Contre toute attente, la consommation de mode de luxe est portée par le grand public et non par la clientèle traditionnelle la plus aisée. C’est ce qui ressort d’une étude d’American Express qui éclaire les comportements d’achat des Français dans la mode au premier semestre 2011.

À l'issue de la Fashion Week parisienne du prêt-à-porter qui s'est tenue du 27 septembre au 5 octobre, un paradoxe demeure. Alors que la mode de luxe (chaussures, joaillerie, sacs et vêtements) est considérée comme un secteur à la santé insolente, les «fashionistas» français, autrement dit les clients qui consomment le plus ces produits, réduisent sensiblement leurs dépenses dans ce domaine. En France, le montant des achats de cette cible a baissé de 10% dans la mode de luxe et de 9% dans celle de milieu de gamme au premier semestre de l'année 2011, selon une étude du cabinet American Express Business Insights, filiale du groupe du même nom. À l'inverse, le grand public a accru de 13% ses dépenses dans la mode de luxe et de 7% dans celle de milieu de gamme. Les Français ont ainsi augmenté la part de leur budget consacrée à l'achat de pièces Louis Vuitton ou Hermès, tandis que les «fashionistas», au sens des premiers acheteurs en montant et qui comptent pour 5% des dépenses totales dans la mode (luxe et milieu de gamme confondus), la diminuaient. Cette tendance s'observe également dans d'autres pays du monde, l'Australie, les États-Unis, Hong-Kong, le Japon et le Royaume-Uni. L'intérêt de l'étude réside notamment dans l'exploitation de données réelles et non simplement déclaratives (les transactions ont été effectuées par les porteurs de cartes American Express), généralisées et ajustées à l'ensemble de la population française.

 

La joaillerie illustre de manière aiguë ce phénomène. Au premier semestre, le grand public a accru de 38% ses achats dans ce domaine, tandis que les accros à la mode les réduisaient de 21%. «Chez cette clientèle traditionnelle du luxe, il y a eu un important changement des priorités de leur porte-monnaie, indique Sujata Bhatia, vice-présidente d'American Express Business Insights pour l'Europe et l'Asie. Les parts consenties aux produits électroniques de loisir et à l'informatique ont progressé.» Dans le prêt-à-porter, qui représente l'essentiel des dépenses en matière de mode, on retrouve également cette tendance. Selon nos informations, l'étude a relevé une augmentation de 6% des dépenses du grand public en accessoires et vêtements au premier semestre 2011. Dans le même temps, les fans de mode ont réduit les leurs de 7%. «Une des explications possibles tient à l'arrivée de nouveaux consommateurs dans l'univers du luxe, analyse Nathalie Lemonnier, fondatrice du cabinet Lemon Think, spécialisé dans le luxe, et ex-responsable de la relation client à l'international dans le groupe LVMH. Ils ont accédé à cet univers en raison de l'évolution de l'offre et de l'émergence des ventes privées.» Ces dernières proposent parfois des produits de luxe, à l'image de ventes-privées.com qui a ouvert un espace spécialisé sur son site. L'univers du luxe se polarise autour de deux ensembles, les produits d'entrée de collection et le sur-mesure. «De plus en plus, il existe une distorsion entre l'entrée de gamme, par exemple la petite maroquinerie ou des produits en toile au lieu du cuir, et des produits exclusifs, par exemples des commandes spéciales de malles Louis Vuitton fabriquées sur mesure», souligne Nathalie Lemonnier.

 

Dans l'Hexagone, «fashionista» s'accorde au masculin. Ce groupe est en effet composé d'une majorité d'hommes (56%), même s'ils ont diminué de 31% leur consommation de produits de luxe au premier semestre. Au sein des «fashionistas», les femmes consacrent une plus grande partie de leur budget à l'achat d'articles de mode que les hommes. Elles dépensent ainsi 74% de plus en produits milieu de gamme et 42% de plus en produits de luxe. «La fréquence de consommation chez l'homme de style classique est moins forte que chez les femmes, en raison des quatre collections par an dans la mode de luxe, considère Nathalie Lemonnier. En outre, les femmes "fashionistas" panachent sans complexe articles de luxe et grand public.» En revanche, les hommes accros de mode consomment deux fois plus de dîners et d'hôtels de luxe.

 

Sur le plan démographique, le groupe des «fashionistas» compte dans ses rangs 89% de membres issus de la génération Y et de celle des «Trente Glorieuses». Par génération Y, on désigne les consommateurs âgés entre 18 et 29 ans et par celle des Trente Glorieuses, ceux âgés entre 46 et 66 ans. Chez les «fashionistas», les «Y» constituent la catégorie qui dépense le plus en pourcentage... car en volume c'est loin d'être le cas. Par rapport à la moyenne des dépenses en mode de luxe, les «Y» consacrent proportionnellement 43% de plus, contre 6% de moins pour la génération X (les consommateurs entre 30 et 45 ans), 2% de plus pour celle des Trente Glorieuses et 1% de plus pour les seniors (les plus de 66 ans). «La génération Y est un segment de consommateurs à surveiller pour l'avenir, considère Sujata Bhatia. La part de leurs dépenses dévolue au luxe ne cesse de progresser.» Nathalie Lemonnier se demande s'il n'existe pas un phénomène «Tanguy» qui favoriserait les achats de luxe. «Au Japon, les jeunes ne quittent pas la maison avant 30 ans, note-t-elle. L'argent non investi dans le loyer peut servir à l'achat de pièces de luxe.»

 

Nuance capitale, malgré la chute de leur consommation de luxe, les «fashionistas» français représentent toujours le principal groupe d'acheteurs de produits de ce type. Ils comptent pour 61% des dépenses dans ce domaine. En revanche, ils ne pèsent que 47% dans la consommation de mode grand public. L'étude d'American Express Business Insights note toutefois qu'ils dépensent plus qu'avant la crise économique de 2008. Ils constituent toujours le moteur de la croissance du luxe. Les hommes «fashionistas», par exemple, achètent trois fois plus de luxe que leurs homologues du grand public. Globalement, les autres Français consomment moins d'articles de mode qu'avant 2008, même si leurs dépenses ont sensiblement augmenté au premier semestre 2011. «Dans le monde, l'industrie du luxe témoigne d'une confiance retrouvée, en dépit d'un contexte économique qui apparaît incertain, souligne Sujata Bhatia. Il existe des motifs d'espoir.»

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