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Les sites de ventes de produits alimentaires livrés à domicile plafonnent depuis quelques années. L’essor spectaculaire du «drive» et l’apparition d’offres de niche pourraient accélérer le développement de l’alimentation en ligne.

L'univers du commerce électronique est souvent associé à une réussite éclatante, faite de croissance à deux chiffres, de prix bas et d'engouement des Français. Il existe pourtant une exception. C'est dans la distribution alimentaire qu'elle se trouve et plus particulièrement dans les cybermarchés, ces sites de vente de produits alimentaires et de la vie quotidienne.

Depuis la toute fin des années 1990, ils n'ont réussi à convaincre qu'un petit cercle de consommateurs, alors que leur offre et leurs zones de chalandise s'adressent à une grande partie de la population. A cause des coûts de livraison, ils s'avèrent en général plus chers que les magasins de la vie réelle.

Même une hypothétique interdiction d'ouverture nocturne des points de vente, qui oppose organisations syndicales et enseignes de la grande distribution (Monoprix a fait appel en février dernier d'une décision qui invalide l'ouverture jusqu'à 22 heures), ne leur permettrait probablement pas de combler le retard pris. «Ce serait un appel d'air pour les cybermarchés, mais uniquement pour des courses d'appoint, estime Nicolas Le Herissier, directeur marketing et communication de l'enseigne Houra (groupe Cora). Ces petits paniers ne seraient pas rentables à cause des coûts de livraison.»

Mais ce constat d'échec a contribué à l'émergence de nouvelles idées, c'est-à-dire des formats inédits de vente en ligne de produits alimentaires. Ceux-ci se sont greffés à la famille des courses alimentaires et quotidiennes en ligne, dans laquelle figurent désormais trois modèles principaux.

Le premier et le plus ancien est celui des cybermarchés. La commande passée sur Internet est livrée à domicile. Le deuxième et le plus innovant est celui du «drive», dans lequel la commande est effectuée en ligne et retirée dans un dépôt spécifique sans sortir de sa voiture, puisqu'un employé de l'enseigne se charge de la déposer dans le coffre. Enfin, il existe une forme mixte et plus traditionnelle, qui consiste à commander sur Internet et à retirer ses courses en magasin.

D'après une étude de l'institut Kantar Media réalisée en décembre 2011, l'alimentation fait partie des secteurs qui comptent le moins d'acheteurs en ligne. Parmi les internautes qui ont effectué un achat sur Internet d'au moins un produit au cours des douze derniers mois, seuls 16% d'entre eux déclarent avoir acheté un produit alimentaire ou d'entretien.

Il existe à la fois des freins culturels et un problème de confiance. «Contrairement aux pays anglo-saxons, la vente alimentaire en ligne n'est pas rentrée dans les mœurs en France, pays de la gastronomie, souligne Renaud Paquin, fondateur du site de vente de produits frais Mon marché. Les gens veulent voir, sentir et toucher afin de choisir, même si le choix en grande distribution est une illusion.»

Différence dans les articles

Premier modèle, historiquement, le cybermarché date non pas des années 2000, celles de la démocratisation de l'Internet haut débit, mais de l'époque du Minitel. C'est dans les années 1980 que le pionnier Telemarket a été créé.

«Pour l'année 2011, le marché des produits alimentaires commandés en ligne et livrés à domicile est estimé à 450 millions d'euros, indique Bruno Lebon, directeur de l'e-commerce alimentaire de Carrefour France. Il tend à rester stable, globalement.» Ce montant équivaut, environ, au chiffre d'affaires de quelques hypermarchés. «Les cybermarchés ont rapidement trouvé leur place auprès d'un segment de clientèle très précis, mais depuis dix ans, leur part de marché a très peu augmenté», note Cédric Ducrocq, PDG du cabinet de conseil Dia-Mart, spécialisé dans la distribution. Ce format est en effet apprécié par un type particulier de clientèle (couples d'actifs urbains et pressés, personnes âgées ou aux habitudes alimentaires spécifiques) ou à certains moments de la vie (grossesse, mobilité réduite…). C'est sur les produits qui se conservent longtemps et dont la consommation est prévisible (eau, lait, etc.) qu'il tire le mieux son épingle du jeu. «Certains articles se prêtent bien à la vente en ligne, d'autres non, souligne Cédric Ducrocq. Les produits techniques – appareils photo, ordinateurs… –, qui comportent de nombreuses caractéristiques à comparer, appartiennent à la première catégorie. En revanche, il n'y a aucun avantage à acheter des produits frais en ligne.»

