Jésus crise. Donnez que diable!»), lui avait valu les honneurs du 20 Heures de TF1 et de nombreuses retombées presse.

Sur les très catholiques terres de Bretagne, Euro RSCG 360 a mené sa deuxième campagne annuelle d'affichage pour la province ecclésiastique de Rennes. Un budget important (600 000 euros pour 2010), auparavant géré par deux agences spécialisées dans le secteur religieux. Euro RSCG 360 a affiché sans complexe les besoins financiers du diocèse, en jouant sur le second degré, avec pour slogan «Grâce à l'Église, assurez-vous un portefeuille de vraies actions». Une campagne qui surfe sur un contexte «de crise financière». «On en a profité pour rappeler ce qu'offre l'Église, qui ne repose pas sur de fausses valeurs, mais sur la solidarité», souligne Marie Le Gall, directrice de clientèle chez Euro RSCG 360.

Ce recours aux mêmes ficelles marketing que les produits de grande consommation n'est, semble-t-il, plus tabou. «Les diocèses n'auraient pas osé avant, de peur de choquer leurs fidèles. Mais ils n'ont pas d'autre choix que d'utiliser ces codes marketing pour monter des campagnes un peu à la façon des opérations en têtes de gondole. Sinon, ils ne récolteront pas d'argent», explique Isabelle de Gaulmyn, chef du service religion au quotidien La Croix.

Encore faut-il concilier créativité publicitaire et valeurs catholiques. «Placer le curseur au bon endroit, sans franchir la ligne rouge... C'est une institution, on touche au domaine du sacré. Mais on peut être provocateur sans tomber dans le blasphème», estime Brigitte Meyer. «La communication reste en ligne de crête: on cherche à être audibles, c'est un apprentissage permanent», résume Mgr Bernard Podvin, secrétaire général adjoint, directeur de la communication et porte-parole de la CEF.

Les dons ne tombent plus du Ciel

Cela nécessite toutefois quelques adaptations. «Plus ça va, plus les personnes en charge de la communication et de la collecte des fonds de l'Église se professionnalisent, comme auparavant dans l'humanitaire», observe Benoît de Soos, de Via Magnificat. En février dernier, la CEF a ainsi recruté un nouveau chargé des relations presse, qui a notamment fait ses gammes au groupe Bayard en tant que responsable des relations avec l'Église. «J'ai changé de mission, je suis au cœur de l'institution, mais je travaille toujours sur les liens entre Église et communication», résume Vincent Fauvel.

Car l'Église est confrontée aux mêmes questions que les associations, fondations et organismes humanitaires: comment accroître le montant des dons? Le 28 avril, l'Association française des fundraisers organisera d'ailleurs une journée sur ce sujet, réservée aux associations confessionnelles. «La moitié des Français se déclarent catholiques, mais seuls 15% disent donner au denier de l'Église. En plus, ils versent davantage aux associations humanitaires», souligne Benoît de Soos.

 


L'éclosion des vocations… numériques


À l'automne 2010, la Conférence des évêques de France lançait deux applications Iphone: Église info, sur son actualité en France, et Messes info, consacrée aux horaires des messes avec un système de géolocalisation (affichage sur une carte des églises à proximité, horaires des messes locales). La CEF vient d'ailleurs d'annoncer l'ouverture d'un groupe de travail Église et Internet, qui planchera sur le sujet. Au niveau local, les initiatives éclosent aussi sur la Toile: sites Web, fanpages Facebook, newsletters, etc. Certains prêtres technophiles ont leur propre blog. «On mène beaucoup de formations sur la présence des prêtres sur Facebook», explique Gabriel Leroy, directeur des systèmes d'information à la CEF.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.