Un mouvement de ralliement ininterrompu vers la France se produit chez les ténors du prêt-à-porter aux Etats-Unis. Un phénomène qui s’explique par la situation du marché américain et l’attrait de la première destination touristique au monde.

Depuis un an, les chaînes de prêt-à-porter américaines ne cessent de défiler à Paris et dans sa périphérie. Les mannequins de ces podiums du commerce francilien se nomment Abercrombie & Fitch, Banana Republic, Hollister et, bientôt, Forever 21. Cette enseigne ouvrira sa première boutique française dans le centre commercial de Vélizy-2 en Ile-de-France le 28 janvier 2012.

Depuis sa création au milieu des années 1980 à Los Angeles, ce H & M américain a connu une progression spectaculaire. Il se situe dans l'univers de la «fast fashion», ce prêt-à-porter grand public et pas cher, caractérisé par d'incessants changements de collection qui déclinent la pointe de la mode vue dans les défilés.

«Notre style se fonde sur les couleurs, la joie et ne se prend pas au sérieux, explique Larry Meyer, vice-président de Forever 21. Notre offre comprend un très grand nombre de références qui mêlent vêtements basiques et de mode.»

En face du futur point de vente de Forever 21, se trouve déjà une boutique Hollister, enseigne du groupe Abercrombie & Fitch. Cette marque d'inspiration californienne, destinée aux adolescents et aux étudiants, est arrivée en France dans le centre commercial de Carré Sénart (Seine-et-Marne) en septembre 2011.

Au printemps 2011, la marque de prêt-à-porter Abercrombie & Fitch effectuait une ouverture remarquée sur les Champs-Elysées, accompagnée de ses ambassadeurs body-buildés et torse nu. Quelques mois plus tard, la marque au caribou accueillait comme voisin d'en face sur la plus belle avenue du monde le flagship de Banana Republic, la marque moyen-haut de gamme du groupe californien Gap.

Citons aussi le chausseur Aldo, une marque canadienne qui a ouvert deux magasins à Paris au dernier trimestre 2011 et, dans un registre moins américain, mais tout aussi anglo-saxon, le magasin phare de Marks & Spencer consacré aux vêtements pour femme. Rachetée par Ralph Lauren, Club Monaco, une marque de prêt-à-porter féminin, souhaite aussi rejoindre ce club des chaînes de prêt-à-porter américaines en France.

Quel sens donner à ce débarquement? «C'est probablement une coïncidence qu'Abercrombie & Fitch soit arrivé en France presque au même moment que nous, considère Larry Meyer, de Forever 21. Gap est en Europe depuis des années; dans le sens inverse, les enseignes H & M, Top Shop et Uniqlo se sont implantées aux Etats-Unis. Cela reflète le fait que le monde devient de plus en plus petit.»

Un monde dans lequel le marché américain de la mode est de plus en plus saturé. Les enseignes d'outre-Atlantique cherchent donc à se développer à l'étranger. C'est l'une des raisons de cette ruée sur le territoire francilien. «A l'heure actuelle, notre activité est concentrée aux Etats-Unis, nous voulons tirer partie des opportunités à saisir», envisage Sonia Syngal, directrice générale de Gap Europe.

Ces nouveaux territoires à conquérir sont situés sur deux continents en particulier. «Les enseignes ont souvent deux options, l'Asie et l'Europe», note Ludovic Flandin, directeur commercial international du groupe immobilier Unibail-Rodamco, qui a négocié l'arrivée de Forever 21 et de Hollister en Espagne et en France.

Dans cette perspective, la région parisienne et ses plus de dix millions d'habitants ne manquent pas d'intérêt. «C'est un bassin de population unique en Europe et, à ce titre, cela reste incontournable dans le maillage international des marques», souligne Ludovic Flandin.

Dans le cas de Forever 21, sa venue en France fait ainsi partie d'un programme d'expansion internationale entrepris d'abord en Asie. «L'exécution de ce programme dépend de la difficulté à trouver les meilleurs emplacements de magasins», révèle Larry Meyer. La France est le cinquième pays européen dans lequel Forever 21 s'implante, après l'Angleterre, l'Autriche, la Belgique et l'Espagne (lire le sous-papier). Dans l'Hexagone, l'enseigne compte ouvrir trois boutiques d'ici un an et demi. «Nous préparons l'ouverture d'un flagship dans le centre de Paris», indique le vice-président de Forever 21.

Cette succession d'arrivées comporte également une dimension moins stratégique et plus pragmatique. «Les enseignes américaines sont assez suiveuses entre elles, explique Ludovic Flandin, d'Unibail-Rodamco. Hormis les emplacements de luxe, elles collaborent avec les mêmes réseaux internationaux d'agences immobilières (Cushman & Wakefield, Jones Lang Lasalle, etc.) pour trouver des emplacements à l'étranger. D'une certaine manière, les Apple stores ont défriché le terrain.»