Si la plupart des enseignes anglo-saxonnes emballent sous cellophane les fruits et légumes, leurs homologues françaises le font plus rarement. «Une bonne partie des consommateurs français est soucieuse de la qualité de sa nourriture, suggère Renaud Paquin, du site Mon marché. Les fruits doivent être mûrs et une tomate doit ressembler à une tomate.» Les cybermarchés sont-ils confrontés à un problème de fond ou de forme? «La logique d'Internet et des courses en ligne est contraire à celle des enseignes de la grande distribution, considère ce dernier. Dans leur conception, le client doit faire tous les efforts, c'est-à-dire passer devant des articles dont il n'a pas besoin afin de parvenir au produit d'appel en fond de rayon.»

De son côté, la grande distribution plaide pour un rythme de développement plus lent. «Pendant quelques années, les acteurs se sont assoupis et n'ont pas su faire évoluer leur offre ni leur relation client, analyse Nicolas Le Herissier, de Houra. Le format du cybermarché est encore un modèle adolescent.» Les distributeurs mettent aussi en avant leur métier d'origine. «Nous sommes des commerçants et nous savons comment rendre les courses agréables en ligne et en magasin, en proposant de nouveaux produits, mais aussi ceux que vous préférez», rétorque Bruno Lebon, de Carrefour.

Plus forte progression pour le «drive»

Au-delà de ces arguments, les cybermarchés présentent un élément structurel défavorable: leur rapport coût/contrainte. Le coût de la livraison transforme la question de la rentabilité en une équation complexe, qui se reflète dans les offres tarifaires affichées en ligne. «Contrairement aux promesses publicitaires, l'agrément des courses en ligne n'est absolument pas évident», relève Cédric Ducrocq.

Les investissements publicitaires limités (voir tableau) témoignent d'un intérêt peut-être relatif porté par la grande distribution envers ses rejetons en ligne. Pour elle, le principal enjeu n'est pas là. «Les distributeurs ont créé des sites marchands afin d'occuper le terrain de la vente en ligne, mais ils ne veulent pas les développer, observe Renaud Paquin. Leur métier consiste à faire venir des gens en magasins afin de dépenser plus d'argent que prévu.»

Certains considèrent en revanche que les cybermarchés doivent être considérés comme un format complémentaire à celui des courses hebdomadaires. «Ils font partie d'une stratégie de maillage multicanal pour l'avenir», note Bruno Lebon.

Le futur des cybermarchés n'est peut-être pas tant dans la simple transposition en ligne de tout ou partie de l'offre uniformisée de la grande distribution que dans l'adaptation fine au contexte local. Ainsi leur potentiel est sans doute plus fort à Paris. Houra réalise ainsi 70% de son chiffre d'affaires en Ile-de-France. «Le pourcentage de foyers prêts à payer plus cher afin de se faire livrer y est plus élevé qu'ailleurs en France, juge Cédric Ducrocq, du cabinet Dia-Mart. Dans la capitale, Monoprix réalise un chiffre d'affaires plus important par la commande en magasin et la livraison à domicile qu'avec son site marchand.»

Entre autres pistes d'avenir, les cybermarchés constituent une façon de s'immiscer sur une partie du territoire où une enseigne ne possède pas beaucoup de magasins. C'est le cas de Telemarket, devenu U Telemarket depuis son rachat en 2011 par la coopérative Système U. Cette dernière vise, par ce canal, les marchés parisiens et franciliens. Souvent articulée autour d'une offre innovante et originale de produits frais, les sites de niches sont aussi prometteurs (lire ci-dessous).

A l'heure actuelle, c'est la formule du «drive» qui connaît la progression la plus forte et la plus rapide dans le domaine des courses alimentaires en ligne. «En 2011, plus de deux millions de ménages ont acheté des produits par le “drive”, détaille Bruno Lebon. Ce canal représentait 2% des parts de marché de la distribution alimentaire cette année-là.»

A titre d'exemple, Carrefour compte actuellement 50 points «drive», dont le premier a été ouvert fin 2010. «Inventé par la grande distribution française, le “drive” est l'innovation du secteur la plus remarquable depuis vingt ans», s'enthousiasme Cédric Ducrocq.

Le pionnier en la matière s'appelle Chronodrive (groupe Auchan), qui a mis au point le premier concept abouti en 2004. L'an dernier, l'enseigne E.Leclerc a connu une progression très rapide dans ce format et en possède près de 140 à ce jour. «Elle a gagné 0,8 point de part de marché en 2011, un chiffre notable, dont la moitié est liée au “drive”», constate Cédric Ducrocq.

Et les «drive» bénéficient des faveurs de la grande distribution. «Nous mettons plus de moyens dans le développement du “drive” que dans celui du cybermarché», reconnaît Bruno Lebon. Mais selon le lieu de résidence – grandes villes ou non – et les contraintes de circulation – embouteillages ou non–, les deux formats ne remplissent pas exactement le même service et ne touchent pas la même cible. «La clientèle du “drive” est plus provinciale et moins aisée que celle des cybermarchés, indique Nicolas Le Herissier. A l'avenir, les deux modèles cohabiteront.»

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