Enfin, l'attrait de la capitale française, véritable vitrine mondiale, n'est pas neutre dans la construction de l'image d'une marque de mode. «Il demeure un certain prestige à posséder une adresse parisienne et à afficher Paris dans la liste de ses destinations», considère Ludovic Flandin.

Deux stratégies se distinguent alors. Celle des magasins phares d'abord. Dans une logique d'image, une méga-boutique située à une adresse emblématique procure une visibilité immédiate et très forte, auprès des touristes étrangers notamment. Cet aspect compte d'autant plus que la France reste la première destination touristique au monde.

«A New-York, sur la 5e avenue ou à Soho, cette démarche a fait ses preuves», observe Ludovic Flandin. A Paris, de nombreuses marques américaines se sont pliées à l'exercice. Ralph Lauren a ainsi inauguré à grand renfort de people un magasin phare de cinq étages, le plus grand de la marque en Europe, sur le boulevard Saint-Germain. Tommy Hilfiger a installé le sien sur les Champs, alors que celui de Levi's ouvrira prochainement de l'autre côté de la plus belle avenue du monde.

«Les gens ne veulent plus de messages, ils veulent des histoires, affirme Hubert de Malherbe, président de l'agence d'architecture commerciale Malherbe Design. Dans le prêt-à-porter, le merchandising et le stylisme véhiculent les éléments narratifs.»

Avec sa file d'attente en serpentin, son videur qui ouvre et ferme un cordon d'entrée, la mise en scène extérieure de la méga-boutique Abercrombie & Fitch raconte l'histoire d'un spectacle. A l'intérieur, plongés dans la pénombre et baignés dans des effluves de parfum unisexe, le visteur pénètre dans une ambiance de boîte de nuit dédiée aux vêtements sportswear, peuplée de vendeurs en tongs qui dansent, mais ne vendent pas, au rythme de morceaux «eurodance». «C'est la culture du spectaculaire, glisse Hubert de Malherbe. Le gagnant n'est pas celui qui a eu l'idée, mais celui qui sait l'appliquer.»

A l'extrême opposé, le flagship Ralph Lauren se niche dans un hôtel particulier du XVIIe siècle. «Nous sommes dans l'antre du chic français, saisis par l'impression d'être à une réception mondaine à Paris, entourés de mannequins qui créent l'illusion du nombre», analyse Hubert de Malherbe.

Entre ces deux partis pris, le magasin phare de Banana Republic et son vaste sous-sol se caractérisent par une architecture classique BCBG, dans une ambiance de maison de famille aux Hamptons, près de Long Island, lieu de villégiature très prisé par la bonne société new-yorkaise. La musique, de style variété rock et R & B, y est pourtant très présente.

«L'avenue des Champs-Elysées est une des destinations de shopping les plus populaires au monde, se félicite Sonia Syngal, de Gap Europe. Notre flagship représente l'expression la plus contemporaine et la plus dynamique de la marque, la façade historique du bâtiment a été conservée, et l'intérieur a été mis au goût du jour avec un design inspiré par l'héritage qui relie la France à l'Amérique, à travers une imagerie supervisée par le marchand d'art spécialisé dans la photo Michael Hoppen.»

Mais les méga-boutiques se heurtent aux lois de l'immobilier, celles de la rareté des emplacements de choix et des prix colossaux. En 2011, les Champs-Elysées sont redevenus l'artère commerciale la plus chère d'Europe, reprenant la première place à New Bond Street à Londres, d'après une étude de Cushman & Wakefield, conseil en immobilier d'entreprise.

Deuxième stratégie: dans une optique de rentabilité, une boutique à l'intérieur d'un centre commercial se révèle un choix plus judicieux que le flagship. Cela permet de bénéficier de leurs affluences record, qui atteignent en Ile-de-France des niveaux comparables à la population d'une ville. Unibail-Rodamco évoque un trafic de l'ordre de 70 000 à 100 000 personnes le samedi à Vélizy-2, un chiffre qui peut monter jusqu'à 150 000 personnes aux 4 Temps à La Défense ou à la Part-Dieu à Lyon.

«Dans les centres commerciaux des grandes agglomérations françaises (Bordeaux, Ile-de-France, Lille, Lyon et Nice), le rendement par magasin de mode et de beauté est au moins 20% supérieur que chez leurs homologues américains, en raison d'une concurrence moindre», indique Ludovic Flandin.

Point commun entre toutes ces enseignes américaines: leur communication ne s'appuie pas sur de grandes campagnes de publicité, y compris lors de leurs arrivées en France. Le buzz suscité par l'attente des consommateurs qui les ont découvertes à l'étranger a suffi à créer un phénomène d'engouement. Pour son lancement, Forever 21, conseillé par l'agence Mediakeys, mettra l'accent sur les réseaux sociaux et les blogs, avec, confie Kristen Strickler, porte-parole de la marque, «un peu de publicité».

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